V

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Sous le regard médusé du village tout entier, Therion avait quitté le village. Il n'avait pris que le nécessaire. Il n'était pas sûr de revenir. Il traversa le canyon au pas rapide, voulant arrivé au plus vite chez Ornara. Il s'en voulut d'en être parti quelques semaines auparavant. Elle avait raison. Sa place n'était pas là-bas, il le savait maintenant. Il ne pourrait plus jamais regarder son père dans les yeux, ni aucun des membres de son village. Il savait comment on traitait ceux qu'on ne comprenait pas, et il savait qui le savait mieux que lui encore.

Quand il arriva devant la porte, il frappa. Pas de réponse. Un silence plat.

— Grand-mère ?

Silence. Et tout à coup, il sut. Impossible de savoir comment ni pourquoi, mais il sut et, alors qu'il s'apprêtait à répéter son appel sur la porte de la mère de sa mère, il s'immobilisa et commença à pleurer, avant d'ouvrir la porte. Elle grinça et pinça son oreille comme la vision de la seule personne qui l'estimait suspendue à son plafond lui pinça douloureusement la poitrine. Il tomba sur ses genoux. La mort était récente, ou le corps incroyablement bien conservé. Connaissant la magie qui imprégnait l'âme de cette femme, les deux étaient possibles. Il se sentit vide, et fut même incapable de pleurer. Il fixa le corps intensément pendant de longues minutes sans bouger. Et maintenant, que faire ? Où aller ? Il avait peur de retourner dans le village, son seul foyer. Il ne savait pas quel acceuil on lui ferait, ni même si son père voudrait encore de lui. Finalement, il finit par se forcer à entrer, refermant la porte. Il décrocha le corps et le posa au sol. Quoiqu'il fasse, il ne pouvait la laisser comme ça. Dans la tradition, on brûlait le corps après toute une cérémonie, mais il savait que jamais Horus ou les autres n'accepteraient de lui accorder cette grâce. Elle avait, à leurs yeux, trahis les Dieux en s'exilant ainsi. Alors il décida de la brûler ici. Il soupira et se pencha pour l'attraper par la manche. C'est alors qu'il vit que sa grand-mère tenait un bout de parchemin sale. Il l'attrapa et le lut.

Ne fais pas l'idiot, tu sais ce qu'il te reste à faire.


Il froissa le papier et le jeta au sol. Une phrase. Elle ne lui avait laissé qu'une phrase qui ne répondait à aucune question. Pourquoi ? Pourquoi avait-elle fait ça ? Il soupira. Ornara ne faisait rien sans raison, et ne pouvait croire que son acte ne fûsse motivé uniquement par la douleur ou le désespoir. Il ne le saura certainement que plus tard. Il entreprit de reprendre ce qu'il faisait. Il installa le bûcher juste derrière la maison, de sorte que la fumée aille le plus possible près du village. Malgré tout, les siens devaient savoir. Il regarda la fumée s'envolée, guidée par le vent et ferma les yeux, levant la tête. Oui, il savait ce qu'il lui restait à faire. Était-ce ce dont il avait envie ? Non. Mais malgré tout, il le ferait, car c'était le seul chemin qui lui restait.

— Toi, Thérion ?

Se pensant seul à des lieux à la ronde, Therion sursauta en saisissant son bâton, prêt à en découdre. Il se retourna pour voir une jeune fille assise sur le toit de la maison. Il pencha la tête sur le côté et plissa les yeux pour être sûr de voir ce qu'il voyait. Elle était quasiment nue, ne portant que de vieilles guenilles déchirées et sales au possible. Une longue queue de chat dépassait de son bas, et des oreilles de sa tignasse brune, qui ne cachait que partiellement des yeux de chats vert. Elle n'était pas pour autant repoussante, mais il ignorait que de telles créatures vivaient dans les parages. Vivaient, tout court. Il relâcha cependant sa tension quand il vit que la fillette - d'apparence en tout cas âgée de huit ans maximum - le regardait avec une curiosité certaine mais sans animosité. Sa queue frétillait dans tous les sens, alors qu'elle bougeait sans arrêt la tête.

— Toi, Thérion ? Répéta t-elle.

Le jeune homme hocha lentement la tête.

— Tu es petit.

Thérion, qui mesurait près d'un mètre quatre vingt dix retînt un rire de justesse, faisant lever un sourcil à la créature.

— Moi drôle ?

— Non, excuse-moi. Quel est ton nom, jeune fille ?

— Neko.

— Enchanté Neko. Je peux savoir qui tu es, ce que tu fais ici, et surtout, comment tu connais mon nom ?

Neko sauta au sol, souplement, impressionnant Therion. La maison était haute de cinq mètres, mais elle avait sauté et atterit sur ses jambes fléchies comme si c'était rien.

— Maman m'a parlé de toi. Bien. Beaucoup bien. Je suis...Comme toi, avant, ou presque.

— Comme moi ? Tu veux dire une Transformée ?

Cela ne l'étonnait pas vraiment que sa grand mère accueille et s'occupe d'une jeune fille comme elle, surtout s'il s'agissait d'un membre de son peuple. Elle confirma d'un bref hochement de tête, et s'approcha, félinement.

— D'accord...Mais alors pourquoi as-tu cet aspect ? Et que fais-tu ici ? La chose émit quelque chose que Thérion interpréta comme un rire.

— Toi poser beaucoup question !

Thérion se passa la main dans les cheveux. Oui, il posait beaucoup de questions.

— Je sais. Excuse-moi, c'est que j'ai besoin de beaucoup de réponse, lança t-il.

Elle s'approcha, se mouvant sur ses quatres pattes. Pourtant, Thérion devinait aisément à sa morphologie humanoïde qu'elle devait se déplacer sur ses jambes. Il raffermit son appui au sol, prêt à esquiver. Comme tous les membres de son peuple, il n'était pas un pur guerrier, mais il savait se défendre. Elle s'arrêta finalement à une courte distance de lui, reniflant ses jambes.

— Née comme ça. Génitrice m'a abandonné devant maison maman. Maman m'a recueilli et m'a caché gens votre peuple, cruels. Mais pas toi, non pas toi. Maman dit toi gentil. Moi doit aider toi, sauver monde.

Elle s'assit et le fixa dans les yeux. Il faillit éclater de rire. Comment une fillette de son âge et de son genre pourrait l'aider sans, au contraire, être une gêne ? Mais il ne rit pas. C'est à peine s'il esquissa un sourire. Les yeux de chat vert de Neko le fixait, et il sentait que ce regard épiait son âme, le sondait. Il était puissant, irrésistible. Oh que non, elle ne serait pas un boulet.

— Très bien, nous irons ensembles. Mais avant...Rendons grâce à Ornara, veux-tu ?

Il se tourna, de nouveau, vers le bûcher de sa grand mère et pria silencieusement. Neko, elle, commença à émettre un son qu'il prit d'abord pour un chant tant il était mélodieux et agréable à l'oreille. Mais il comprit quand le chant devînt plus lanscinant et aïgue qu'il s'agissait d'une complainte.

Ainsi se forma ce terrible duo, bientôt au centre d'une quête qui les dépasserait.

Il était revenu au village avec Neko, et avait obtenu les réactions exactes qu'il attendait. Son père avait, les larmes aux yeux, fermé sa porte. Il avait demandé à ce qu'on l'écoute, et personne ne le fit. On le fuyait comme une maladie dangereuse, lui et sa nouvelle amie. Il apprit, avec le temps, à connaitre cette jeune personnalité, curieuse, joueuse mais aussi impulsive. Il devinait que l'éducation et les soins de sa grand mère avaient fait des miracles, mais qu'au fond, cette petite chose cachait encore de la souffrance, et donc de la colère. Il se promit de tâcher de l'aider à amadouer ses démons. Il devait bien ça à Ornara. Il demanda à ce qu'on l'écoute, il dit qu'il venait les avertir, les supplia, en vain. Il n'eût que des réponses, au mieux, glaciales, au pire agressives. Il dût même empêcher Neko de sauter à la gorge d'un goujat Pendant ce temps, qui dura quelques semaines, il sentait son père l'épier. Il le voyait parfois, au loin, au coin d'une rue, ou devant un étal sur le marché. Il le regardait de biais, mais baissait toujours les yeux. Honte. Oui, honte.

Mais de quoi ? de son fils ou de lui-même ? Thérion ne cherchait pas à le découvrir, il avait bien trop à faire. Sous le soleil violent du canyon, il prêcha. Encore et encore. Et finalement, comme si les Dieux eux-même avaient décidé de lui prêter mains forte, une série d'évènements tragiques lui prêtèrent de l'attention et surtout de la crédibilité. Il ne savait pas si c'était lié, peut-être qu'il s'agissait véritablement d'une intervention divine, ou peut-être le hasard était avec lui. Quoiqu'il en soit, il ne se priva pas pour utiliser cette chance pour en attirer à lui. De plus en plus. Si bien que, des mois après la mort tragique de sa grand-mère, il estima qu'ils étaient assez nombreux pour prendre le large. Il avait fait un dernier appel, espérant de tout coeur, sans trop y croire, que son père viendrait rejoindre les quelques dizaines de Transformés qui s'apprêtaient à partir. Soixante, soixante-dix tout au plus. Mais non. Une demi-douzaine saisirent l'ultimatum de justesse, mais son père ne vînt pas, le laissant seul face à son destin. Il se décida à prendre les choses en main. Quelque chose lui disait que, quoiqu'il pourrait advenir, il ne reposerait plus les pieds ici. Alors il devait tenter quelque chose. Il frappa à la porte de la hutte de son père, uniquement accompagné de Neko. Il avait tenté de l'en dissuader, préférant être seul, mais elle prenait son rôle de de garde du corps et de bras droit très à coeur, et il n'avait su trouver la force d'être plus virulent dans son refus. Quand personne ne vînt, il inspira profondément, essayant une deuxième et une dernière fois.

— Père ? Je m'en vais, définitivement.

Silence. La main, froide mais douce, de la femme/chat se glissa dans la sienne, comme un message silencieux. Il se détourna, se dirigeant à son tour pour un périple de deux semaines vers les côtes, accompagné d'une vrai petite armée. Comment avait-il pu les convaincre ? La peur ? Pour certains, c'était peut-être vrai, mais il aimait aussi croire qu'ils étaient là pour lui, et surtout pour sa quête, que ces signes leur avait donné la foi et le courage nécessaire.

Le voyage ne fut pas spécialement éprouvant pour ce peuple habitué à vivre dans le canyon, avare en ressources hormis dans une jungle hostile, mais un silence presque tangible règnait sur la troupe, comme une brume solide. Ils suivaient Thérion, qui s'était découvert une âme de leader. Il n'était pas chef, car ce peuple n'accepterait jamais un chef, mais un guide. Ils lui faisaient confiance mais ne le craignaient pas, ce qui lui convenait tout à fait. Il avait tenté, une ou deux fois, de casser ce silence, cette tension permanente, mais sans succès. Lui-même était en proie à ses démons, s'étant autorisé quelques regards en arrière, espérant follement mais vainement voir son père venir, bras écartés, grand sourire aux lèvres. À chaque fois, sa jeune compagne de voyage le faisait revenir à la réalité, d'un geste ou d'une parole. À un moment, elle finit par lui mordre la main. Il jura en se tournant vivement vers elle. Elle n'avait pas mordu fort, mais assez pour qu'il devine qu'une de ses morsures pouvaient être dangereuse en plus de douloureuse.

— Toi arrêter de regarder derrière, sinon toi trébucher.

— Ils sont tous venus en famille, Neko.

— Toi aussi.

Il fixa Neko, ne comprenant pas tout de suite où elle voulait en venir. Elle lui fit alors un sourire qui se voulait certainement agréable mais qui restait carnassier.

— Nous ta famille, maintenant.

Il lui sourit doucement. Oui, ça c'était quelque chose qu'il pouvait accepter.

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