II

6 minutes de lecture


Elle lui donna une tape sur le bras tout en se reculant et il ne put réprimer un rire.

— D'accord Ornara, d'accord ! Elle lui fit signe et il entra, pas mécontent d'être enfin arrivé.

Il n'avait pas voulu déranger, proposant de repartir aussitôt le paquet posé, mais elle lui prit deux doigts, qu'elle sera fort en secouant la tête.

— Non, reste donc un peu. Ce n'est pas souvent qu'une vieille femme comme moi a de la visite. Tu repartiras demain. En plus, il se fait tard.

Therion eut un petit sourire compatissant. Oui, il l'imaginait bien. Lui qui vivait avec les leurs, il entendait tout ce que l'on disait à son sujet, ce que l'on pensait d'elle. Bizarre, étrange étaient les mots les plus gentils que l'on pouvait dire à son propos. Son père ne parlait jamais d'elle, comme si elle représentait un sujet tabou qu'il était dangereux d'aborder. Son nom n'était jamais formulé. Il avait honte. Il s'occupait d'elle, certes, car il avait le sens du devoir, mais rien de plus.

— Alors, demanda t-elle, comment va ton père ? Donne des nouvelles à ta vieille grand mère.

Sa grand mère n'avait rien de vieux à ses yeux, bien au contraire. Elle n'avait jamais paru aussi jeune. Certains disaient qu'elle devait ça à un pacte qu'elle aurait scellé avec un démon. Il tourna la tête vers elle alors qu'elle versait une soupe dans son bol et elle lui fit un sourire si doux, qu'il se sentit redevenir enfant. Comment un être si bon aurait pu pactisé avec un quelconque démon ?

— Pourquoi me regarde-tu comme ça ? On dirait un oisillon attendant son repas. J'espère que tu es un peu moins dépendant que ça, Therion, sinon ton paternel a du soucis à se faire.

— Oh tu sais ce que l'on dit, un homme ça grandit, ça n'évolue pas.

Ornara eut un léger rire en s'asseyant face à son petit fils.

— Arrête tes sottises. Connais-tu ton totem ?

Therion perdit un peu de son sourire et secoua la tête.

— Ah je vois. Sujet sensible. Désolée.

Et soudain, ce fut comme si sa grand mère avait ouvert une fenêtre et que le vent avait apporté une réponse évidente à une question qui brûlait depuis plusieurs mois maintenant.

— Peut-être pourrais-tu m'aider ?

Devant l'air pincé que pris Ornara, Therion s'empressa de lever une main, reprenant son repas.

— Ce n'est rien, oublie ça.

— Non Therion, tu n'y es pas. Ce n'est pas la réponse qui me dérange, c'est la question.

Le jeune homme leva ses yeux, l'air interrogateur. Elle eut un rire sans joie, presque vexé.

— Oh non, non, ne joue pas à ça avec moi, jeune homme. Tu es plus malin que la moyenne. Tu es plus...Ouvert. Et tu compends très bien ce que je veux dire.

Oui, il comprenait, mais il n'osait le formuler, alors il fit celui qui n'avait rien dit, rien entendu, et but sa soupe. Mais cela ne contenta pas l'aïeule, qui se redressa.

— Tu n'es pas comme les autres, alors ne fais pas l'idiot. Tu sais qui je suis, toi.

— Père aussi. Devant le regard, froid, que lui lança Ornara qui lui avait tourné le dos pour observer par la fenêtre, comme elle le faisait parfois, il leva une main pour s'excuser. Non, bien sûr que son père ne la connaissait pas.

— Père non, c'est vrai. Mais mère si, maman te comprenait.

Après un court silence, la vieille femme soupira. Elle ne trouva rien à re-dire à ce nom.

— Mais cela ne change rien, reprit-elle à voix haute, au fait que l'on m'a exilé ici, sans le dire. On nie mon pouvoir que l'on craint pourtant.

Comprenant qu'elle tournait autour d'un sujet qu'elle n'osait aborder et qu'il n'avait fait qu'effleurer avec sa demande, Therion posa doucement son bol à moitié plein et observa les morceaux de légumes généreux - qu'il lui apportait régulièrement - danser dangereusement proche du bord.

— Tu voudrais que je reste, c'est ça ? Elle haussa les épaules.

— Au moins que tu apprennes. Je vais mourir, et ce don va s'éteindre avec moi. C'est un feu, pourtant, qu'il ne faut surtout pas laisser s'envoler. Il faut l'alimenter, et toi, tu fais une bûche magnifique, jeune et vigoureuse.

Therion baissa les yeux.

— Quand je vois ce que cela apporte...

Il se tut, mais le mal était fait. Il vit cependant au sourire de sa grand mère, qu'il ne l'avait pas touchée. Elle souriait doucement, et avait retrouvé son calme. Elle lui passa un index doux sur le visage.

— Est-ce tout qui te retiens, jeune Therion ? Alors tu me reviendras vite. Mais trop tard, je le crains.

Elle prit son bol, laissant Therion perplexe réfléchir à cette phrase mystérieuse tout en s'asseyant dans l'unique fauteuil de la pièce, devant la cheminée et un foyer qu'elle venait d'allumer. Il faisait encore chaud dehors mais plus pour longtemps, et la chaleur du feu serait la bienvenue. Avait-il seulement envie de brûler ? Voulait-il obtenir ce don qui ressemblait aussi à une malédiction ? Il n'en était pas sûr. Il n'était pas très sociable certes, mais ce n'était pas tant l'isolation physique que psychique qu'il craignait. À quoi bon avoir des visions, si ce n'était pour pouvoir les partager, ou tout du moins prévenir des dangers ? Il devient pensif et silencieux, et reprit son repas dans un silence complet, seulement coupé par les crépitements du feu et quelques soupirs de la vieille femme. Au moment du thé, après le repas, il s'était éloigné, laissant sa grand mère devant le foyer, en la pensant endormie. Il regarda pensivement la fenêtre et se demanda si, plus tard, il verrait le même paysage en regardant par la fenêtre de sa maison. Un horizon rouge et bleu à perte de vue, avec seulement une vague tâche verte au loin, à l'Ouest, pour apporter un peu de contraste. Verrait-il le monde vivre sans lui, s'éloignant de lui comme s'il était messager de malheur, et pourtant jamais ne l'écouterait ? Quelle drôle de vie.


Soudain, un mouvement attira son regard sur sa droite. Il tourna la tête, puis la passa par le montant, mais ne vit rien. Pourtant, il n'était pas fou, il en était sûr. Il y avait quelque chose dehors. Ou quelqu'un. Il tourna la tête vers son bâton, mais ce qu'il vit le fit se retourner complètement et se tasser contre le mur. Il s'assied presque, tendant les bras, les yeux écarquillés. Sa grand mère était devant lui, mais avait les yeux fermés, la bouche étirée dans un sourire affreux qui n'avait rien à voir avec le croissant de lune habituel qui déformait ses lèvres aimables dans un sourire rassurant. Non, là il s'agissait d'une parodie horrible de ce qu'il appréciait tant chez cette femme. Derrière-elle se trouvait une ombre qui, vu la position du soleil ou du foyer ne devrait exister. Et elle était immense, en plus d'être difforme. Là où Ornara avait une main, elle avait des griffes immenses, là où il y avait un visage, il y avait une gueule garnies de crocs immenses.

Si Therion pourrait rentrer dans le sol, tel une taupe,il le ferait, se tassant jusqu'à quasiment disparaître. Il voulut crier le nom de sa grand mère pour la faire revenir, mais ne parvient qu'à gargouiller un vague "Grand-mère". Celle-ci semblait l'aspirer et s'éloigner à la fois, donnant le vertige à Therion. Il l'avait déjà vu en transe, comme tout le village, mais jamais comme ça. Jamais aussi intensément et...Jamais son ombre n'avait changé de forme, jamais elle n'avait pris ce visage diabolique. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais il eut peur d'y être aspirer et chercha désespérément quelque chose de la main pour s'y accrocher, en vain. Mais heureusement, sa grand-mère ou ce qui la possédait - était-ce...Le démon ? - n'aspira rien, pas même de l'air, mais parla, sans remuer les lèvres, mais avec la voix, certes déformée, d'Ornara :


Tapie dans l'Ombre, elle attend son heure

Depuis des millénaires, elle guette Création d'Archmagedon

Ni sa préférée, ni sa favorite

Elle est peut-être sa meilleure arme

Sa meilleure chance d'un jour brûler ce monde

De sa haine et sa colère

Bientôt, elle ouvrira la porte

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le Rêveur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0