V

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Garet ne pouvait chasser les images de son ami mort, et de Julie pendue. Elle avait suppliée, l'avait appeler à l'aide, mais il avait tourné la tête. Il ne l'avait pas vu être poussée dans le vide, il n'avait pas entendu, de là où il était, le cou se briser, mais il avait ensuite, comme les autres, vu le corps pendre et bleuir à vue d'oeil. Au début, il avait vraiment voulu écouter son père. Il avait pris les jambes à son cou, tentant, à travers les larmes et les images rémanentes de sang et de souffrance, de retrouver le chemin du Marché. Il avait ensuite entendu les combats, lointains. Puis il était tombé, roulant au sol. Son genou le fit souffrir, mais pas assez pour l'empêcher de reprendre la course. Mais, la tête dans la boue, il se mit à pleurer. Encore. Quelque part en lui, il voulait se relever et reprendre sa course. Il avait une mission. Il avait une occasion, facile qui plus est, de prouver sa valeur à sa mère. Mais une autre voix, puissante, lui disait de rester là, le visage dans la boue et d'attendre. Leurs ennemis s'en allaient aussi vers le Marché, il allait forcément les croiser. Il se ferait tuer. Il allait mourir. La Peur l'étreignit alors qu'il savait aussi que rester était là encore plus dangereux. Il se força, péniblement, à se relever, et reprit son chemin. Seulement, il rampit plus qu'il ne courut, se cachant au moindre petit bruit. Pourtant, la voix de son père résonnait encore. Du temps. Il n'avait pas beaucoup de temps et des gens mourraient pour lui en donner. Mais il ne parvenait pas à pousser sur ses jambes. Il se sentait mou. Et ce qui devait arrivé, arriva. Il entendit les cavaliers avant de les voir. Il savait qu'il n'était plus si loin du Marché et en courant de toutes ses forces, il pourrait peut-être y parvenir en même temps qu'eux. Mais, encore une fois, son mental ne suivit pas. Sa Peur lui étreignait le coeur, lui endolorissait les muscles. Il serait en retard. Pardon, papa.


Galahad s'était rapidement écarté du centre de la bataille pour rejoindre le Marché. Combattre ne l'intéressait pas. Il voulait voir ses flammes. Les flammes de la vengeance. Et il serait plus efficace et rapide de frapper au coeur du clan. De décapiter la bête. Quand il arriva vers le coeur de la cité, il n'était pas le premier, et le sang avait commencé à couler. Les gens couraient dans tous les sens. Certains, les plus vaillants ou courageux avaient attrapé des armes, mais l'évidence se trouvait dans le massacre. Il frappa, de son cheval, une femme qui tentait de fuir dans sa direction. Dommage pour elle. Il descendit de cheval une fois arrivé au Marché, bientôt rejoint par les soldats qui le reconnaissaient.

— Brûlez tout. Faites-vous plaisir, mais faites-le vite.

— Qu'est-ce que l'on fait des enfants ? Demanda l'un d'entre eux.

Galahad se tourna vers le centre de la place. Un groupe d'enfant, au moins une trentaine, y était rassemblé. Il leur sourit en s'approchant et s'accroupit près d'eux.

— Hey les enfants ! Bien le bonjour !

Garet était finalement parvenu au coeur du village, mais beaucoup trop tard. Il y avait déjà du sang et des morts partout. Mais tout était maintenant calme, si bien que s'il n'était pas aussi "prudent", il aurait pu se faire prendre en pensant qu'il n'y trouverait plus personne. Mais il avait avancé terré dans l'ombre, et personne ne l'avait vu. Il aurait pu continuer ainsi, quitter ces lieux maintenant maudit en laissant tout ça derrière lui. Ce serait même la suite logique à son plan. Mais il ne parvînt pas à franchir le pas. Il entra dans le village, et observa ce qui se passait, caché derrière des tonneaux,derrière des caisses ou une maison.

Freya, elle, parvint au marché peu après son fils. Elle ignorait si les siens étaient parvenus à s'enfuir ou pas. Si Garet avait mené sa mission a bien, le village devait être vide ou presque. Mais elle eût sa réponse bien vite, et elle hurla toute sa rage quand elle vit tout son clan éparpillé au sol, sur les murs des maisons, ou parfois sur des pics. En l'entendant, de nombreux soldats la dévisagèrent, la désignèrent de l'épée, ou hurlèrent des ordres qu'elle n'entendait pas. La colère la rendait sourde, l'aveuglait. Elle s'avança, le souffle court, vers les Aube Rouge qui la chargeait en criant. Elle dévia le premier coup, élimina l'effronté qui avait osé s'élancer en premier, puis le suivant d'une taille paresseuse sur la droite. Elle ne courait pas, elle ne s'arrêtait pas. Elle continuait sa marche inéxorable vers le Marché. Elle ne broncha pas quand une première lame lui dessina un premier sourire sur le haut du bras, se contentant de répondre d'un coup de boule casqué, enfonçant le visage de son adversaire, avant de repousser le suivant d'un chassé dans l'aine. Elle se battait tant et si bien que Galahad, assis à même le sol au centre de la place, juste devant l'antre de Jorg se leva. Il observa un moment cette guerrière qui avait l'audace de résister face à la marée inéluctable du temps qui venait les recouvrir et emporter leurs cendres. Elle voulait voler sa revanche. Il se redressa, lentement, l'observant envoyer ses hommes au tapis les uns après les autres.

Mais ils étaient trop nombreux. Il savait que bientôt même son entrainement lié à son adrénaline ne suffira pas. Elle finira par ployer le genou devant le nombre. Une mort digne d'elle, certainement le chapitre final à toute une vie d'honneur. Il la vit croises lames pour parer un coup assenné, et les décroiser peu après, décapitant son soldat dans le mouvement. Dextérité, agilité...Elle aurait fait un soldat magnifique pour son armée, mais il savait qu'il ne parviendrait jamais à la recruter. Il finit par taper des mains et ses soldats cessèrent d'affluer sur la guerrière, s'écartant même. Freya reprenait son souffle, son regard se fixant sur l'homme en haut des quelques marches qui menaient au sentier. Le Marché était une estrade immense, d'où partaient ensuite toutes les routes menant aux habitations ou à la montagne. Tout le Marché était en flamme. Et, maintenant qu'elle ne combattait plus, elle les entendait enfin. Les cris. Les hurlements. Elle s'avança, ne faisant pas attention au sang qui coulait de ses plaies ou de ses glaives. Elle avait bien l'intention de ne pas s'arrêter là. Son regard se porta derrière le type qui l'attendait. Elle vit Jorg, crucifié devant sa maison et enuclé. Mais ce n'était pas lui qu'elle voyait. Elle voyait la maison en feu derrière. Des cris lui venaient. Des cris effrayés, de douleur. Des cris d'enfants. Elle s'immobilisa à quelques mètres de Galahad qui dégaina sa propre lame, arborant un sourire immense.

— Tiens. Encore vivante toi. T'es une coriace hein ? Des anciens restes de votre gloire d'antan, j'imagine. J'vais m'en éteindre ce petit brasier que tu représentes.

Freya ne dit rien et s'élança, s'accordant un petit saut pour porter un coup haut. Galahad esquiva, mais devait admettre qu'il avait de la chance d'être si vif. Ils se tournèrent autour. Galahad perdit peu à peu son sourire. Il ne devait pas prendre cette femme à la légère et il se montra comme à son habitude : détendu hors combat, et précis, impénétrable dans la bataille. D'autant plus que Freya gardait son répondant. Elle frappa une fois, deux fois, puis une troisième sur la lame de Galahad, le harcelant sans cesse pour ne pas lui laisser le temps de contrer, pour autant tintement métallique et gerbes d'étincelles. En soldat, les Nordiens autour regardaient placidement le combat. Pas d'encouragement, pas de hourras ou de cris. Un silence, seulement rompu par le "bing" des lames se rencontrant. Elle savait qu'il était fort, très entrainé. Certainement beaucoup mieux qu'elle, et si elle le laissait poser sa stratégie, son rythme, elle était perdue. Elle attaquait, encore et encore. À chaque coup porté, elle pensait à ses amis, à son mari, morts par cet homme ou par sa faute. Elle pensa à tous ces enfants. Elle ne pourrait les sauver, comme elle n'avait pu sauver son mari et peut-être son enfant. Mais elle pourrait les venger. Elle attaqua encore et encore.

Après un coup particulièrement précis, qui aurait pu être dévastateur, où la jeune femme avait le bras tendu de tout son long, Galahad vit sa blessure au bras. Prenant un risque qu'il considéra mesuré, il quitta posture défensive pour porter un coup, rapide et simple, peu puissant, sur la plaie avec le plat de sa lame. Simple mais efficace. Freya laissa tomber un glaive et grimaça. Aussitôt, elle sut qu'elle avait commis une grossière erreur. Ou plutôt, que son ennemi avait fait preuve d'une intelligence bien venue. Elle ne put esquiver le pied de Galahad qui l'envoya ensuite au tapis, la faisant lâcher son deuxième glaive et rouler quelques mètres plus loin.

Elle tenta de se redresser, péniblement, mais Galahad l'en empêcha, posant son pied sur son bras.

— Si tu avais pris le temps de former quelques uns des membres de ton clan, la partie aurait été plus amusante. C'est terminé.

Il prit son épée à deux mains et la leva. Elle ne ferma pas les yeux. Elle s'était promis de ne jamais fermer les yeux et d'affronter la mort en face. Mais au moment où il allait abaisser son arme et mettre un terme à son existence, elle la seule guerrière de son clan, une énorme masse fondit sur Galahad.

Les soldats l'avaient vu venir. Certains avaient accourus, mais ils avaient sous-estimés la vitesse du colosse. Et les rares qui étaient parvenus à plus ou moins s'interposer furent balayés d'un simple revers de hache. Galahad lui-même le vit venir, mais trop tard pour l'esquiver. Ça avait été la course de sa vie. Pourtant, Mornald n'avait jamais été spécialement rapide. Mais lorsqu'il avait réussi à terrasser les archers sans flancher, il avait entrepris de retrouver sa femme. Oh il ne se faisait guère de doute sur ses chances de survie, surtout qu'il avait pris deux flèches de plus. Mais s'il pouvait mourir près d'elle, et en s'assurant de sa vie, il partirait serein. Lorsqu'il était arrivé au Marché, il avait vite compris que son fils avait failli. Il était tombé - une nouvelle fois, ses blessures l'affaiblissaient de plus en plus, et nombreuses avaient été ses chutes - un instant, avant d'entendre les cris de guerre de son épouse. Devinant qu'elle était en plein combat, il s'était redressé une nouvelle fois. Il pouvait faire quelque chose pour elle. Il avait couru, une dernière fois, serrant les dents. Il attrapa Galahad sous les bras, le ceinturant de toutes ses forces et, l'entrainant avec lui, se dirigea vers la maison en feu, avant d'utiliser, après un dernier regard vers Freya - qui était parvenue à se redresser sur ses coudes - ce qui lui restait d'élan pour plonger dans l'immense maison en flammes. La dernière vision que Freya eut de son mari était son corps plongeant dans la baraque et le regard furieux de Galahad.


Freya avait profité de la stupeur générale pour se relever. Mornald n'avait pas seulement mis son ennemi hors d'état de nuire - mort ? Son mari certainement, son ennemi peut-être pas - il avait aussi ouvert une sortie aux enfants. La guerrière du clan du Loup Blanc passa la tête dans la bâtisse en feu. Les flammes avaient tout rongées, éteignant ses espoirs dans l'oeuf. Elle ne voyait pas les corps, mais elle les sentait. Une odeur âcre, agressive, qui piquait son nez et sa gorge. Elle fit deux pas en arrière et se tourna pour voir que les soldats s'étaient mis en place autour d'elle. Les lanciers d'abord, bien sûr. Désarmée, elle fit un pas vers eux, en écartant les bras.

— Qu'attendez-vous ?!

Elle était sûre de regarder la mort d'en face. Pas une seconde elle l'avait imaginé venant de son dos, traitreusement. Pourtant, la Mort n'était pas une amie fiable. Toute sa vie durant, Freya pouvait se vantée de l'avoir eu près d'elle, prenant la vie de ceux qui se mettaient en travers de sa route. Elle s'était repu des âmes des pauvres défunts. Et ce jour, alors que la seule clause du pacte qu'elle avait scellé précisait qu'elle souhaitait la voir d'en face quand elle retournerait ses bras contre elle, l'enserrant pour une dernière étreinte, elle la frappa dans le dos. Elle fit un pas en avant, avant de regarder la lame qui dépassait de sa poitrine, avant que celle-ci ne se retire, et qu'elle tombe sur ses genoux.

— Espèce de salope, je t'ai offert une mort de guerrier, une mort juste, tu as préféré la traitrise, ton choix, tes conséquences.

Et, avec une dernière taille rageuse, il décapita l'avant dernier membre vivant du clan du Loup Blanc.

Le dernier membre, lui, était assis contre le mur d'une maison, la respiration forte. Il avait tout vu. Les enfants, son père, sa mère. Il se demanda pourquoi il s'était imposé ça. S'il avait fui, il ne serait pas là, comme s'il avait fait ce que son père lui avait demandé. Il savait qu'ils étaient morts en sachant qu'il avait échoué. Cela devait l'atteindre, il le savait, il devrait en avoir honte, mais tout ce qu'il ressentait du soulagement. Il était vivant. Il ne bougea pas, persuadé que cela ne pouvait durer que s'il restait immobile. Bien sûr, si un des soldats décidait de faire une ronde, il serait repéré immédiatement, mais rien que cette pensée le guidait à une autre : la mort. Et ça suffisait pour lui couper les jambes. Alors il était resté immobile. Longtemps. Suffisament pour que les membres du clan de l'Aube Rouge repartent, certainement annoncé leur victoire aux leurs. Il les imaginait, riant, se félicitant, égorgeant un boeuf pour l'occasion. Un bon morceau de viande. Une bonne hydromel. Quand il fut sûr, certain, d'être seul, il quitta enfin sa cachette et rampa jusqu'au Marché d'un pas incertain. Il voulait voir sa mère une dernière fois mais pour son malheur, ils avaient entassés et brûlés les corps au centre de la place. Il resta un bon moment ainsi, fixant le tas de corps décharnés et noircis. Il voulait être un héros. Il avait raté une occasion de le devenir.

— Ah tu es là.

Garet sursauta et se retourna, en se protégeant des bras, persuadé de voir Galahad se jeter sur lui pour le décapiter à son tour. Il revit le visage de sa mère tourner dans les airs et se mit à hurler en tombant à genoux.

— Arrête donc de pleurer, gamin.

Secoué, Garet finit par ouvrir les yeux pour voir le visage connu et ami de Sven. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais ne le put. Qu'importe, l'homme le prit dans ses bras. L'homme, ou qui qu'il soit.


Ainsi se termina l'histoire du clan du Loup Gris et commença celle de Garet.

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