IV

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Freya et Mornald n'avaient pas attendus. Ils manquaient de temps. En tant que parents, ils étaient persuadés, à ce moment, de pouvoir repousser une armée entière rien qu'à la force de leur bras. La grande majorité, cela dit, des Nordiens présents et capables de se battre sur leur passage leur avaient emboîté le pas et c'était une véritable petite troupe prête à en découdre qui s'était précipité vers la rivière. Ils avaient remonté le lit avec l'angoisse de voir des petits corps flotter dans la rivière, mais plus le temps passait, plus ils perdaient espoir, et l'idée que voir un corps serait mieux que de ne rien voir commençait à faire son idée quand enfin un chasseur trouva des traces, près d'une clairière. De nouveau le coeur remplit d'espoir et enhardis, ils reprirent leur course effrenée contre l'inconnu. Ils couraient si vite qu'un homme manqua de tomber dans le même piège que Landred et ne dût son salut qu'à Mornald qui l'attrapa par le col comme si ce n'était qu'une poupée de chiffon. L'homme ouvrit la bouche pour bredouiller un "merci" rempli d'une reconnaissance sincère et éternelle mais son mot mourut dans avec son souffle quand ses yeux se posèrent devant lui et vit le corps sans vit du jeune ami du fils de son sauveur. Mornald serra les dents, bientôt rejoint par d'autres dont Freya qui se fit un chemin à coups de coudes rageurs.

— Laissez-moi passer, bordel, laissez...Merde...C'est...

— Oui, répondit stoïquement Mornald.

Sa femme le regarda et soudain, il ne la reconnut pas. Paniquée, perdue. Il lui posa une main immense sur l'épaule et la serra.

— On va le trouver.

— Le soleil commence à se coucher et...

— Freya, Mornald, vous devriez venir...

Le couple se tourna vers l'avant garde et s'approchèrent. Ils virent la troupe, notamment les cavaliers, avant de voir leur fils. Ils virent les boucliers, les étendards. Et déjà, Freya regrettait de ne pas avoir forcé Jorg à lancer immédiatement, sans attendre, une expédition punitive. Ils avaient été mous et le payaient. Ils avaient refusé d'apporter la nuit sur leurs ennemis, et l'Aube Rouge était maintenant sur eux. Elle ne connaissait pas celui qui semblait être le chef, ou en tout cas leur meneur. Il portait une armure qui n'était pas nordienne, trop lourde pour ça. Il les regardait avec un air narquois qui la fit frissonner de haine et de rage. À cet instant, où elle vit son fils à genoux, pleurant toutes les larmes de son corps devant le cheval d'un homme qui, visiblement, souhaitait la défier, elle eut une révélation. Jamais un monde où elle et cet homme pourraient vivre ensembles. L'un ou l'autre devait mourir, et ce serait de la main de l'autre. Elle serra les dents et baissa la tête.

— Où est l'autre ? Grinça t'elle, en porte-parole nature. Nous savons qu'une petite fille trainait également dans l'coin. Où est elle ?

L'homme mit une main sur la poitrine et baissa la tête dans une parodie de galanterie.

— Vous devez être Freya. Les voyageurs qui passaient dans les terres infertiles et sauvages de mon clan m'ont beaucoup parlé de vous. Je suis Galahad.

Freya, le visage déformé par la colère avait dû mal à contenir sa rage, et Mornald dût lui poser, discrètement, la main sur le bas du dos pour l'encourager. Foncer tête baissée ne servirait à rien. Elle devait faire comme lui et se focaliser sur les faits et l'instant T. Elle devait se forcer à ne pas regarder le visage rougit par les larmes de son fils. Mais, bien sûr, comme elle, il en fut incapable et lorsqu'il le vit hésiter à lever les yeux, il comprit avant tout le monde.

— Où...Est...Elle ? Grogna la Nordienne.

De narquois, Galahad devînt moqueur. Son sourire s'élargit alors qu'il écarquilla légèrement les yeux et pointa l'index au-dessus de lui. Et soudain, ils firent tous comme Mornald : ils levèrent les yeux vers les hautes branches d'un très haut pin. Un énorme silence tomba soudain, comme si le ciel tout entier était tombé sur le monde, l'engloutissant dans les ténèbres - qui d'ailleurs, commençaient à étendre de plus en plus leur emprise en l'absence de soleil pour leur barrer la route - quand ils virent le petit corps de la fillette pendre au bout d'une corde à une dizaine de mètres du sol.

— Désolé, vous arrivez en retard, fit Galahad en écartant les bras avant de devenir tout à coup très sérieux et sombre, le visage incliné. Vous avez pris la confiance, les loups. Vous avez commis l'immonde erreur d'oublier qu'après la nuit, aussi longue soit-elle, vînt toujours l'aube. Et quand la nuit est aussi cauchemardesque et difficile qu'elle l'a été pour nous, l'aube est toujours rouge, comme elle l'est pour vous aujourd'hui.

Alors que tous les Nordiens du clan du Loup Blanc rejoignirent Freya dans sa rage incontrôlable, l'homme dégaina une épée bâtarde, bien longue pour une arme Nordienne, dont il posa la pointe sur la nuque du jeune Garet qui ferma les yeux, pleurant comme un nouveau-né venant au monde.

— Tu nous sous-estime, toi qui te prétend Nordien et qui porte une armure étrangère, fit Freya.

Sven avait raison. Peu de membres du clan étaient formés à la guerre, mais ils étaient Nordiens. Les Nordiens étaient nés pour les batailles. Le sang était leur breuvage, la mort leur repas. Et cet abruti monté l'avait certainement oublié. Une lance sortit de nul part, lancée depuis la ligne qui s'était formée derrière la guerrière des Loups Blancs. Elle fendit l'air et l'armure légère d'un des cavaliers qui en fut éjecté de sa monture.

Cinq bons mètres la séparaient de son fils et de son ennemi, mais Freya les franchit en deux pas, ou presque, suivit de près par la ligne entière de tout son clan. Plus surpris qu'effrayé, n'attendant pas une telle réaction d'un clan qu'ils pensaient en pleine décadence, Galahad et les siens ne réagirent pas dans l'instant, laissant le temps à Freya et les siens de les désorganiser. La main géante de Mornald attrapa son fils par l'épaule, le leva comme s'il ne pesait rien et le recula avant de le reposer. Garet ne comprenait pas ce qu'il voyait. Des hommes se jetant sur d'autres, des cris, et au loin, des gerbes de sang. Il voyait, en flou, le visage de son père lui crier quelque chose. Mais il ne l'entendait pas, les yeux dans le vague. Ce fut la gifle, dosée, de son paternel qui le ramena à la réalité.

— Garet ! Tu m'entends ?! Fonce ! Fonce au village, préviens les et dis leur de s'organiser ! Vite ! On les retient !

Garet hocha la tête. Il avait compris le message, la mission. Mornald lui sourit légèrement.

— Vas-y fils. Prouve-moi maintenant que tu veux être un héros.

Sans attendre de réponse, le Nordien dégaina et se jeta dans la mêlée. Du temps, voilà tout ce qu'il pouvait offrir.

Freya avait raison. C'étaient des guerriers qui les attaquaient, et pas des fermiers armés d'épées et de colère. La surprise leur avait permi de gagner un temps précieux, et surtout, lui avait permi de sauver - au moins pour un temps - son fils. Mourir au combat pour défendre son clan ne lui faisait pas peur et elle savait qu'elle en entrainerait un maximum avec elle. Mais ce n'était pas le cas pour les autres, et la bataille ne fut en rien comparable à celle qui avait eu lieu devant la forteresse. Elle n'était pas propre, rangée. Le chaos règnait en maitre absolu sur la forêt, et les Nordiens tombaient de part et d'autres, parfois sans même voir l'ennemi. C'était d'ailleurs plus une "fuite combative" qu'une véritable bataille, les Loups Blancs reculant vers leur Marché.

— Restez ! Il faut les combattre ici ! Donnez du temps aux nôtres de partir ! Vociférait Freya, en vain.

Les arbres de la forêt aurait pu leur donner un petit avantage, mais ils se contentaient de gêner leurs poursuivants montés sur leurs chevaux, obligés de régulièrement ralentir le pas pour ne pas risquer une chute. Freya tentait de garder la ligne compacte, mais sans succès. Armée de ses deux glaives, elle se retourna à temps pour voir un cavalier la charger. Il tenait sa lance comme il faut, et à son visage serein, elle devina une nouvelle fois qu'il était soldat de métier. Cette attaque n'était pas dû au hasard ou à un coup de tête. Elle était préparée, et bien préparée. Ils n'avaient aucune chance. Elle s'écarta au dernier moment et blessa la bête d'un coup de chaque glaive sur son fessier. Insuffisant pour l'abattre, mais largement pour qu'elle roule sur son cavalier, lui brisant les os. Elle ne pouvait tenir la ligne, et ils ne pourraient tenir éparpillés contre une armée entrainée. Elle devait se rendre à l'évidence. La défaite était inéluctable. Elle était écrite depuis des années.

— Rentrez ! Fuyez, partez dans les montagnes ! Cria t-elle.

Il y avait un tel chaos autour d'elle qu'elle ne savait pas si des amis pouvaient l'entendre. Elle ne savait même pas où Mornald était ou s'il était vivant. Elle voyait des cavaliers. Des chevaux sans maitres. Elle était immobilisée, essoufflée. Ce n'était pas l'angoisse de la mort. Elle n'aurait su mettre de mot dessus, mais elle ne parvenait pas à suivre son propre conseil, se contentant de regarder partout autour d'elle. Elle avait envie de crier le nom de son mari, le retrouver. Mais sa voix était éteinte, bloquée par une boule dans la gorge. Elle sursauta quand elle le vit derrière elle. Cela aurait été un ennemi, elle serait morte. Elle allait l'enguirlander. La surprendre comme ça, il fallait être fou ! Mais sa bouche ne parvînt à exprimer un autre son qu'une plainte quand elle releva les yeux vers son époux. Il lui souriait, un filet de sang au coin des lèvres.

— Fais ton oeuvre, Freya. Sauve le clan.

Mornald avait vu sa femme accoucher, elle n'avait pas pleurer. Il l'avait vu perdre sa mère d'abord, puis son père. Elle n'avait pas pleuré, ni pour l'un ni pour l'autre. Pour la première fois de sa vie, il vit une larme, unique, couler sur la joue de sa guerrière préférée. Lui qui avait toujours voulu voir de l'humanité chez sa douceur, n'aimait pas ça. Il l'essuya du pouce et alors qu'elle ouvrait la bouche pour parler, il la coupa. Quoiqu'elle ai à dire, il ne voulait l'entendre. Non, elle ne pouvait le dire. Elle devait rester qui elle était, jusqu'au bout.

— Je sais, fit-il, moi aussi...

Il se retourna, dévoilant trois flèches fichées dans le dos. C'était un colosse, une masse, et lorsqu'il chargea les archers, derrière lui, en hurlant, jamais sa femme ne se sentit aussi amoureuse. Il s'était interposé entre eux et elle comme il souhaitait qu'elle s'interpose entre eux et le clan. Elle inspira profondément se retourna, et partit vers le Marché. Elle était persuadée qu'elle ne le reverrait plus. Son colosse de forgeron et mari allait s'éteindre sur ce champs de bataille pour elle.

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