III

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Quelques heures plus tôt


Garet regardait l'eau couler devant ses pieds. Elle était, ici, paisible, douce, claire, et peu profonde. Elle ressemblait à une vieille chanson pour enfant, qu'on chantonnerait en souriant. Mais il savait que le lit s'élargit un peu plus loin, triplant de taille et plus encore en profondeur, avant de se jeter dans la mer. C'était un endroit dangereux et traitre, et la noyage était un risque bien réél pour ceux qui s'y aventuraient sans prudence. Donc, pas pour Garet. C'était un endroit qu'il aimait bien. Il était beau, et il y avait souvent des grenouilles avec lesquels il aimait jouer, parfois un peu cruellement, comme savent faire les enfants. Il attendait Landred, qui avait promis de le rejoindre un peu plus tard, et cherchait de quoi s'occuper quand il entendit un petit clapotis. Il sursauta presque. La forêt était, en principe silencieuse, et peu empruntée. La chasse ne se faisait pas si près, et l'endroit ennuyait les adultes. Quant à Landred, il ne l'attendait pas si tôt. Il se retourna, ses yeux bleus écarquillés comme souvent, comme chaque chose qui le surprenait, qui le changeait de son quotidien, qui l'effrayait. Un bruissement d'aile, un cri lointain.

Mais son coeur se calma bien vite. Ou plutôt, il adopte un rythme proche, mais si lointain. La créature qui venait d'apparaître, sautant de rocher en rocher vers lui - ou plutôt en sa direction, car elle regardait ses pieds - n'était pas un gobelin ou un être démoniaque, et était même plutôt agréable à regarder. De son âge, ou peut-être à peine plus vieille, elle porte une longue robe blanche qui devait immaculée, il y a un temps, mais dont les bas étaient tâchés de boues, jusqu'aux genoux. De longs cheveux blonds ondulés lui tombaient jusqu'aux épaules que la robe laissait nues. "Elle doit avoir froid !" pensa la jeune garçon, encore bien loin de penser avec son coeur quand il regardait les filles. Pourtant, ce visage angélique ne le laissait pas complètement indifférent. Il l'entendait chantonner de loin d'une voix fluette, les bras écartés pour garder l'équilibre. Lorsqu'elle le vit, visiblement surprise, elle battit des bras et finit par tomber les fesses dans l'eau, dans un grand "splash". Garet s'approcha, lentement, presque hésitant, alors qu'un grand rire qu'il connaissait par coeur, éclata derrière lui. Landred. La jeune fille écarta les cheveux de devant son visage, révélant un visage angélique au regard mouillé mais aux joues sèches. Garet lui tendit finalement la main, avec un sourire qu'il voulait rassurant, mais elle chassa sa main du revers de sa main.

— Inutile de me tendre la main si c'est pour te moquer de moi comme le crétin avec qui tu traines !

— Hein ? Mais, je...Commença Garet.

Elle le repoussa complètement en se relevant, péniblement, et il manqua de peu de tomber à son tour. Il la regarda s'éloigner et, le temps d'une seconde, il vit comme une silouhette entourant la jeune fillette. Une silouhette qu'il connaissait, comme un fantôme connu du passé. Il réalisa tout de suite qu'il s'agissait de sa mère. Cette fille, quiqu'elle soit, avait la force de sa mère. Landred rit de plus belle, mais cette fois, c'est de lui dont il se moqua.

— Quel air nigaud ! Tu vas laisser une gamine te marcher dessus, Garet ?!

Landred avait tout du futur alcoolique. Il avait déjà un nez proéminent et si le ventre de Garet était un peu trop arrondi au goût de ses parents, celui de son ami était bien pire.

— Ferme-là toi, lança la fille.

Garet regagna la terre ferme d'un pas beaucoup plus hésitant qu'à l'aller - comment avait-il pour ne pas tomber ?! Et que diraient ses parents s'il mouillait ses vêtements ? - et se dirigea vers Landred qui suivait, lui, la fille.

— C'est qui ? Demanda t-il.

— Julie, la fille du boucher. Tu ne l'avais jamais vu auparavant ? Pas étonnant, son paternel la laisse pas souvent sortir. On dit qu'il veut la marier au fils du jarl lui-même ! (Il éclata d'un rire méchant) Quel crétin. Qui voudrait de sa mocheté ?!

Même Garet, du haut de ses huit ans pas malin comprenait que derrière le mépris se cachait tout autre chose. Et il pouvait le comprendre, voir même le partager. Il l'ignorait. La question de l'amour et des filles ne lui avait jamais traversé l'esprit auparavant. Mais s'ils suivirent Julie à travers les bois - sans jamais s'éloigner de la rivière, au grand bonheur du jeune Garet - officiellement pour l'embêter, Garet ressentait autre chose, de plus profond, de nouveau, qu'il n'arrivait à apprivoiser. Elle avait fini par arrêter de fuir, jouant avec eux. Elle était gentille, douce, mais aussi forte. Elle rivalisait en force avec eux, ou en tout cas faisait son possible pour rivaliser, et sa volonté de fer y parvenait souvent ! Au point que même Landred, qui ne la connaissait que de nom pour finir, apprit à la respecter...Comme il le savait le faire avec Garet : avec une pointe de moquerie et de condescendance. Ils ne virent pas le jour passé, s'étant repus de poissons pêchés avec la canne du père à Landred que ce dernier avait volé pendant l'absence de ses parents, présents à la réunion. Alors que le soir commençait à pointer le bout de son nez et que les trippes de Garet lui disaient de rentrer à la maison avant qu'un loup ne vienne le grignoter, ils s'étaient posés dans une clairière minuscule, où un dernier rayon de soleil plus téméraire ou tardif que les autres caressaient les brins d'herbes éparses entourant un rocher sur lequel Landred était assis, étrangement calme et taillant un petit bâton. Le jeune homme, délaissant un peu son ami, s'approcha de Julie, allongée sur le dos, les bras et les jambes écartées. Elle le regarda et lui sourit.

— Qu'est-ce que tu veux, le morveux ?

— J'suis plus jeune, mais j'suis quand même plus fort.

— Tu veux qu'on essaye ? Garet secoua la tête, provoquant l'hilarité de la future femme.

— Tu sais que tu perdras, voilà pourquoi. Comme je te comprends !

Il tira la langue, puis il le vit, et pencha la tête sur le coté. Il n'était pas rare de voir une femme Nordienne porter un beau bijou, mais le collier de Julie était...Différent de ce qu'il avait l'habitude de voir. C'était une petite tête de loup en argent. Il pencha la tête sur le côté et elle suivit son regard, avant de vite cacher le collier et de détourner le regard, visiblement gênée.

— C'est quoi ?

— Rien, siffla t'elle. Garet était un gamin remplit de lâcheté, sous toutes ses formes.

Habituellement, quand on lui disait "non", il lâchait l'affaire tout de suite, se frustrant parfois. Ce qui était une autre raison de déconvenue pour ses parents. Mais, mû par il ne savait que vent puissant, il insista :

— Je veux voir, montre-moi s'il te plait.

La jeune fille, surprise par le fait de voir un tant soit peu d'assurance chez cet enfant - de deux ans son cadet, pourtant si loin - se laissa convaincre, et sous le soleil faiblissant devant l'insistance de la nuit et de son amie Lune, passa son collier par-dessus la tête et tendit le bijou à son ami qui s'accroupit pour le récupérer et le regarder.

— Il est vraiment beau.

— Je le tiens de ma grand mère. Ça...Ça me rappele des souvenirs.

Il ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, mais une main saisit le collier et le lui arracha en éclatant de rire. Ce n'était pas un rire mauvais, ce n'était pas un rire de joie communicative. C'était le rire d'un gamin fier de sa bêtise, sûr qu'on finirait par en rire des années plus tard. Le rire d'un adolescent qui ne pensait à rien d'autre qu'à ce qu'il allait manger le soir, et à quelle bêtise il pourrait faire le lendemain. Il ne pensait pas à mal. Il ne pensait pas faire souffrir la fillette. D'ailleurs, il n'avait pas entendu la description et pour lui, il s'agissait d'un bijou comme un autre. Il s'arrêta à trois mètres d'eux alors que Julie bondit sur ses jambes.

— Rends-moi ça, le crétin.

Landred se tourna vers elle et tendit le bras, avec le collier pendant, bousculé par le vent. Garet connaissait son ami, et savait que s'il était prétentieux et arrogant, il courrait vite. Bien plus vite que lui. Et il se battait bien. Bien mieux que lui. Peut-être était-ce la vue d'une larme perler sur la joue de la jeune fille, peut-être était-ce la narguerie de trop de la part de son ami, peut-être était-ce toutes ces années de frustration, mais pourtant, il s'élança, sans savoir tout ce que ce geste provoquerait. Toute sa vie en serait liée. Tout son destin serait écrit à partir de ce premier pas qu'il fit en direction de Landred.

Aurait-il fait autrement s'il avait su ? Quelle serait aurait été la suite des évènements ? Il s'élança donc, suivit de près par sa jeune amie, bien décidée de récupérer son bien quoiqu'il lui en coûte, dût-elle mordre et griffer, frapper et hurler de toutes ses forces. Mais Landred méritait bien sa réputation, et restait bien plus rapide que Garet ou même que Julie, pourtant plus svelte et sportive. Garet se promit de ne pas abandonner, même si son ami pouvait se montrer mauvais perdant, parfois violent. Il tendit la main, bêtement, même s'il était trop loin, et que cela accentuait la sensation la distance qui les séparait. Puis soudain, alors que son ami semblait aspirer par la ligne d'horizon, l'éloignant inéxorablement de lui, il disparu soudainement. Littéralement. Une seconde il était là, une seconde il ne l'était plus. Garet s'immobilisa, mais pas Julie, qui se contenta de ralentir.

Son coeur battit tout à coup plus lentement, comme s'il rejoignait le soleil dans son sommeil naissant. Julie avançait comme si elle était encore sur les rochers dans l'eau de la rivière, les mains écartées. Lorsqu'elle fut arrivée près de l'endroit où, deux minutes plus tôt, qui semblaient être deux heures pour Garet, elle s'immobilisa et le jeune Nordien la vit mettre sa main devant sa bouche et crut qu'elle allait vomir. Mais si elle en était pas loin, elle étouffait plutôt un cri. Ou plutôt essayait, car malgré sa main, son hurlement glaça le sang de son nouvel ami qui, très, très difficilement, fit quelques pas en avant. Il vit le trou, dans un premier temps. Bien qu'il en ai jamais vu, il sut de quoi il s'agissait. Quand son esprit plaça tous les éléments les uns derrière les autres, la vérité devînt flagrante et il sut ce qu'il allait voir, et pleins de souvenirs lui remontèrent soudain et déffilèrent devant ses yeux comme s'il allait les revivre les uns après les autres. Des courses, des pêches, des bêtises à deux, des disputes. Puis il le vit et se mordit le dos de la main, presque à sang, les larmes lui venant instantément. Son ami de toujours, son seul ami, la seule personne qui n'était pas de la famille qui le supportait, était tombé dans un piège. Un piège simple mais terriblement efficace, utilisé depuis la nuit des temps : un trou, des pieux. Il était tombé alors qu'il était en pleine course, et des pointes dépassaient de sa nuque et de sa tête, on devinait aisément d'autres fichées un peu partout. Son sang tapissait déjà les pieux et continuait à couler à flot. Était-il mort ? Y avait-il une chance de le sauver ?

— Il faut...L'aider...Aide-le...Je t'en prie...Supplie...Parvînt-il à articuler.

Julie tourna son visage vers lui. Elle était si effarée, si choquée, qu'elle ne pleurait plus. Elle le suppliait d'aider son ami de toujours ? Comment était-ce possible ? Était-ce un monstre ? Elle voulut lui répondre. Elle voulut l'insulter, le frapper, mais ne le fit pas. Car des hommes apparurent de nul part. Des Nordiens, armés et en armure. L'un d'eux, le plus proche, portait une armure lourde de métal. Une armure qui n'était pas Nordienne. Il avait les cheveux longs, blonds avec d'étranges reflets foncés, et une barbe de trois jour. Malgré ça, et c'était peut-être dû au bleu puissant de ses yeux, il restait incroyablement bel homme. De plus, il était jeune, ne dépassant pas les trente ans, mais dégageait une force terrible, qui effrayerait un Dieu. En les voyant il fit un clin d'oeil et un grand sourire de hyène affamée.

— Oh. Bonjour, les enfants.

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