I

8 minutes de lecture

Quelque part dans les Montagnes de l'Ouest Northrendrais, an - 11


Bing. Bing et des étincelles. Des gerbes d'étincelles qui ne devaient pas être si grandes mais qui paraissaient titanesques aux yeux du jeune Garet. Tout comme les bras, immenses et musclés de son forgeron de père. Comme souvent, il le regardait faire, du haut de ses huit ans. Assis sur la table, il était la tête penchée sur le côté, admirant la force de son père tout en profitant de la chaleur du feu allumé dans la fournaise.

— Il se passe quoi dans onze ans papa ?

— Quoi ?

Le "Bing" du lourd marteau heurtant l'acier d'une lame couvrit sa question. Et Garet soupira. Il savait que son père n'aimait guère se répéter. Il n'était pas méchant, il n'était pas aimant. Il faisait comme il pouvait avec ce que les Dieux lui avaient donné. Il avait dit "quoi" comme s'il voulait que son fils repose la question, mais ne s'arrêta pas pour autant. Garet savait que Mornald lui répondrait s'il l'entendait, mais qu'il ne ferait rien pour. Il était comme ça. On ne pouvait jamais cerner ses pensées ou ses sentiments, et tenter de le deviner relevait du fantasme. Il se leva de la table et s'approcha de son père, à bonne distance du marteau - couard il était né, couard il mourrait disait son père - et regarda la vue qui s'offrait généreusement à lui. Le forgeron avait la chance d'avoir une maison en surplomb dans les Fjords qui offrait une vue merveilleuse sur l'étendue d'eau et les bois environnants. Ce petit bout de pays semblait d'un paisible incroyable, et pourtant il avait connu son lot de malheur, et le sort lui en réserverait certainement d'autres. Mais Garet aimait la vue. Contrairement à son terre-à-terre de père, qui ne voyait pas la beauté, quand bien même celle-ci s'offrait à lui de cette façon, telle une femme écartait ses bras devant son amant. Il jeta un regard en coin à son fils.

— Ne fais donc pas ta fillette vexée, fils, et répète donc ta question, si tu veux te coucher moins bête ce soir.

L'expression, dans la bouche de son père, était lourde de sens.

— Il se passe quoi dans onze ans ?

Mornald leva un sourcil, ne comprenant pas vraiment le sens de la question et frappa un nouveau coup. Il aimait son fils et n'avait rien contre le fait de répondre à ses questions et encore moins passer du temps avec lui, mais il avait une commande à honorer. Et le fer n'allait pas se battre tout seul.

— C'est Landred qui m'a dit ça. On est en l'an - 11.

Mornald regrettait que sa femme ne soit pas encore rentrée. Il n'appréciait pas ce genre de question. Il y était complètement démuni. Des questions simples à réponses simples, ça oui. Mais cette question demandait une sorte de savoir philosophique qu'il n'avait pas. Contrairement à son épouse, qui savait tout, qui faisait tout. Il soupira. Il devait tout de même répondre quelque chose.

— Personne ne sait vraiment. On le saura dans onze ans, j'imagine.

Garet fit la moue, mais ne dit rien. Il n'obtiendra rien de plus de son père. Il devra attendre sa mère pour en savoir plus. Bing. Il détourna son attention du paysage pour le poser sur son père. Il était grand, même pour le standard Nordien, et sa barbe atteignait son nombril. Son torse était puissant. Non, son père n'était pas poète. Ni spécialement savant. Mais son père était invincible. Bien qu'il dise l'inverse, Garet était persuadé qu'il se battait mieux encore que sa mère hache en main, alors que celle-ci faisait pourtant parti de la garde de la ville. Un silence s'installa, brisé par les puissants coups de marteau de son père. Ce dernier ne le briserait pas, mais Garet n'en avait pas terminé. Bien décidé à forcer à son père à quitter ce mur épais qu'il tentait de constuire autour de lui.

— Je voudrais être un héros.

Sa tirade eut le mérite de faire sourire l'imperturbable Mornald. Il s'arrêta même une seconde, pour hésiter à se moquer ouvertement de sa progéniture puis se souvînt de sa susceptibilité et décida de tourner sa vanne d'une manière plus "douce".

— Quelle sorte de héros voudrais-tu être, fils ?

— Bah...Un héros quoi, répondit Garet en haussant les épaules.

Il se baissa pour ramasser un caillou et le jeter au loin, l'observant disparaître à travers les branches feuillus des arbres du Fjord.

— Il en y a plusieurs sortes ? S'étonna t-il.

Ça lui paraissait étrange, mais si son père se permettait une pause, aussi brève soit-elle, pour lui en faire part, alors il voulait bien le croire. Bing. Un coup de marteau. Des étincelles. La lame prenait forme. Lentement, mais sûrement. Ce serait une lame efficace, et belle. Et donc, chère. Il ouvrit la bouche pour répondre, mais ce fut quelqu'un d'autre qui le fit à sa place, le libérant de ce fardeau.

— Celui de l'épée ou celui de la hache, ma foi ! La voix, moins grave plus éraillée, comme abîmée par le temps de son oncle, le frère de sa mère fit sursauter de joie le jeune Garet.

Il aimait follement son père, mais sa compagnie froide ternissait parfois quelques peu ses journées, et les rendait un peu plus longues qu'elles ne l'étaient vraiment. Un homme jovial comme Sven était le bienvenu. Et avait aussi l'avantage d'être apprécié par le père comme par la mère. Au grand Dam de son père, qui trouvait que ces effusions de joie enfantines n'étaient plus de son âge, Garet fonça et sauta dans les bras de son oncle, qui fit mine d'esquiver avant de le serrer un peu contre lui. Moins fort qu'à l'accoutumée, tout de même. Puis l'homme le reposa et le regarda longuement dans les yeux, offrant un spectacle étrange, tant à Garet qu'à Mornald. Sven était l'ainé de son père de vingt ans. Il n'était pas très vieux, mais ses cheveux étaient déjà bien blanchis, et commençaient même à se clairsemé. Son visage était ridé, mais ce n'étaient pas les rides désagréables d'une face abimée par le temps, non, c'étaient les rides d'excès de joie, de bonheur, de sourire. Ses yeux bleus brillaient toujours intensément.

— Ça va, fils ? Comment te portes-tu ?

— Prêt à combattre !

Sven lui ébourriffa les cheveux en souriant. Il y avait, toutefois, quelque chose d'étrange dans ce sourire.

— Où est ton ami Landred ? Tu devrais aller lui montrer de quel bois tu te chauffe !

Bien qu'il soit jeune et, lui-même l'accordait, pas bien malin, Garet n'était pas non plus le parfait idiot qu'il donnait l'impression d'être. Il comprenait très bien que son oncle ne venait pas pour le voir. D'ailleurs, il voyait déjà son père qui levait discrètement ses yeux de son ouvrage. Tout comme il savait qu'il n'obtiendrait pas de réponse de la part de son oncle, pas plus que de son père. Avec des regrets, non dissimulés, et après un ultime regard où la curiosité se mêlait à la supplication en direction de son paternel, il s'éloigna, rebaissant les yeux, en direction du village. Il ne savait pas où était Landred, et ne désirait, de toute façon, pas vraiment le voir. Ce que le petit Nordien ignorait, c'était que son père regrettait autant que lui qu'il ait à s'éloigner des choses du monde. Il désirait lui apprendre autant que son fils voulait apprendre. Mais il ne le considérait pas comme prêt. Freya, sa femme, tentait souvent de lui faire penser l'inverse, ou du moins de forcer les choses, mais il s'y refusait. Pour une raison que lui-même ignorait, Mornald souhaitait faire perdurer un peu plus cette innocence.

— Ton fils grandit. Il sera bientôt un jeune homme prêt pour la guerre ou les champs.

— Pas assez vite au goût de ma femme, soupira Mornald, comme à regret.

Bing. Une gerbe d'étincelle. C'était maintenant son quotidien, et pourtant, à chaque fois qu'il frappait, il lui semblait que la montagne et les cieux accompagnaient furieusement son geste. En tout cas, ce qui accompagna son geste ce jour-là, fut le regard insistant de son frère.

— Bel ouvrage. Tu ne perdras donc jamais rien de ton talent ?

Cette fois, Mornald ne fit pas semblant et posa son marteau et soupira.

— Quoi ?

Avec un sourire facétueux, qu'il devait plus à la prévisibilité de la réaction de son frère qu'à ce qu'il allait dire - bien au contraire - Sven se lança enfin :

— Le clan de l'aube rouge n'est pas loin.

Le clan de l'aube rouge était autrefois un clan rival au leur - le Loup Blanc - mais cela remontait au temps de leurs grands père, avant que le père du jarl actuel tranche en délimitant leurs territoires respectifs.

— Ils viennent troquer ou échanger quelques politesses, et alors ? Jorg ne peut régler ça seul ?

— Tu n'y es pas, Mornald. Ils se sont installé dans la vieille forteresse de Jørglund.

Le Nordien se raidit. Sven avait enfin toute son attention. C'était un acte de guerre.

— Quoi ? Combien ?

— Je l'ignore. Trente, peut-être plus.

Mornald observa un moment l'épée qu'il était en train de forger. C'était une commande, mais le client comprendrait, avant de se raviser. Elle n'était pas prête de toute façon. Il se rendit dans la forge.

— Et Freya ? Fit-il plus fort comme son frère ne le suivait pas.

— À ton avis, idiot ? Elle t'attend. Dépêche toi, j'ai l'impression que sa hache à soif de sang !

Finalement, il enfila à la hâte une armure de cuir simple. Il avait mieux, mais il manquait de temps. Sven avait raison. Si sa femme était prête à partir, elle ne l'attendrait pas longtemps. Et hors de question de laisser sa femme seule. Il lui avait promis maintes et maintes fois d'être toujours à ses côtés. Et il le serait toujours. Il saisit également une hache - plus faites pour la coupe du bois que pour le combat mais qu'importe, elle taillait pareil - et rejoignit son frère.

— Attend avant de parler de sang, mon frère. Le sport sera peut-être pour une autre fois.

— Toujours pacifique à ce que je vois.

— Suis-je donc le seul être vivant de ce village a avoir la tête sur les épaules ?!

Sven sourit de plus belle. Mornald pouvait faire des belles, des parades et des phrases de paix, il le connaissait et savait qu'il était tout aussi impatient qu'eux d'en découdre. Non pas qu'il ai spécialement une dent contre ce clan, mais la guerre était dans leur sang. Elle animait le quotidien de leurs ancêtres, et elle les appelait partout. Que ce soit par un ours trop curieux, une meute affamée ou un clan trop prétentieux, elle se présentait à eux. Et ils répondraient toujours présents à son appel.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Le Rêveur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0