I

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Vendredi 8 décembre. Huit heures du matin.

Elian et moi sommes partis avec l'annexe et rigolons grassement à ses tentatives pour ramer correctement. Pas si facile, au début ! Selon la façon dont la petite barque est équilibrée, il y a toujours un côté vers lequel elle dérive plus volontiers, et il faut alors compenser régulièrement en moulinant comme un forcené pour rétablir sa trajectoire.

A force d'efforts héroïques, nous finissons par regagner le bateau et y déchargeons les trois bidons de vingt litres d'eau douce que nous avons été remplir au ponton. A l'intérieur, Souryann et Juliette ont fini de ranger : à chaque chose sa place, bien amarrée pour que tout ne vole pas dans le carré au premier coup de gîte, vestes de quart et salopettes étanches sorties, cambuse remplie... ce matin, nous partons.

Carina est au mouillage devant le village de Moaña, au fond de la baie de Vigo. Il bruine et il brume sur ce petit port de Galice, et, par-dessus le marché, il n'y a pas un pet de vent. Dire qu'on va aller naviguer par ce temps ! La question de toute façon ne se pose pas vraiment : si nous voulons partir, c'est maintenant. Le créneau météo est bon, mais il est court : nous avons juste le temps d'arriver à Lisbonne dimanche matin, avant le gros coup de vent qui est annoncé dimanche soir. Allez, zou ! Le Portugal nous appelle.

Souryann regarde l'horizon d'un air vitreux et apathique. Seule une petite étincelle de fièvre fait encore briller ce regard d'habitude si enjoué. Monsieur le capitaine est en train de nous concocter sa traditionnelle petite bronchite carabinée, et sitôt que nous commençons à installer les voiles, les poulies et les écoutes, il se justifie d'un « Bon, Manon, si tu veux c'est toi quoi fait la nav jusqu'à la sortie de la baie, d'acc ? » , s'effondre dans sa bannette et se met à ronfler comme un chat asthmatique. Elian et Juliette, eux, piaillent à cœur joie en découvrant le bateau et posent mille questions sur chaque chose. Comment marche le guindeau, par où passent les écoutes de génois, oh, le beau régulateur d'allure ! … et c'est quoi, ça ? (ça, ce sont nos merveilleuses toilettes, Elian. Il aura fallu plusieurs millénaires de perfectionnement en construction navale pour en arriver à ce bijou d'ingéniosité, d'intelligence et de technologie : une planche percée au-dessus de l'eau). Quelle joie de les avoir à bord, les copains de Lozère ! Elian n'a jamais navigué de sa vie, Juliette a fait neuf mois de bateau autour de l'Atlantique l'année dernière et est toute émoustillée de remettre les pieds sur un voilier.

Nous envoyons le génois et la grand voile qui se mettent à claquer négligemment : rien à faire, il n'y a vraiment pas de vent. Juliette chantonne : pétole, pétole... ( « mais qu'est-ce que ça veut dire, péctole ? » demande Elian). Départ au moteur dans une brume épaisse pour sortir de la baie. Au large, enfin, une gentille brise nous cueille... C'est parti !

Samedi midi. La journée est délicieuse. Au lieu du bien commode vent d'ouest qu'annonçait la météo, nous avons du sud-ouest, ce qui nous force à tenir un près serré. Ce n'est pas l'allure la plus confortable mais la houle est régulière et ne s'invite pratiquement jamais sur le pont et sur nos vestes. Il fait beau, même pas froid ; Juliette et Elian se relaient aux fourneaux et nous concoctent de bon petits gueuletons arrosés de thés au miel, le moral est bon...

Souryann dort beaucoup. Il est le plus compétent de nous quatre, et n'est franchement pas au mieux de sa forme. Je m'en inquiète un peu : en mer, on n'est jamais très loin du point de bascule où une navigation paisible et heureuse se transforme soudain en moment de stress intense... Que se passerait-il, là, tout de suite, si nous avions à affronter une situation de crise ? Tout peut arriver si vite, et je me sais encore très débutante en mer. Seule, je serais incapable de mener ce bateau à bon port convenablement. Enfin, pour le moment, tout va bien, et il n'y a vraiment aucune raison que ça change : nous avons encore plus de 24 heures pour rallier Lisbonne avant le coup de vent. Au pire, il suffira de s'arrêter au port de Peniche, 60 milles avant, où nous serons tranquilles et à l'abri. Fastoche !



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