Chapitre 41 : Reddition

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21 septembre 2115, 12h00

Secteur France

Port de transbordement d'Auquereau

Les trois hommes venaient de descendre du transport civil. Ils avaient attendu que la majorité de la foule en sorte afin de ne pas se perdre dans la masse. Si quelques personnes les regardaient, aucune n'avait essayé de les approcher ou de leur parler. Certains évitaient même de les croiser et s'écartaient à leur passage. Comme tous les autres, ils prirent les grandes plateformes qui permettaient d'accéder aux villes souterraines. Chaque grande ville possédait son port à la surface, puis un réseau de galeries et de transports sur rails pour relier les plus petites ou les sites de productions. Henri les guida et héla un transport sur demande. Plusieurs badauds en profitèrent et purent également monter. Il échangea avec plusieurs personnes dans le véhicule, dont l'expression changeait lorsqu'il se mettait à parler leur langue. Hanrel, souriant, observait cela avec grand intêret.

« Alors capitaine, ces Terriens discutent et vous ne savez pas ce qu'ils disent ?

-Absolument rien. Pour être honnête, je parle plusieurs langues, mais je n'ai jamais réussi à comprendre la sienne.

-Incroyable ! »

Les gens aux côtés d'Henri se mettaient à rire tandis qu'il pointait du doigt ses deux camarades. Si cela amusait Hanrel, c'était moins le cas de Tenson. Il repensait au fait que ces personnes devaient être abandonnées. Leur rire tranchait radicalement avec les mines lugubres qu'ils affichaient en entrant dans le transport. Il se demandait combien de fois ils en avaient l'occasion. La plupart des soldats prenaient de la distance avec leur vie passée et ne gardaient contacts qu'avec un cercle très proche. Pourtant, le lieutenant semblait parfaitement à l'aise : il rappelait sans le vouloir à son supérieur qu'ils étaient égaux avec cette masse anonyme. Après un bon moment, le véhicule se mit à ralentir et arriva dans un grand couloir gris. Cela ressemblait à une petite gare, avec quelques quais mais toujours de nombreuses personnes. Ils en descendirent et marchèrent vers l'adresse qui était donnée. L'endroit n'était pas grand. Ils se firent confirmer le passage par quelques locaux, car l'intégralité du chemin ne figurait pas sur la tablette. Devant une porte métallique, il frappèrent deux fois. Le lieutenant Henri demanda :

« Comment s'appelle votre homme ?

-Selon mes données, Hitok Vanare. »

La porte finit par s'ouvrir, et un homme assez âgé apparut. Il regarda étrangement les trois militaires et Henri prononça le nom. Il n'y eut aucune réaction. Il tenta donc de lui expliquer en montrant le Martien, expliquant probablement le lien entre les deux.

« Général, cet homme me dit qu'il n'est pas Hitok Vanare et qu'il n'en connaît pas.

-Vous lui avez dit qu'il travaillait pour le gouvernement ? Inutile de lui préciser qu'il s'agit du gouvernement Martien, évidemment. Cette adresse n'a pas été notée par hasard et en cas de déplacement, elle aurait été modifiée par l'agent. »

Le Français reprit la conversation et pendant ce temps, Hanrel sortit sa propre tablette et montra une image 3D de l'agent. Le vieil homme observa, sans plus de réaction, jusqu'à ce qu'un déclic apparaisse sur son visage. Ses yeux s'ouvrirent et il tendit la main vers l'image. Il murmura quelques mots et se mit à sourire. Puis il reprit la conversation.

« Général, il me dit qu'il le connaît, mais pas sous ce nom.

-Parfait ! Où est-il ? »

Après avoir entendu la question, le vieil homme continua à sourire mais rentra, laissant la porte ouverte. Il alla se mettre assis sur son lit et attendit. Henri, confiant, entra. Les deux autres officiers le suivirent et observèrent l'endroit. Ce n'était pas grand, un peu sombre. Un mobilier un peu rustique agrémentait la pièce et un fond musical était audible. Le vieil homme était en train de préparer son repas et l'odeur était agréable. Sur l'un des meubles en bois, quelques images papier étaient encadrées. On y voyait deux hommes souriants. Les Terriens passèrent rapidement devant mais Hanrel regarda plus attentivement. Cela lui rappelait Mars et il reconnut l'un des deux.

« Hitok Vanare.

-Que dites-vous, général ?

-Cet homme a connu Vanare. Il est mort. »

Un silence pesa sur la pièce. Seules la petite musique et l'eau bouillante étaient entendues. Le lieutenant se mis assis à côté du résident et lui posa de nouvelles questions, lentement et calmement. Celui-ci répondait aimablement, en montrant le Martien.

« Que dit-il, lieutenant ?

-Il est bien mort. Il y a plusieurs années, de maladies respiratoires. Le monsieur me dit que... Et bien...

-Parlez.

-Il me dit que le Martien n'était pas habitué à la pollution.

-Alors, il sait.

-Apparemment. Mais il m'a dit qu'il emporterait ce secret dans la tombe.

-Pourquoi m'a t-il montré du doigt ?

-Il vous a reconnu comme l'un des leurs. Pas devant la porte, mais lorsque vous vous teniez devant les photos, il a compris. Il est heureux de voir que tout était vrai. Visiblement, Vanare n'en a parlé qu'à la fin, et il avait peur qu'il ait perdu la tête. »

Silencieusement, Hanrel s'approcha du vieil homme. Il lui prit les mains et le remercia. Celui-ci opina de la tête, toujours souriant, puis dit quelques mots au lieutenant.

« Il dit qu'il prépare toujours à manger pour deux mais qu'il peut partager si nous sommes dans le besoin. Il nous remercie pour ce moment agréable.

-Dites lui que ce n'est pas la peine. Remerciez le également. Insistez, dites qu'il a le cœur pur ou ce que vous voulez, mais je veux qu'il sache à jamais notre reconnaissance. »

Tandis qu'Henri achevait la conversation, Hanrel se dirigea de nouveau vers le meuble avec les photos. Il fouilla dans sa poche et en extirpa une petite médaille. Il la posa délicatement, se retourna une fois vers le vieux monsieur, puis sortit. Tenson le rejoignit et souffla longuement.

« Et bien, je dois vous avouer que je ne suis pas habitué à ça.

-Moi non plus. J'espérais ramener quelqu'un dans son foyer. Je suis désolé que vous ayez pris ces risques.

-Je pense que cela valait le coup. »

Hanrel eut malgré tout un petit sourire. Il fut convenu qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de repartir en sens inverse ou se faire arrêter.

*

21 septembre 2115, 12h00

Près de New Washington

Mine de Ravensburg

Le commandant Monacello avait fini par trouver à quoi correspondait le lieu écrit sur la note qui était dans sa chambre. Elle avait passé au moins deux heures à demander en ville à des agents ou des fonctionnaires son chemin. Finalement, tout concordait à la mine de la ville de Ravensburg. Arrivant sur les lieux, elle fût immédiatement interpellée par un ouvrier. Il tenta de lui faire comprendre qu'elle devait monter dans le bureau du chef de mine. En ouvrant la porte, elle aperçut trois hommes assis et attachés. Elle s'empara de son arme mais une voix se fit entendre derrière la porte :

« Arme à terre, commandant. »

Monacello prit son pistolet par le canon et le posa, avant de le faire glisser derrière elle. Elle mit les mains sur ses hanches, l'air impatiente, mais ne parla pas. La personne ramassa l'arme et se révéla en passant devant l'Italienne :

« Tiens donc, lieutenant Federico. Finalement, je ne suis pas étonnée.

-Je n'ai jamais dit que j'étais originale.

-Je pensais que vous seriez avec le reste du groupe.

-J'ai préféré assurer leurs arrières.

-En capturant une mine ?

-A vrai dire, non. J'ai capturé le chef de mine pour qu'il m'amène le chef de groupe et j'ai capturé le chef de groupe pour qu'il m'amène le chef de secteur.

-Et que doit faire le chef de secteur ?

-M'amener la Ministre.

-Quelle ministre ?

-Celle des Mines, cela va de soi.

-Vous êtes complètement dingue, elle ne se déplacera jamais ici, quelle que soit l'excuse.

-Sûrement. C'est pour ça que vous êtes venue m'aider. »

Federico tendit l'arme à Monacello en souriant. Celle-ci accepta de la reprendre, l'air suspicieuse.

« L'équipage de Columbus est réellement fou. Qui vous dit que je ne vais pas vous arrêter maintenant ?

-Parce que je pense que vous êtes du bon côté. Allez, je contacte le ministère. En tant qu'amie, vous pourriez m'aider à convaincre le chef de secteur ? »

*

21 septembre 2115, 15h00

Secteur France

Port de transbordement d'Auquereau

Les trois hommes étaient de nouveau prêts à embarquer pour retourner à la capitale, même si cela signifiait l'arrestation. Ils se frayèrent un chemin dans la foule qui se faisait de plus en plus compacte. Il devenait de plus en plus difficile d'avancer et bientôt, ils se perdirent l'un après l'autre. De grands individus, probablement des mineurs, se retrouvaient à chaque fois sur leur route et les bousculaient vers le bord de la foule. Tentant de lever les bras et de se repérer tout en avançant vers le grand vaisseau, chacun avait l'impression de s'en éloigner. En réalité, ils étaient poussés de toute part et se retrouvaient bloqués. Au bout d'un moment, compressé par la masse, Tenson réussit à se dégager dans une ruelle sur la droite. Essoufflé, il releva la tête et aperçut que ses deux camarades étaient dans la même ruelle. Cependant, une vingtaine d'ouvriers barraient la route et la foule empêchait de retourner en arrière. Méfiant, le capitaine s'avança vers ses amis et ils firent face en silence. Soudain, une partie des hommes s'écarta et le commandant Monacello vînt droit devant eux.

« Messieurs, ravis de vous retrouver.

-Ca par exemple. Comment avez-vous fait ?

-J'ai trouvé une amie. »

Ils furent amenés à un avion militaire posté non loin de là, mais à l'abri des regards indiscrets. Celui-ci était assez grand et visiblement bien plus efficace que les transports civils. Il était d'une blancheur assez nette malgré la poussière et le vent qui frappaient la surface. Il n'y avait aucun garde ou aucun soldat. Les trois officiers s'installèrent dans un salon aménagé dans l'appareil et patientèrent, le commandant Monacello les regardant en souriant. Une porte s'ouvrit et une autre personne les rejoignit : c'était Deborah Wedford, la ministre des Mines.

« Madame la Ministre ?

-Restez assis, messieurs. Je vous remercie d'être rentrés sans faire d'histoires.

-Pourquoi est-ce vous qui venez nous chercher ?

-Parce qu'on me l'a demandé, figurez-vous. Quelqu'un qui tient à vous et qui a estimé qu'il était plus prudent que je m'en charge. Lieutenant ? »

A la surprise des officiers, Federico entra par la même porte et salua, souriant également.

« Lieutenant, ne me dites pas que c'était ça, votre idée ?

-Je me suis dit qu'il serait nécessaire que nous ayons une discussion en tête à tête avec la Ministre. C'est le seul moment que j'ai trouvé. »

Si Tenson et Henri n'étaient pas certains de comprendre, Hanrel apprécia la technique en se doutant qu'elle avait du user d'imagination ou de persuasion. Il se lança alors pour expliquer la situation :

« Madame, je me dois de vous dire que c'est moi qui ai fait sortir vos officiers de la base. Il fallait que je...

-Je sais ce que vous avez fait, général. Etant donné que vous êtes toujours trois, je suppose que vous ne l'avez pas trouvé. Vous m'en voyez navrée. Le lieutenant Federico a préféré jouer la carte de l'honnêteté et m'a tout dit. Elle a bien fait.

-Je vois. Et la Présidente Petrov ?

-Pour le moment elle ne sait rien. Je ne sais pas si elle doit tout savoir.

-Ne craignez-vous pas une fuite volontaire ou involontaire ? J'ai cru comprendre que le commandant Monacello était attachée à la Présidente et elle est dans le même engin que nous. »

Monacello leva un sourcil et se pencha vers le général.

« Cela vous pose un problème ?

-Je suis en droit de me méfier de vous, comme vous êtes en droit de vous méfier de moi.

-Si cela peut vous rassurer, général, on ne me dit rien. Alors je ne vois pas pourquoi je devrais tout raconter. Plus le temps passe et plus ils m'écartent pour s'entourer de ministres serviles et de mercenaires stupides. Ca m'ennuie de le dire, mais le capitaine avait peut-être raison sur tout ça.

-Madame la Ministre, je ne comprends pas. Que préparez-vous ?

-Un coup d'Etat.

-Très bien.

-Mais non, andouille. Ca ne se passe pas comme cela, ici. Nous devons faire entendre raison à la Présidente. Pour cela, nous allons retourner à la capitale et la rencontrer. Vous serez honnêtes avec elle comme le lieutenant a été honnête avec moi. Pour le moment, vous êtes toujours considérés comme évadés et recherchés. Je prends un énorme risque en vous ramenant moi-même. Nous serons obligés de dire que Federico vous a dénoncé. Quant à mon implication, je trouverais de quoi répondre.

-Devrons nous rester ici ?

-En ce qui concerne les officiers Terriens, je ne peux rien garantir. Mais je pense que vous êtes plus utiles là haut, au vu de vos résultats. Quant au général, il est évident qu'il doit rejoindre sa planète sans délai supplémentaire.

-Et en ce qui concerne l'évacuation de la population ?

-Le lieutenant m'a également fait part de vos doutes, des siens, et de ceux de l'Opération Gaïa. Je tiens à vous rassurer : il n'a jamais été question d'abandonner qui que ce soit. Je superviserais avec le ministre Watanabe la dernière partie du transfert et tous les moyens seront mis à disposition. La flotte Martienne sera évidemment un atout.

-Bien. Quelles sont nos chances de succès ?

-Si vous me laissez parler, général, elles sont totales. »

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