Chapitre 42 : Transfert

6 minutes de lecture

21 septembre 2115, 18h00

New Washington

Centre de communications

« Il n'en est pas question, Wedford !

-Madame la Présidente, je me permets d'insister. Le renvoi des officiers de l'expédition Columbus sur Mars nous permettra de rétablir les choses de façon tout à fait normale. Les rapports, y compris ceux de l'ingénieur-chef Ravishna et du colonel Taizhong, démontrent que la présence du capitaine Tenson et de ses lieutenants fait redoubler d'ardeur leurs subordonnés. Ce sont des chefs de qualité et ils savent tirer le meilleur de leur équipe.

-Ils se sont évadés, ils ont signé leur réclusion forcée !

-Tout était sous contrôle : nous n'avons même pas eu à faire usage de la force pour les ramener. Voyez le côté positif : ils sont prêts à tout, déterminés et compétents. Nous ne savons pas ce qui se trame au delà de Mars mais il est évident que nous aurons besoin de gens de cette trempe. Je vous réitère donc ma demande de ne pas engager de poursuites contre ces soldats. Le Ministre Vandervoorde en parlerait mieux que moi, mais cela enverrait un signal très négatif aux forces armées. A un moment crucial où tous les moyens humains, logistiques et financiers vont être être mobilisés, cela ferait mauvais genre d'affecter des ressources à la garde de quelques officiers. Qui savent faire leur travail, qui plus est.

-Et vous ? Que faisiez-vous en France ? Il est totalement hors de votre champ de compétences d'interférer dans ce genre d'affaire.

-Le lieutenant Federico partageait la volonté de ses camarades mais pas leur goût du risque. Elle a contacté le premier appareil venu dans la base. Et le mien est en permanence connecté en mode urgent. Je me suis dit que nous lui devions bien ça. Je vous prie de bien vouloir m'excuser de ne pas en avoir référé immédiatement aux autres ministères et à votre propre cabinet.

-Trouverez-vous réponse à tout ? 

-Je vous assure que je ne joue pas, Madame. Je crois sincèrement que c'est la meilleure chose à faire. Vous avez dit vouloir partir avec la première vague de transports : votre sécurité sera maximale. Qu'est-ce qui pourrait vous empêcherait d'amener ces officiers sur Mars ? Et au passage, nous devons bien rendre le général à son gouvernement, même si sa compagnie est des plus appréciables.

-Peut-être bien, oui. Mais alors dans ce cas, Gurracha partira avec nous. Ce n'est pas parce qu'il a été neutralisé et abandonné par Columbus que nous allons le laisser en dehors de cela.

-C'est bien normal. C'est une sage décision. Peut-être devrions-nous contacter le camp de l'opération Gaïa ?

-C'est déjà en cours. Ils ont suivi nos échanges. Ingénieur-chef Ravishna ?

-J'ai tout entendu, Madame. Ici, tout le monde est prêt depuis que le capitaine Buton a passé le message. Je peux même vous affirmer que la situation s'est améliorée avec les Martiens. Les actions de certains de nos membres dans la bataille spatiale a l'air d'avoir eu des répercutions chez eux. Nous avons laissé entrer plusieurs de leurs officiers qui ont fait état d'une opinion publique élogieuse à notre sujet. 

-Vous leur faites désormais confiance ?

-Difficile à dire. Je ne crois pas encore les considérer comme des amis et encore moins comme des alliés. Mais ils ont l'air de nous respecter. Je pense que pour le moment, nous n'avons pas de soucis à nous faire quant à eux. Evidemment, je suis toujours preneur de plus de sécurité et de renforts. Des bruits courent ici, chez les locaux. Ils nous font confiance pour quelque chose qu'eux-mêmes n'arrivent pas à expliquer. Nous essayons de creuser.

-J'entends vos alertes. Rassurez-vous : nous mettez l'opération Transfert en route, la dernière du projet Gaïa. D'ici trois semaines, nous arriveront.

-Excellente nouvelle, Madame la Présidente. Je vous en remercie vivement. »

Juste avant que la communication ne s'éteigne, Ravishna se retourna vers les hommes qui étaient en arrière-plan. Il y avait bien sûr le Ministre Vandervoorde, les colonels Taizhong et Ricardo ainsi que le capitaine Buton. Dans un coin, en retrait, se tenait également Salia Abdelkrim. Lorsque les hommes, ravis, applaudirent tous à la confirmation de cette phrase finale, elle se contenta de hocher la tête. Dans le Quartier Général Terrien, le calme régnait encore. En silence, la Présidente tapota des instructions sur les tablettes des fonctionnaires qui venaient à tour de rôle dans la salle de communications. Un ministre arriva, puis une autre. Lorsque le gouvernement était réuni dans la salle voisine et que la Présidente eût fini d'envoyer ses ordres, elle regarda fixement le groupe de Colombus et le général Hanrel, qui étaient toujours sous la garde du commandant Monacello.

« Il est hors de question que je ne vous garde pas à l'œil. Si j'embarque pour Mars, vous aussi. Général, vous pourrez évidemment retourner auprès des vôtres. Quant au capitaine et ses lieutenants, vous vous mettrez immédiatement à la disposition des officiers supérieurs du projet Gaïa. Commandant, raccompagnez les à leurs quartiers et doublez la garde. »

Le groupe de soldats quittèrent les lieux et la Présidente entra dans la salle du gouvernement. Après quelques regards d'approbation de la part des ministres présents, elle appuya sur un bouton qui se trouvait devant elle.

« Soldats, ingénieurs, chercheurs, ouvriers, techniciens, pilotes, fonctionnaires, agents : nous lançons immédiatement le Projet Transfert. Vous avez tous reçu sur vos tablettes les instructions personnelles qui vous incombent. Nous nous préparons à quitter la Terre et nous avons au maximum trois semaines pour que le premier transport arrive. Chacun de nous va porter cette œuvre et nous ne pouvons pas faillir. Je suis brève car vous connaissez votre devoir. Pour la Fédération ! »

Aussitôt l'appel terminé, à travers tout le Quartier Général, chacune et chacun stoppait ses activités. On s'activait à changer de poste, de pièce, de bâtiment. Les couloirs, toujours calmes, se retrouvaient en une minute à peine bondés de personnes déterminées. Les grands transports qui étaient prévus n'étaient pas à New Washington car ils restaient à la base où ils étaient construits. Il fallait désormais transférer les équipages, les passagers, les cargaisons et les armes. Des chasseurs stratosphériques devaient être prêts à appareiller pour escorter les transports jusqu'au plus loin possible : visiblement, des menaces pirates et terroristes étaient toujours à l'œuvre, malgré la répression qui avait frappée après l'assassinat du Président Jimenez. Les caisses allaient de petites boîtes de matériel scientifiques à de grands containers où on pouvait mettre un char entier ou des matériaux de construction. Les familles des membres impliqués dans les projets Gaïa et Transfert étaient prévenues de se tenir prêtes à un départ imminent. Dans la salle du gouvernement, les membres avaient fini d'échanger et quittèrent les lieux, une partie pour se préparer au premier départ. Ils ne restèrent que la Présidente Petrov et la Ministre Wedford. Cette dernière rompit le silence.

« Je vous souhaite bonne chance, madame.

-Merci, Deborah. Vous en aurez besoin également. Vous serez en effectifs réduits jusqu'au dernier départ et ça risque d'être long.

-Ca ne me fait pas peur. »

La Russe laissa échapper un sourire, rare mais visiblement sincère.

« Je sais. Maintenant que nous allons nous quitter, soyez franche. Vous ne me respectez pas. 

-Faux. Je ne vous aime pas, mais je vous respecte. »

La Présidente sembla surprise de cette réponse. Était-ce parce qu'elle pensait Wedford incapable d'avouer qu'elle ne l'aimait pas ou incapable de la respecter ? Elle continua la conversation, douteuse.

« Le pensez-vous vraiment ?

-Vous êtes courageuse, savez tenir tête et vous abattez un travail phénoménal. Vous avez du reprendre le poste du chef brutalement, sans transition et tout le monde vous attendait au tournant. Vous vous deviez d'être à la hauteur et honnêtement, je trouve que vous avez réussi. Bien peu s'en seraient aussi bien tirés.

-Merci. Il est vrai que...

-Mais vous êtes aussi têtue, bornée, secrète et un brin paranoïaque. Cessez de croire que chaque personne que vous avez devant vous est un ennemi potentiel. Vous n'êtes plus dans les steppes d'Irkoutsk. 

-Comment le savez-vous ?

-Qu'est-ce que vous croyez ? J'ai connu le père Petrov et je sais comment il fonctionnait.

-Personne...

-Ne vous l'a jamais dit, je sais. Ils auraient trop peur d'y perdre un bras. Mais j'en ai vu d'autres. A présent, un lourd travail nous attend, Madame la Présidente. Et c'est à vous de nous guider. »

Wedford étendit alors le bras vers la porte, indiquant qu'elle suivrait Petrov. Celle-ci fixa quelques secondes sa Ministre, réfléchissant à ce qui venait d'être dit. Puis elle souri à nouveau, opina de la tête et lâcha « Alors, en avant. Mars nous attend. »

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