Chapitre 40 : Dargouant

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21 septembre 2115, 08h00

New Washington

Quartiers militaires

S'étant faufilés à travers le dédale de couloirs pour rejoindre les quartiers de résidence, le général Hanrel et le capitaine Tenson arrivaient devant la chambre du commandant Monacello. Avec sa clé, ils pénétrèrent dedans et commencèrent à fouiller les tiroirs. Ce fut le Martien qui trouva en premier la tablette et la donna au Terrien. Celui-ci éplucha les dossiers publics mais ne trouva rien. Il s'intéressa donc aux fichiers privés pendant quelques minutes, tandis qu'Hanrel surveillait la porte. Il finit par trouver ce qu'il cherchait : tous les éléments pour quitter la base. Tenson avait appris à Monacello il y a bien longtemps que tout pouvait arriver et que la première chose à se demander lorsqu'on arrivait quelque part était : comment s'en enfuir ? Le dossier contenait des horaires de patrouilles, le code d'accès à la navette du commandant, quelques adresses à travers le pays et plusieurs contacts civils ou militaires. Après avoir récupéré tout ce qui l'intéressait, il passa l'outil au général. Celui-ci entra les coordonnées qu'il possédait sur la localisation de son agent.

« J'espère que votre homme n'est pas trop loin dans la ville.

-Je l'espère aussi. Mais nous avons les coordonnées exactes, je n'aurais aucun souci. Nous allons récupérer l'adresse et nous nous mettrons en route afin de revenir le plus rapidement possible.

-Ils comprendront notre évasion rapidement, nous n'avons que quelques minutes pour évacuer. S'ils nous attrapent au retour, ce sera moins gênant. Et puis s'ils me gardent, ils ne pourront pas en faire de même pour vous. »

La tablette se mit alors à biper et une carte s'afficha. La localisation grâce aux coordonnées était en train de se faire et la carte se faisait plus précise. Mais au lieu de se centrer sur l'ancien territoire des Etats-Unis, elle se tournait vers l'Europe. Tenson, perplexe, leva un sourcil et l'adresse précise put apparaître à l'écran. Hanrel s'étonna :

« Dargouant ? Ca ne semble pas être très proche vu la carte.

-C'est le moins qu'on puisse dire. C'est à des milliers de kilomètres.

-Et bien nous prendrons un vaisseau.

-Nous ne sommes pas sur Mars, général. Nous n'avons pas les mêmes moyens de transport et nous serons recherchés partout sur la planète.

-Je ne pense pas.

-Que voulez-vous dire ?

-Faire la promotion d'une évasion, même s'ils mentent et disent que je suis Terrien, va attirer l'attention sur votre opération. Peut-être un peu trop et il suffit d'une mauvaise communication pour jeter le discrédit sur ce qu'il se passe. Je pense que votre gouvernement ne prendra pas ce risque. Votre peuple me semble moins contrôlable que le mien.

-Vous avez peut-être raison. Dans ce cas, filons. Mais nous aurons besoin de renforts. »

Retournant à toute allure dans le couloir où ils avaient été retenus, en prenant soin de paraître normaux devant les gardes qui n'étaient pas encore informés, ils s'introduisirent dans les chambres de Federico et d'Henri. Ils leur expliquèrent le plan. Tenson insista sur la présence de Henri, car il savait qu'il avait encore beaucoup de relations sur place.

« J'accepte, capitaine. Les Martiens ont tant fait pour vous et Federico que nous pouvons bien sortir un de leurs hommes d'ici. Si vous avez un transport, je me charge du reste.

-Parfait. Federico ?

-Je ne viens pas avec vous monsieur. J'ai une autre idée pour vous soutenir, mais il va falloir me faire confiance.

-Vous êtes certaine ?

-Etre trop nombreux au même endroit ne nous aidera pas. Je vais bien quitter cette cellule mais j'ai d'autres plans.

-Je ne vous en demande pas plus. Bonne chance, lieutenant. Gurracha ? »

Le Mongol ne semblait pas satisfait. Il était resté à l'écart et n'écoutait que d'une oreille. Il faisait la moue et répondit d'un air distant :

« Je ne viens pas. »

Les autres militaires le regardèrent curieusement mais il refusait d'en dire plus. Tenson tenta de le faire s'expliquer :

« Dites-nous ce qui ne vous plaît pas, Gurracha. Vous devriez être toujours partant pour ce genre de choses.

-C'est trop dangereux. Pas pour nous, mais pour l'opération. Vous allez nous faire perdre la confiance de la présidente Petrov.

-Depuis quand cela vous intéresse t-il ?

-C'est elle seule qui peut décider comment évacuer notre peuple. Nous ne pouvons pas nous mettre le gouvernement à dos.

-C'est très amusant, venant d'un pirate.

-Et l'inverse est très curieux, venant d'un militaire. »

Tenson plissa les yeux. Il ouvrit la bouche pour tenter de le convaincre mais un rayon frappa le cosmonaute qui s'écroula : Hanrel venait de le paralyser.

« Général, qu'est ce qui vous prend ?

-Croyez-vous que nous ayons le temps ? Je neutraliserais quiconque dans cette base nous retardera. Je suis certain qu'il serait allé donner l'alerte. Alors, montrez le chemin. »

Opinant de la tête, les autres Terriens se séparèrent : Tenson et Henri partirent avec le Martien vers l'un des hangars tandis que Federico partait de son côté, moins pressée. Les trois hommes partirent rejoindre la navette du commandant Monacello, ayant tout les codes et permissions grâce à sa tablette. Celle-ci était de petite facture, ne pouvait pas transporter plus d'une demi-douzaine de personnes et ne semblait pas conçue pour les longs trajets. Il fut convenu de se rendre à l'aire de grand transit la plus proche et de s'introduire dans un des transports. L'activité planétaire était si intense que chaque jour, d'immenses véhicules déplaçaient des milliers de gens à travers le pays ou d'un continent à l'autre. Les mines, les fermes hydroponiques, les industries lourdes, tout cela ne pouvait être alimenté qu'avec la contribution de l'intégralité de la population. Au milieu de cette marée humaine, le simple fait d'avoir un uniforme leur permettait d'avoir accès sans aucune restriction à n'importe quel vaisseau civil : personne ne les arrêtait ou ne leur posait de question, malgré la différence entre celui d'Hanrel et les autres. Aucun soldat ou agent de police n'était visible dans les rues, pas plus que dans le port aérien de transbordement. Il n'y avait que des travailleurs, des ouvriers, des dockers, des contremaîtres, tous plus pressés et fatigués les uns que les autres. Leurs visages et leurs mains étaient sales, autant que leurs vêtements. Le groupe parvînt à trouver une place à l'étage le plus haut du vaisseau, légèrement moins surbondé que les autres. Le Martien continuait d'observer cet environnement nouveau pour lui.

« Voilà qui est bien surprenant. Je savais que la Terre était polluée et surpeuplée, mais je n'imaginais pas ce degré de misère. Sans offense, mais regardez cette foule. Ils font peine à voir.

-Oui, vous avez raison. Etre militaire est une voie très recherchée ici. Ce n'est pas pour rien que les mercenaires sont monnaie courante : les gens qui n'ont plus rien truandent, pillent, trafiquent. Et il devient alors tout aussi rentable de les traquer.

-Je vois. Vous avez donc combattu ces gens ?

-Souvent, oui. Et ce n'était pas toujours une fierté. Nous englobons sous le terme de pirates beaucoup de monde, avec des motivations très différentes. Maintenant que j'y pense, c'est vrai que je n'ai pas vu cette misère sur Mars.

-Chez nous, la piraterie est uniquement de la truanderie pratiquée par des gens en quête de profit rapide. Personne n'y entre par besoin ou en dernier recours. Mais il est vrai que cela peut dépendre des planètes. Je n'ai jamais eu affaire à d'autres pirates avant de rencontrer votre camarade terrien.

-Il m'étonne.

-Je préfère être honnête avec vous, mes amis. Cet homme a attaqué un sommet galactique et assassiné des membres éminents. Le dirigeant Kolbarba a péri et croyez-moi, cela ne sera ni oublié, ni pardonné. Dès qu'il refera surface, il sera traqué. J'accepte de m'en tenir à votre avis mais si j'ai votre confiance, aussitôt que votre peuple sera en sécurité, l'Armée Martienne soutiendra les actions du reste de la Communauté contre la Lune Pourpre.

-Je ne lui fais pas confiance non plus. Il n'a jamais tenté de reprendre contact avec la Terre malgré ses moyens. Je reste persuadé qu'il a saisi l'opportunité de revenir en héros et s'approprier le travail de l'Opération Gaïa. Il sera facile d'endormir le public avec cette histoire de cosmonaute qui revient vingt ans après couvert de gloire.

-Ravi que nous soyons d'accord. Ne jouez-vous pas un peu contre votre camp, capitaine ?

-Nous sommes à contre vent, général. Et chaque mouvement est risqué.

-Hélas. Et vous lieutenant Henri ? Nous n'avons malheureusement pas beaucoup pu travailler ensemble.

-C'est bien dommage, monsieur. Mais le capitaine ne pouvait pas accomplir cette mission sans moi.

-Ah oui ?

-Il aura besoin d'un interprète. »

Le Martien, un peu surpris, fixa le lieutenant puis le capitaine.

« N'avez-vous pas la même langue sur Terre ?

-Tout dépend qui. Le personnel politique, l'armée de la Fédération, une partie du corps scientifique qui travaille pour les deux premiers, tous ceux là possèdent une langue commune et nous devons être bilingues très tôt. Le choix de ces carrières se fait dès l'enfance, à vrai dire. Mais ailleurs sur la planète, la grande majorité parle des langues dites basses. La ville que vous cherchez, Dargouant, se trouve dans mon secteur. Nous allons croiser des gens que nous ne fréquentons pas d'habitude et vous ne pourrez pas échanger sans moi.

-Votre planète m'étonne de plus en plus. Tout le monde est si différent. Nous n'avons jamais connu cela.

-Avouez que cela serait dommage que nous disparaissions. »

*

21 septembre 2115, 09h00

New Washington

Quartier pénitentiaire

Sortie de sa torpeur depuis quelques minutes, le commandant Monacello se remémora peu à peu les évènements récents. Elle se voyait faire appuyer sur la gâchette le Martien après avoir remis sa clé au capitaine Tenson. Se tenant la tête encore brûlante, elle tambourina à la porte fermée un bon moment. Elle tenta de faire fonctionner son communicateur mais celui-ci était brouillé à l'intérieur de la cellule. Pourtant, très rapidement, des bruits se firent entendre à l'extérieur et la porte s'ouvrit. Quatre soldats entrèrent brusquement, armes à la main, avant de constater que la personne présente n'était pas leur cible.

« Commandant !

-Heureuse de vous voir. Le capitaine s'est échappé. Le PC est-il au courant ?

-Nous devions le confirmer. Vous êtes attendue le plus rapidement possible. »

Hochant la tête, elle se mit à courir de façon déterminée, suivie par l'escouade. Elle arriva au centre de communications qui servait également de centre de commandement, et le ministre Watanabe était là.

« Commandant, je suis soulagé de vous retrouver saine et sauve. Que s'est-il passé ?

-Le Martien, monsieur. Il m'a tiré dessus par surprise avec une arme paralysante pendant que j'enfermais le capitaine Tenson. Je n'ai pu le voir qu'en m'effondrant. Ils ont du s'échapper tous les deux.

-Hélas non. Ils ont emmené avec eux les lieutenants Henri et Federico. Il semble que monsieur Gurracha ait fait de la résistance car il a également été neutralisé et est encore en train de s'en remettre. Ces gens là ne reculent devant rien. Pourquoi seraient-ils sortis ? Auraient-ils des complices ?

-Leur seul but logique est de rejoindre un vaisseau extérieur et retourner sur Mars, même si l'objectif m'est inconnu. Nous devons surveiller tout déplacement stratosphérique.

-Evidemment, vous avez raison. Transmettez les ordres, mais restons discrets. Aucun besoin d'alerter inutilement tout le monde. Nous allons bloquer toute tentative de sortie et envoyer des unités fouiller la ville et les alentours.

-Ils vont probablement chercher à s'éloigner. Je recommande un rayon de deux cent kilomètres à la surface.

-Oui, cela va de soi. Faisons ainsi ! »

Le commandant Monacello envoya ses ordres écrits en un éclair et se dirigea vers sa chambre. Elle y constata que la tablette manquait bien. Mais derrière un coin de table, elle remarqua une petite note écrite, avec uniquement un nom. En fouillant sur un terminal, elle se rendit compte qu'il s'agissait d'un lieu à quelques kilomètres de la base. Intriguée, elle réquisitionna un véhicule monoplace et décida de s'y rendre tout en suivant l'application de ses ordres.

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