Chapitre 24 : Période

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9 septembre 2115, 11:00

Vaisseau diplomatique Kolbarba

Les deux officiers Terriens étaient accueillis dans un vaisseau alien, ressemblant assez à un gros yacht de luxe. Par les multiples hublots, on pouvait observer l'environnement de la planète. Après que le transport soit redescendu sous les nuages qui entouraient le Palais, ils purent observer des jungles immenses. De temps à autre, de grandes villes étaient visibles, les bâtiments au milieu des arbres, dans de grandes bulles en verre. Quelques montagnes -plus petites que celle où ils étaient arrivés- se distinguaient également à l'horizon. Après qu'ils aient expliqués au Chambellan comment et pourquoi ils s'étaient introduits dans la résidence, ils lui demandèrent de s'expliquer à son tour :

« Comme je vous l'ai dit, je suis le Chambellan de mon Roi, et je suis chargé de veiller à toute la Maison de Sa Majesté : résidences, personnel, sécurité... Ce Palais n'est habité que quelques semaines sur une année complète, et je faisais ma tournée mensuelle de surveillance lorsque nous sommes tombés nez à nez.

-Nous sommes donc bien sur Kolbarba même ?

-Evidemment. Je ne mettrai pas un pied sur une autre planète, j'ai beaucoup trop de travail ici. Un bon Kolbarba ne quitte jamais Kolbarba, sauf pour une mission primordiale. Je plains les diplomates et ambassadeurs, vous savez.

-Pourquoi Kolbarba ?

-Pardon ?

-Pourquoi tout se rattache à Kolbarba ? Le nom de votre espèce, le nom de votre planète, le titre de votre roi.

-Ah, vous êtes curieuse. Très bien. Laissez-moi-vous expliquer la chose. Je connais Mars, vous m'avez parlé de la Terre, je vais donc vous narrer Kolbarba. L'origine de ce nom remonte à plusieurs milliers d'années. Avant cette date, notre planète était divisée en une nébuleuse de tribus, qui avaient chacune leur nom, leur blason, leur ville. Durant des siècles et des siècles, elles se déchiraient presque sans aucune raison. Puis, un guerrier s'éleva parmi les siens. Au moment où sa tribu allait être exterminée comme tant d'autres, il retourna la situation grâce à son habile stratégie, usant d'embuscades, de retraites et de stratagèmes plus ingénieux les uns que les autres. La guerre tourna en sa faveur et l'ennemi fut écrasé. Sauvant son clan, il fut proclamé chef. En quelques années, il utilisa son efficacité pour soumettre par la force les plus récalcitrants, mais il est connu pour être le seul à se servir de la diplomatie lorsque d'autres se montraient plus réceptifs, moins difficiles à persuader. Ce jeune guerrier se nommait Kol. Et lorsqu'il arriva enfin à unifier toute la planète et à faire triompher la paix intérieure, tous se mirent d'accord pour l'élever encore au rang de chef, cette fois-ci suprême. On lui décerna alors le titre de roi, « barba » en notre langue, d'où le nom de Kolbarba : le roi Kol.

-Vous vénérez donc un conquérant ? Un unificateur en tout cas.

-Oui, mais pas exactement. Si son aventure s'était arrêtée là, peut-être aurait-il pu n'être qu'un simple conquérant, peut-être n'aurait-il pas eu autant d'impact, peut-être que son nom serait aujourd'hui oublié. Mais Kol n'en resta pas là. Après deux ou trois ans de paix, les premiers vaisseaux ennemis se posaient sur notre sol. Nous étions parmi les civilisations les plus en retard, mais nous étions l'une des plus riches. Nos métaux, nos joyaux, nos ressources, nos compétences, tout cela n'avait pas échappé à nos voisins. Ils débarquèrent leurs soldats et foncèrent sur notre capitale. Et bien, mes chers amis, ils furent défaits. Par deux fois. Les attaques des autres planètes, nous croyant à bout de souffle, ne se firent pas attendre. Tous venaient : les Wygozs, les Zevoskys, les Deydriks... Les Catysmopes également, deux fois plus que les autres d'ailleurs. A onze reprises, Kol mena le combat en personne, en première ligne. Et à chaque fois, celui qui s'en prenait à notre terre subissait un effroyable carnage : notre chef, nos soldats, nos jungles les massacraient. Lorsque toutes les invasions furent repoussées avec ferveur, certains conseillaient au roi victorieux d'utiliser les vaisseaux capturés pour mener des représailles et faire payer les attaques. Mais cela ne se passa pas ainsi. Kol accorda son pardon à toutes les espèces ayant attaqué, de la façon la plus humble et la plus rassurante possible. Devant une attitude aussi respectueuse et respectable, ceux qui nous avaient agressés jurèrent de ne plus jamais attaquer notre foyer, et ils tinrent tous parole. Depuis environ trois mille années, aucun soldat étranger n'a fait d'apparition chez nous. Vous êtes les premiers, et vous ne l'avez même pas fait exprès. Nous ne vénérons donc pas un simple conquérant, nous vénérons celui qui a sauvé notre peuple et a pu par ses victoires nous maintenir en paix jusqu'à aujourd'hui. Cette paix nous a servi : en arrêtant la guerre, nous nous sommes concentrés sur ce que nous adorions déjà auparavant, c'est-à-dire l'art et donc la création. Cette planète fait sortir autant d'œuvres d'art qu'elle n'en conserve. Nous avons absolument de tout, et ce que nous faisons doit être esthétique en toute circonstance, car nous souhaitons vivre notre passion à chaque instant. »

Le Chambellan fit une longue pause et observa ses interlocuteurs. Le lieutenant Federico souriait en hochant la tête, car elle comprenait à présent. Elle avait également du mal à réaliser que le roi Kanonmar avait dit la vérité sur les autres planètes. Elle était désormais dans un vaisseau à un endroit inconnu de la galaxie et pourtant, elle se sentait en parfaite sécurité. Le commandant Zalos, lui, fronçait les sourcils et prit la parole.

« Je vous avouerai que sur Mars, nous n'avons rien qui relate le passé de cette façon. Nous n'avons rien pour nous renseigner sur ce qui se passait à cette époque. Le général Hanrel connait une partie de notre histoire, il a réussi à sauver de vieilles choses et nous en parle parfois. Mais il nous a aussi dit qu'il lui manquait des clés pour tout comprendre.

-Mars est dans une situation particulière. Votre passé vous déchire encore aujourd'hui, et il est peu aisé d'en parler avec un représentant de votre espèce. Parce que cela vous fait mal, certes, mais surtout parce que vous ne connaissez plus votre Histoire. Mais oubliez cela. Laissez moi vous expliquer ce que nous allons désormais faire. Je vais vous conduire jusqu'à notre cher souverain, qui vous posera certainement de nombreuses questions sur vous. Je ne sais pas totalement pourquoi il tient à vous voir en personne au lieu de vous renvoyer chez vous, mais ses ordres sont ses ordres, et il aura raison. D'ailleurs, nous allons arriver à la capitale. Ne vous étonnez pas des regards curieux que vous aurez, les seuls étrangers sur la planète ne sortent pas de leurs ambassades. »

Le vaisseau diplomatique arriva alors en vue d'une grande plateforme. Plusieurs vaisseaux étaient déjà posés dessus. Certains étaient clairement d'autres vaisseaux diplomatiques, d'autres de simples transports, mais on constatait sans problème que certains étaient munis de canons. Même si les Kolbarba avaient cessé la guerre, il était évident qu'ils n'avaient pas commis l'erreur d'abandonner leur capacité défensive. Leur propre vaisseau se posa à son tour dans un coin de la plateforme, et tout le monde en descendit. A peine la rampe d'accès abaissée, ils purent voir une haie de gardes identiques à ceux qu'ils avaient combattus dans le Palais. Les deux rangées attendirent que le Chambellan et ses invités soient au milieu, puis les soldats firent un quart de tour et se mirent en marche vers l'entrée du bâtiment, extrêmement somptueux. Il n'y avait aucun doute quant au lieu : les gardes, les vaisseaux, le luxe de l'endroit, tout indiquait qu'ils étaient arrivés au palais royal de Kolbarba. Lorsqu'ils approchèrent des grandes portes, les soldats repartirent en ordre, chaque colonne de son côté, en même temps que le passage s'ouvrait devant les trois individus. Suivant le Chambellan, les officiers en profitaient pour admirer les lieux. Les tableaux et les tapisseries recouvraient les couloirs et les salles, les plafonds et les sols constituaient de grandes fresques, tandis que des chants et des musiques se faisaient entendre dans divers endroits. Cà et là, on rencontrait un groupe d'aliens concentré à écrire. A chaque mètre, on voyait la trace d'une production. Après une marche d'au moins quinze minutes, le groupe arriva devant une autre grande porte. Après que le Chambellan se soit signalé et ait informé les gardes de l'identité des deux personnes qui le suivaient, ils purent tous rentrer. Etonnamment, la salle très grande ne comportait presque aucune œuvre. Il n'y avait qu'un livre à l'air très ancien posé dans une vitrine sur la gauche, un appareil diffusant une musique assez douce sur la droite et une énorme toile recouvrant le mur en face de l'entrée. Sur le sol, c'était le blason Kolbarba qui était peint, et le mobilier n'était composé que d'un bureau et d'une armoire. Derrière ce dernier se trouvait un homme, assis, avec une barbe d'un gris très foncé, avec peu de cheveux. Son visage était profondément marqué par son âge plus qu'avancé, et il mit un certain temps avant de relever la tête et de s'apercevoir que quelqu'un était entré. Mais à la grande surprise du Martien et de la Terrienne, sa voix était celle d'un homme d'une quarantaine d'années. Elle ne tremblait pas et il n'hésitait sur aucun mot :

« Enfin ! Voici les deux étrangers que mon Chambellan a surpris dans ma résidence. Certains vous diront que vous avez beaucoup de chance de me rencontrer, mais je pense que c'est l'inverse. C'est un immense honneur pour moi d'être en face d'un officier Martien, je n'en ai jamais rencontré. Mais surtout, d'un officier venant de la Terre. Dites moi, soldats, quels sont vos noms ?

-Commandant Zalos, sire.

-Lieutenant Federico.

-Zalos et Federico. Je retiendrai ces noms pour un bon moment. J'ai reçu plusieurs rapports de mon ambassade sur Mars. Il semblerait que la solution se soit très modifiée, là haut. Coup d'Etat réussi, ancien Conseil déchu, pourparlers entre Martiens et descendants de rebelles... Votre planète est profondément marquée par l'arrivée de ces Terriens.

-Ce n'est pas vraiment l'arrivée des Terriens. Ils étaient là lorsque la crise a débuté, mais ils n'y sont pour rien.

-Pas grand chose ne nous échappe, commandant Zalos. Qui s'est levé en premier contre votre Conseil, en face à face ?

-Et bien, le général Hanrel, enfin, juste après que le capitaine Tenson n'ait quitté la pièce, puisque... 

-Ah. Vous comprenez désormais ? Dites moi alors qui a lancé le désaccord ?

-C'est Tenson. C'est le Terrien.

-A présent, dites moi qui est allé vous délivrer et vous a fait venir, inconsciemment, par la suite et la force des évènements, sur Kolbarba ?

-Federico.

-Qui attire les regards de votre peuple, les foudres des Catysmopes, et mon intêret ?

-Les Terriens.

-Vous comprenez à présent ? La sortie des Terriens de leur planète commence déjà à se faire sentir. Des changements politiques majeurs se sont déroulés et vont encore se dérouler avec leur intervention plus ou moins volontaire. »

Federico fit alors un pas en avant et parla :

« Attendez ! Qu'êtes-vous en train de dire ? Nous ne sommes pas responsables de ce qui se passe. Mon capitaine et moi-même nous sommes retrouvés au beau milieu d'une crise politique et avons fait ce qui nous semblait juste, rien de plus.

-Je le sais, je le sais. Je ne vous reprochais rien, rassurez vous. Je suis simplement en train de dire que moi, j'ai compris ce que cela signifiait.

-Quoi donc ?

-Votre arrivée. C'est le premier bouleversement capital après deux mille ans. C'est la troisième planète que vous touchez depuis votre arrivée, après Mars et Orthor. Bientôt, que vous le vouliez ou non, toute la galaxie aura les yeux tournés vers vous, et vous apporterez des changements plus grands encore sur toutes les planètes.

-Je ne suis pas sûr de comprendre.

-Nous changeons de période ! »

Cette fois, c'était le Chambellan qui s'avançait vers le roi :

« Majesté ! Êtes-vous certain ? On ne change pas de période aussi facilement ?

-Ce n'est pas facilement, cher ami. Rien ne sera très facile ces prochaines années, et nous ne tarderons pas à le constater. »

Zalos sortit de son instant de doute et reprit part à la conversation :

« Changer de période ? Vous voulez dire, de période du temps ?

-Exactement, commandant. Mais cela est parfaitement inconnu pour notre officier de la Terre. Dans la galaxie, le temps est divisé en périodes. Il y en a actuellement trois : l'Antique, l'Origine et l'Unifié. Le point de départ de l'Antique remonte il y a six mille ans, et nous ne savons pas vraiment ce qui était auparavant. Puis, il y a trois mille ans, un vaste mouvement de conquêtes internes frappa la majeure partie des planètes, suivie immanquablement de l'émergence de chefs conduisant de nouveaux Etats. Ce mouvement marque l'entrée dans la deuxième période, l'Origine. Ce n'est pas l'origine de l'univers, mais l'origine de nos planètes telles qu'elles le sont aujourd'hui. Ensuite, il y a deux mille ans, les planètes ont commencé à se regrouper et à tisser des liens, créant une communauté galactique se donnant des règles plus ou moins communes. L'Unifié venait de débuter.

-En quoi cela concerne la Terre ? On nous a dit que nous avions été mis à l'écart.

-Je suis totalement persuadé que votre arrivée marque l'entrée dans une quatrième période.

-Et qui décide de cela ? Vous ?

-Oh, je n'aurais pas cette prétention. Il s'agit du Conseil supérieur.

-Le quoi ?

-C'est un conseil composé des plus hauts représentants de trois peuples bien à part. Ils se réunissent sur le système central sans que personne ne soit au courant, et s'ils décident que la galaxie change de période, un représentant de chaque espèce, soit trois ambassadeurs, se rendent dans la capitale de chaque système pour en informer les responsables. Ces derniers transmettent ensuite l'information à leur peuple.

-Et si les gens refusent ?

-Personne n'a jamais refusé quoi que ce soit au Conseil Supérieur.

-Ils exigent beaucoup de choses ?

-Non, justement. Rien. Les seules fois où ils se montrent, c'est lors d'un changement de période. Le reste du temps, on ne sait pas du tout ce qu'ils font, ce qu'ils pensent, ce qu'ils veulent. On connaît simplement leurs planètes natales, leur nom, leur apparence. Mais je vous apprendrai cela en temps voulu. En attendant, je vais vous présenter à mon gouvernement. Nous avons beaucoup de choses à mettre au clair, et de nombreux sujets à aborder. »

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