Chapitre 23 : Retrouvailles

9 minutes de lecture

9 septembre 2115, 09:15

Campement Terrien

Le capitaine Buton et le capitaine Tenson arrivaient au camp de l'opération Gaïa. Lorsque le Britannique fut reconnu par les premiers membres de Columbus qu'il rencontrait, la nouvelle se propagea telle une trainée de poudre dans toute la base. Absent depuis presque deux mois et ne pouvant donner aucune nouvelle, l'officier faisait enfin son retour parmi les siens. Si les mercenaires, voyant leurs camarades rentrer avec des pertes, étaient prêts à réagir, les autres Terriens accouraient. Ceux des autres expéditions avaient entendu parler de lui par les membres de la première et voulaient rencontrer celui dont on parlait tant. Il saluait chaleureusement chacun de ses camarades, jusqu'à se retrouver en face d'Henri. Les deux hommes se prirent dans les bras.

« Alors lieutenant ? J'espère que vous avez bien tenu le camp en mon absence.

-Au début oui. Mais depuis un moment, je suis loin d'être seul, ne vous inquiétez pas. Je vous présente la docteure Abdelkrim, responsable de la section Recherche de l'opération.

-Enchanté, madame. Je suis parti si vite que je n'ai pu vous accueillir.

-Moi de même, capitaine. Le lieutenant m'a beaucoup parlé de vous, comme à tout le monde. Suivez-moi s'il vous plaît, je vais vous conduire aux autres officiers. »

Tenson emboîta donc le pas à la jeune femme et fut amené près des officiers réguliers.

« Mon capitaine, voici le colonel Ricardo et le capitaine MacLean. Et leurs propres officiers, le lieutenant Magnusson et le lieutenant Ndongo.

-Je suis très heureux de tous vous rencontrer. Je suis certain que vous saurez sans problème nous aider du mieux possible. Veuillez me pardonner pour mon arrivée impromptue.

-Nous vous remercions, capitaine. Je pense que vos conseils seront plus que précieux pour notre équipe fraîchement arrivée. Nous avons entendu beaucoup de bien de vous.

-Si tel est le cas, je me ferais un plaisir de vous assister. Mais dites-moi, où est le colonel Taizhong ?

-En pleine réunion avec la ministre et l'ingénieur-chef dans la navette de commandement, monsieur. Ils ont demandé à ne pas être dérangés.

-Oh. Ils sauront bien me faire une petite place.

-Mais capitaine ! »

Sans ajouter un mot, Tenson se dirigea droit vers la navette en question. D'un regard, il fit écarter les gardes qui l'accueillirent avec le sourire puis il entra. Il ouvrit d'un coup sec la porte de la salle de communication, faisant se retourner les deux hommes qui étaient à l'intérieur.

« Tenson ! » s'exclama le colonel.

La ministre regardait avec intérêt celui qui venait s'entrer. Voilà de retour l'homme dont on parlait à presque chaque réunion, en se demandant où diable il avait pu aller se fourrer. Il était à présent dans son écran, droit et sérieux. Quant à Ravishna, il se souvenait également de lui. La dernière fois qu'il l'avait vu, c'était au centre de recherche de Kourou, la veille du départ de l'expédition Columbus. Il paraissait aussi assuré qu'à l'époque, et l'autorité naturelle qu'il dégageait se faisait de nouveau sentir. Le capitaine se mit au garde à vous :

« Moi-même, mon colonel. De retour de la mission d'ambassade auprès du peuple Martien.

-Quel est cet uniforme ?

-Celui d'un capitaine Martien, monsieur. Ils m'en ont fait présent assez récemment, de même qu'au lieutenant Federico. C'était une façon de nous remercier.

-Federico ? Elle est avec vous ? Le lieutenant Henri et plusieurs de nos hommes témoignent qu'elle a été enlevée par des machines de Martiens, ceux-là même qui vous retenaient ! »

Petrov interrompit soudainement le Chinois :

« Laissez le capitaine s'expliquer, colonel. Il sait mieux que nous ce qui lui est arrivé.

-Je vous remercie, madame la ministre. Je vais vous résumer la situation depuis que je suis parti chez les Martiens. J'ai pu obtenir une promesse d'aide mutuelle de leur part. Ils m'avaient assuré qu'ils m'aideraient encore plus si je les aidais à se débarrasser d'un gros problème de piraterie, qui persistait depuis des années. Avec leur armée, nous avons donc pu trouver la solution, et par la même occasion libérer le lieutenant Federico, retenue par les pirates.

-Nous n'avons pas eu beaucoup de nouvelles, et aucune aide de leur part malgré vos actions. Comment l'expliquez-vous ?

-La situation s'est compliquée par la suite. Une crise a éclaté entre l'Armée et le gouvernement. J'étais avec les militaires, dans leur quartier-général. Les forces de sécurité nous ont assiégés, puis attaqués. Durant l'assaut, j'ai été fait prisonnier avec un colonel Martien. Puis, une nuit, le lieutenant Federico et le général en chef Martien sont venus nous libérer. Nous avons du nous séparer en nous enfuyant, le général et moi d'un côté, le colonel et Federico de l'autre.

-On dirait que vous avez eu droit à un peu d'action. Mais alors je ne comprends pas pourquoi elle ne vous a pas accompagné.

-Attendez, attendez. Le lieutenant et le colonel ont atterri on ne sait-où, mais apparemment pas sur Mars.

-Attendez, quoi ?

-Oui, c'est une histoire assez compliquée. Mais nous avons pu entrer en contact, et ils vont bien. Je me permets de continuer. Le général et moi-même sommes allés chez l'amiral en chef de la flotte Martienne, nous l'avons rallié, et ils ont ensemble procédé à un coup d'Etat militaire qui à réussi. Désormais, ils règlent leurs vieilles querelles tandis que j'ai été chargé d'amener à ce camp l'ambassadeur d'une autre espèce, d'une autre planète.

-Et où est cet ambassadeur ?

-A environ une heure de marche d'ici, étendu, mort, dans la poussière de la planète, après que le capitaine Buton l'ai abattu. »

Un silence plana dans la pièce. Taizhong fixait Tenson mais il était difficile d'appréhender ce que son expression faciale pouvait dire. Ravishna en revanche, se retournait vers la ministre Petrov et échangèrent des regards pleins de doutes. La Russe reprit la conversation :

« Seriez-vous en train d'accuser le capitaine Buton de meurtre ?

-C'est plus ou moins cela, oui. Nous nous étions arrêtés pour faire une halte, lorsque lui et une partie de ses hommes nous ont pris à parti. L'escorte et l'ambassadeur ont été massacrés, et plusieurs mercenaires sont tombés. Ce sont les premiers morts Terriens sur Mars et c'est extrêmement grave.

-Il a attaqué en premier et tué au combat l'ambassadeur ? C'est cela que vous nous dites ?

-Il ne l'a pas tué au combat. Je ne l'ai vu tirer sur personne, hormis sur ledit ambassadeur, et dans le dos.

-Vos accusations sont très graves. Etes-vous conscients de ce que vous faites ?

-Je ne fais que rapporter les faits que j'ai vécus, madame.

-Vous êtes bien outrancier de le faire ainsi. Vous revenez après avoir passé presque deux mois à sympathiser avec les Martiens, en ayant fait preuve d'ingérence dans des problèmes politiques intérieurs Martiens, vêtu d'un uniforme Martien, et vous osez maintenant accuser le capitaine Buton de mettre en péril le projet ? Serait-ce le fait qu'un autre capitaine soit là pour vous remplacer qui vous gêne ?

-J'ai rencontré le capitaine MacLean il y a quelques instants. Elle m'a l'air parfaitement disposée à remplir sa mission, et je suis très heureux qu'un capitaine comme elle soit parmi les hommes. Mais ce Buton et les siens, je sais ce qu'ils sont. Je peux le voir rien que sur leurs visages, dans leurs yeux, dans leur façon de parler, de marcher, de tenir leurs armes. Rien d'autre que des mercenaires, qui n'ont pour valeurs que l'argent et la facilité. Le gouvernement n'aurait jamais dû engager ce genre d'individus pour une mission comme celle-ci. Le sort de l'Humanité repose en partie sur des bandits. En parlant de cela, où en est le plan d'évacuation de la population ?

-Capitaine ! Comment osez vous tenir ce discours séditieux ? Vous menacez l'opération. Vos propos pourraient créer un vent de rébellion au sein de nos hommes. Est-ce vos Martiens qui vous l'ont demandé ? Avez-vous été retourné, capitaine Tenson ? A qui va votre allégeance ?

-Pas le moins du monde. Je suis rallié à la même chose depuis des années et des années : l'honneur. Je sais bien que c'est un mot qui est assez disparu du vocabulaire actuel, mais je tiens à l'employer encore un peu.

-Bien. Colonel Taizhong, je suis obligée de vous demander de mettre le capitaine Tenson aux arrêts. Nous ne prendrons aucun risque.

-Il ne peut pas m'arrêter, madame. Je suis l'officier supérieur chargé de l'expédition Columbus. A ce titre, personne dans cette base n'a le droit de procéder à mon arrestation, hormis s'il en a reçu l'ordre clairement établi dans ses missions. Tout cela est parfaitement stipulé dans les protocoles exceptionnels du projet Gaïa.

-Très bien, puisque vous voulez jouer. Restez tranquille encore un instant. Dès la prochaine expédition, vous recevrez quelqu'un qui sera expressément mandaté pour vous mettre aux arrêts. Cela est correct, à présent ?

-Totalement. Quitte à être arrêté, je tiens à l'être de façon légale et bien faite. En attendant, je vous souhaite une bonne journée. »

Il fit demi-tour aussi sèchement qu'il était entré, laissant les trois personnes totalement pantois.

«Ce capitaine...

-Je vous l'avais dit, madame.

-Non. Vous m'aviez dit qu'il était un officier qui suivait les ordres qu'on lui donnait sans se poser des questions, et qu'il obéissait. Ce n'est pas ce qu'il vient de nous prouver. Vous avez entendu ses paroles, messieurs. Vous devez impérativement le surveiller, parce qu'il est dangereux pour la bonne conduite de la mission. Si les hommes venaient à parler comme lui, je doute fort de notre succès. Maintenez-le à l'écart, jusqu'à ce que la prochaine expédition ne se pose. A partir de ce moment, le capitaine Tenson ne nous posera définitivement plus de problèmes. »

Le capitaine profita de son retour pour visiter le nouveau camp, beaucoup plus agrandi. Il était satisfait du travail de ses hommes, et allait voir chacun et chacune pour leur demander ce qu'ils avaient réussi à faire. Il feuilleta plusieurs rapports, discutait de lui ou de la mission avec tel ou tel membre d'équipage, sous les regards curieux mais chaleureux des autres officiers.

« Vous avez vu, capitaine MacLean ? C'est précisément comme cela qu'il faut être avec ses hommes. Vous les côtoyez déjà, mais apprenez à les côtoyer comme ce Tenson le fait. Il ne se sent pas distant comme Taizhong ou supérieur comme Ravishna. Il se place à la même hauteur qu'eux.

-Il se voie comme un simple soldat, mais avec des responsabilités en plus ?

-Je pense que c'est quelque chose comme cela. Et c'est de cette façon qu'il faut penser. Les hommes voient quand on leur porte un réel intérêt. Ndongo ! Vous voyez comme il leur parle ?

-Je qualifierais cela d'autorité douce.

-C'est presque cela. En réalité, il n'a pas vraiment besoin d'être autoritaire. Son statut d'officier lui confère déjà l'autorité nécessaire, et elle ne s'annule que s'il l'utilise mal. Il ne fait que rajouter une certaine douceur et de l'affection envers eux. Un bon officier aime ses soldats. Un excellent officier les aime comme ses enfants. L'Armée doit être une famille, et c'est ce que nous avons sous les yeux.

-Loin de Buton.

-Ah, celui là ! Qu'on ne m'en parle même pas. Et vous, lieutenant Magnusson ? Que retenez-vous du capitaine Tenson ? 

-Un homme qui a réussi à tenir deux mois hors de ses lignes mérite notre attention. A t-il réussi sa mission ? Depuis notre arrivée, aucun mouvement suspect des Martiens, et c'est peut être grâce à lui. »

Ne soupçonnant pas être aussi scruté par ses pairs, Tenson traversa le camp pour rejoindre son lieutenant, tout sourire.

« Alors, mon Français préféré. Que diriez-vous de parler un peu ?

-Avec plaisir mon capitaine. Vous n'avez pas idée de comment nous vous attendions ici.

-Je crois qu'au fur et à mesure, je commence à le comprendre. Mais il n'y avait pas besoin de s'inquiéter. Après tout, ce n'est pas la première fois que je suis dans une posture délicate.

-Ça, non. Et je sais que ce n'est pas non plus la dernière.

-Alors préparez vous psychologiquement pour la prochaine fois. Venez, éloignons nous. Nous seront plus à l'aise. »

Les deux hommes marchèrent jusqu'à l'entrée du camp, discutant de la mission. Sur le chemin, ils croisèrent Abdelkrim et discutèrent quelques minutes avec elle, avant qu'elle ne reparte vers le laboratoire, pressée par le travail. Ils sortirent alors de la base, surveillés de loin par les mercenaires. Une fois assez éloignés pour parler en toute tranquillité, Tenson changea de sujet.

« A présent, Henri, dites moi tout.

-Tout ? Tout sur quoi ?

-Sur la tournure des évènements.

-Comment cela ?

-J'ai très bien vu la façon dont les officiers se regardent entre eux. Taizhong ne sait pas où se mettre et Ravishna panique. Quant à Buton, cet âne est complètement dingue. Bon sang, il y a des hommes morts à quelques centaines de mètres, tout cela peut virer au drame.

-Vous soupçonnez quelque chose ?

-Non. Mais je m'inquiète. Je leur ai rappelé le plan d'évacuation qui a été mis de côté. J'espère que ça va les faire réfléchir. Dites à nos hommes de se renseigner discrètement sur ceux de la nouvelle expédition mais leurs officiers me font bonne impression. En revanche, surveillez les mercenaires. Ils n'auraient jamais dû venir. »

Annotations

Vous aimez lire Rochambeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0