Chapitre 20 : Ricardo

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7 septembre 2115, 9:00

Palais des Nuages

En une semaine, le lieutenant Federico et le commandant Zalos avaient eu le temps de s'accoutumer à une vie éloignée de tout contact extérieur. Ils avaient bien évidemment tenté à plusieurs reprises de faire le chemin en sens inverse en repartant dans le passage secret, mais il semblait que celui-ci était devenu impraticable. Ils ne trouvaient pas le mécanisme d'ouverture, peut-être n'y en avait-il même pas, et lorsqu'ils tentèrent de la briser pour passer en force, ils ne purent à peine que l'érafler. De toute façon, le réemprunter ne pourrait que les amener de nouveau dans la résidence du délégué de l'Intérieur : puisqu'ils n'étaient pas au courant de la nouvelle situation politique sur Mars, ils étaient persuadés que cela signifierait leur arrestation immédiate. En attendant, ils continuaient donc leur petit séjour, tentant chaque jour de trouver un moyen de sortir du domaine ou de contacter quelqu'un. C'était dans ce but que les deux officiers montèrent au sommet de la tour principale du palais. Ils tentèrent avec acharnement de faire fonctionner leurs communicateurs respectifs, et ce fut celui du Martien qui grésilla en premier. On n'entendait qu'un bruit indistinct et entrecoupé de très courts silences. Le commandant commença à donner son nom et son matricule, puis à demander qui était en communication. Il n'eut pour réponse que des mots complètement inaudibles : on comprenait que quelqu'un disait quelque chose, mais on ne savait pas quoi. Il coupa puis ralluma son gadget, avant de retenter d'entrer en contact. Plus rapidement que la fois précédente, les bruits se firent encore entendre. Cette fois, c'était la voix qui initiait la conversation. Réglant petit à petit l'appareil, le commandant pût améliorer la qualité sonore, jusqu'à ce que l'on distingue nettement les paroles de l'interlocuteur.

« Ici le général Loggs Hanrel. Commandant Zalos ! Est-ce vous ?

-Général ! Par le Grand Kanonmar, bien évidemment que c'est moi !

-Enfin ! Vous ne répondez pas depuis la semaine dernière, tout le monde s'effraie de votre disparition. Comment se fait-il que vous n'ayez pas été en contact avec nous depuis autant de temps ?

-Monsieur, les communicateurs ne fonctionnaient pas. Nous sommes actuellement au sommet de la tour, peut-être que c'est cela qui nous permet d'établir la communication.

-La tour ? Mais quelle tour ?

-Oh, je ne vous ai pas encore dit. Le passage secret ne nous a absolument pas conduits chez l'amiral Nox.

-Nous non plus. Avec Tenson, nous sommes arrivés à l'ambassade Catysmope. Mais où êtes-vous alors ?

-A vrai dire, je n'en ai aucune idée. Nous sommes dans un palais, sur une montagne, sans aucune possibilité d'en sortir. Et complètement vide : nous n'avons été en contact direct ou indirect avec personne depuis que nous sommes arrivés.

-Je ne vois même pas où vous pourriez être. Nous allons tenter d'initier un processus de localisation. Repostez vous dans deux heures au sommet de cette tour, nous vous donnerons des résultats, avec un peu de chance.

-A vos ordres mon général. Les choses ont donc évolué ?

-Oh que oui. L'amiral Nox s'est rallié, et avec son aide, nous avons fait tomber le Conseil. Nous sommes en pleine transition politique. Le grand Etat-major de l'Armée et de la Flotte devient le nouveau Conseil et est en train d'établir un gouvernement provisoire. Kanonmar est maintenu Roi pour le moment, mais nous allons demander aux Martiens s'ils souhaitent qu'il conserve son titre ou non. Peut-être que notre action aura aidé à chasser leur peur du changement. Du moins, je l'espère.

-Mais la situation est excellente alors !

-Non commandant. La situation sera excellente lorsque nous vous aurons récupéré tout les deux. Le lieutenant Federico va bien ?

-Très bien monsieur. Elle est en ce moment-même à mes côtés.

-Impeccable. Dès que nous saurons où vous êtes, nous viendrons vous chercher. Hanrel, terminé.»

Zalos rangea son communicateur dans son uniforme et resta un moment silencieux. Federico rompit le silence :

« La bonne nouvelle, c'est qu'ils vont tous bien. Et que l'opération a réussi.

-En effet. Nous n'aurions pas pu espérer mieux. Reste à attendre qu'ils nous localisent, puis qu'ils viennent.

-J'espère que vous n'êtes pas trop déçu, Zalos. Les congés sont finis !

-Allons, c'est une très bonne nouvelle ! Redescendons, nous n'avons pas encore mangé. Nous remonterons dans deux heures, comme le général nous a demandé de faire. »

*

7 septembre 2115, 10:00

Campement Terrien

Depuis que l'ingénieur-chef Ravishna lui avait confié la mission de repérer les positions de futurs avant-postes, le capitaine Buton s'était affairé. Il partait chaque après-midi avec une partie de ses hommes pour établir un périmètre de sécurité assez vaste, au grand soulagement des autres membres de l'opération. Le mercenaire était toujours froid, distant, hautain et parfois simplement mauvais, particulièrement avec l'expédition Columbus. Presque chaque jour, Henri recevait plaintes ou remarques diverses le concernant. Etant donné que les récents évènements ne les mettaient pas réellement en de bons termes, le lieutenant ne reprenait pas ses hommes et les laissaient s'exprimer librement. Si l'Américain avait été un officier militaire en bonne et due forme, peut-être aurait-il exigé malgré tout un respect vis-à-vis de la hiérarchie, comme il le faisait pour le colonel Taizhong, parfois froid lui aussi. Ce matin, Buton faisait son rapport quotidien à son supérieur quant à la mission de la veille. Pendant qu'il parlait, ce dernier aperçut de nombreux points de lumière grossir dans le ciel, derrière l'officier. Il lui demanda donc de se retourner :

« Qu'est ce que vous voyez ?

-Des météorites ?

-Vous pensez ? Nous n'avons aucun moyen de nous sécuriser face à ça !

-Il faut évacuer au plus vite !

-Je contacte le poste de guet, qu'ils tentent d'y voir plus clair. »

Ravishna appela alors les guetteurs, qui après plusieurs minutes d'observation et de grossissement des points, rendirent leurs comptes. C'était des navettes, et des navettes de la Fédération Terrienne.

« C'est impossible. Ce ne peut-pas être Cook, ils seraient bien trop en avance.

-Ce ne peut-être que nos renforts, rien d'autre n'est prévu.

-Mais... »

Au bout de plusieurs minutes, les points se changèrent en formes floues, jusqu'à ce que ces mêmes formes deviennent des silhouettes de navettes, qui muèrent enfin en véritables navettes, plusieurs mètres au dessus du sol, se posant sur la surface Martienne à la verticale. Il y avait deux grosses navettes de transport de personnel, et quatre navettes cargos pour le transport du matériel préfabriqué. Elles se posèrent près des autres, ce qui donnait une impression curieuse d'aire de stationnement. Avec Cook, c'était exactement quatorze navettes de transport ou cargos qui étaient arrivées sans encombre. Les portes s'ouvrirent, et tous les membres de la troisième expédition en sortirent. Le capitaine MacLean et un officier de grande carrure s'avancèrent vers Taizhong, Buton et Ravishna.

« Messieurs, ravie de vous voir réellement. Permettez-moi de vous présenter le colonel Ricardo, chargé du commandement de l'expédition Cook.

-Colonel, c'est un plaisir pour nous également.

-Merci monsieur l'ingénieur. J'ai lu tous les rapports du lieutenant Henri, et il semblerait que les relations ne soient pas au beau fixe avec les martiens, c'est bien cela ?

-Effectivement, elles ne le sont pas du tout. La tension est palpable. En revanche, nous avons des renseignements concernant le capitaine Tenson. Il aurait fini sa mission auprès des Martiens, mais s'est embourbé dans une histoire de politique intérieure qui ne le regardait pas. Pour l'instant, il est retenu avec eux. Quant au lieutenant Federico, toujours pas de résultats. Nos recherches dans le secteur n'ont rien donné, et les locaux maintiennent qu'ils ne savent même pas qui elle est.

-Ils vous disent la vérité sur Tenson, quelle qu'elle soit, mais mentiraient sur Federico ? Je pense qu'il y autre chose.

-S'il y a quelque chose, nous ne savons pas quoi.

-Lorsque les informations devront arriver, elles arriveront. En attendant, mettons sur un pied un camp digne de ce nom. Et si les Martiens reviennent, il faut que les relations soient aussi bonnes qu'auparavant.

-Mais ils retiennent nos hommes !

-Justement. Ne rajoutons rien de néfaste à la situation. Apaisons la situation ici et peut-être qu'elle s'apaisera pour le capitaine.

-Colonel, en tant qu'ingénieur-chef, je supervise l'opération jusqu'à l'arrivée d'un supérieur direct. Vous n'avez aucune exigence à avoir, aucun ordre à me donner. Vous êtes sous mon commandement, et c'est tout.

-C'est cela, oui. Vous n'avez pas su gérer les contacts avec la population Martienne ni assurer la sécurité de vos officiers. Je me permets de prendre la direction des opérations. Si vous avez quelque chose à me faire remarquer, faites moi passer le mot par le capitaine MacLean ou le colonel Taizhong. Maintenant, aidez les hommes à décharger le matériel. Que tout le monde participe, et les choses iront beaucoup plus vite. »

Sur le côté, Abdelkrim et Henri avaient tout entendu.

« Ce colonel m'inspire confiance.

-Le capitaine aussi. Les deux là ont l'air de remettre à leur place Ravishna et Buton, ce qui me plaît beaucoup.

-Vous pensez qu'ils ont amené d'autres lieutenants comme vous ?

-S'ils sont aussi sympathiques, je l'espère. »

*

7 septembre 2115, 11:00

Palais des Nuages

Comme convenu, les deux officiers remontèrent au sommet de la tour, et Zalos rebrancha son communicateur. Il parvînt finalement à le faire fonctionner et contacta le Quartier Général de l'Armée. Presque immédiatement, un opérateur prit la transmission et mit le commandant en relation avec Hanrel.

« Alors mon général ? Des nouvelles ?

-Effectivement, nous en avons. Sur la base de votre appel, nous avons balayé toute la surface de la planète afin de vous localiser.

-Très bien. Et donc ?

-Et donc, les radars sont très clairs. Vous n'êtes pas sur Mars.

-Pardon ?

-Vous n'êtes pas sur Mars. Vous n'êtes localisable nulle part, pas même dans les provinces qui ont fait sécession.

-Mais...Nous avons emprunté un simple passage secret. On ne change pas de planète en passant dans un souterrain !

-Nous n'y comprenons rien non plus, je vous le dis. D'autant plus que nous sommes retournés à la résidence du délégué. A la place d'une statue, il y en avait plusieurs, chacune ayant apparemment une issue différente. Mais celle que vous avez dû emprunter refuse désormais de s'ouvrir. Nous avons pensé à la faire sauter, mais c'est trop risqué pour le moment avec les combats qui s'y sont déroulés. Pour le moment, nous allons élargir notre périmètre de recherche aux planètes voisines, mais cela prendra beaucoup plus de temps.

-En espérant que des voisins ne prennent pas mal le fait que vous tentiez de récupérer deux officiers arrivés sur leur planète on ne sait comment.

-Surtout si l'un d'entre eux est Terrien. Je ne dis pas cela pour vous, lieutenant, mais plus d'un responsable planétaire serait déstabilisé en l'apprenant. Dites moi au moins que vous n'êtes pas sur Orthor ?

-Il n'y a ni déserts ni volcans, alors je pense que non. Et tant mieux, parce qu'à deux, ce serait dur d'endiguer un flot de Catysmopes enragés.

-Ne riez pas trop commandant. Je souhaite que cela n'arrive jamais. Fixons un rendez-vous. Tous les deux jours, à midi pile, vous monterez comme vous venez de le faire pour que nous vous donnions des renseignements sur l'avancée de nos recherches. En attendant, essayez de vous renseigner aussi de votre côté. Peut-être trouverez-vous des informations dans ce fameux palais.

-Nous n'avons pas encore fouillé la bibliothèque et les bureaux. Nous allons nous y mettre, peut-être que cela nous apportera quelques réponses. Zalos, terminé. »

Cette fois, le Martien avait retrouvé ses couleurs. Une réelle conversation avec Mars était nécessaire, même si plusieurs questions étaient en suspens. Ils retournèrent au rez-de-chaussée et se dirigèrent dans la grande bibliothèque. Ils fouillèrent pendant trois longues heures tous les rayons, mais il n'y avait que de la littérature et des ouvrages concernant la Terre. Ils furent surpris de trouver autant d'informations : faune, flore, histoire des différentes civilisations, même des images. De gros volumes permettaient de se documenter sur la planète, mais personne ne pouvait y accéder. Le commandant assura même qu'il n'avait jamais vu aucun livre de ce genre. Après avoir refermé un énième livre, les deux officiers firent une pause et engagèrent la conversation, Federico parlant en premier.

« Pensez-vous qu'ils réussiront à nous trouver rapidement ?

-Je ne sais pas du tout. Tout dépend si nous sommes éloignés de Mars ou pas.

-Et bien, nous avons de la lecture. »

Le commandant Zalos se mit à rire et continua d'observer les ouvrages. Il ne comprenait pas pourquoi personne n'avait jamais parlé de toutes ces connaissances sur Mars, et ne comprenait pas non plus qui les possédait.

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