Chapitre 2 : Départ

7 minutes de lecture

Surface de la Terre

13 juillet 2114

Site de décollage des navettes

En ce jour, tout est prêt, engins comme équipages. Ces derniers sont chacun en colonne de deux, leur officier en tête. Chacun retient son souffle, et l'appréhension se mêle à l'envie. Casques sous le bras, ils s'apprêtent à sortir. Le colonel Taizhong se retourne vers ses hommes et leur lance :

«Je ne ferai pas de discours, car vous savez toutes et tous ce que l'on attend de vous. Vous accomplirez votre mission sous mon commandement. Le dos droit et la tête haute !»

La grande porte d'acier coulisse, laissant paraître la surface désolée de la Guyane : seuls les trois transports et les installations nécessaires à leur décollage se distinguent. La saleté et la pollution donnent au ciel une couleur entre le brun et l'orange, des amas de poussière traversent la zone, et les rares personnes sans masques toussent de dégoût. Quelques épaves de véhicules, quelques vieilles caisses parsèment ce qui était autrefois le centre spatial, à la surface. Les restes en ruines des entrepôts et des centres de commandes sont encore visibles aux alentours. De chaque côté des équipages, des centaines de personnes en combinaisons attendent au garde à vous, créant un chemin tracé jusqu'à la tribune, surplombée par un écran géant. L'Ode à la joie, devenue l'hymne de la Fédération Terrienne, laisse retentir ses premières notes. Aussitôt, les officiers s'avancent de leur pas militaire, suivis par les membres de l'expédition Columbus. Une fois le groupe arrivé à la tribune, le visage du président de la Terre s'affiche sur l'écran géant. Discours barbant, voix lassante, personne n'écoute sérieusement et l'appréhension devient impatience. Après quelques minutes, le président lance «Bonne chance».

«La chance n'existe pas» murmure Tenson, avant de donner l'ordre de grimper dans les navettes. Les derniers chargements sont faits, ainsi que les derniers rapports du matériel et des équipements. Un homme et une femme en civil arrivent alors au sas de la navette et interpellent le capitaine Tenson :

«Bonjour monsieur, permettez-nous de nous présenter. Je suis Delaram Yazdi, et voici mon confrère Ethan Harris. Nous sommes tous les deux journalistes et nous avons une accréditation du gouvernement pour couvrir l'expédition Columbus.

-La presse ? J'ai été prévenu tardivement. Pourquoi ne vous-êtes vous pas présentés avant ?

-Consigne du ministère. Ils nous ont assuré que nos justificatifs seraient suffisants.

- Si cette accréditation est valable, je n'aurais effectivement pas le choix. Si vous pouviez montrer tout ça au major Malou, je vous en serais reconnaissant, je n'ai hélas pas trop de temps.

-Merci tout de même, capitaine».

Les journalistes se présentèrent donc à l'un des officiers subalternes de l'opération. Après une vérification minutieuse et une confirmation électronique, il donna son accord. Tenson décida de placer Yazdi dans la Pinte et Harris dans la Nina, le colonel Taizhong occupant la place supplémentaire de la Saint Mary. C'était la première fois que lui et Tenson se rencontraient, à quelques minutes du départ. Le Chinois entra dans le sas et resta droit, jetant un œil à tout ce qui l'entourait. Il était un peu plus petit que Tenson, le visage rond et ferme. Après avoir analysé l'environnement et les membres d'équipage, il salua son capitaine :

«Enchanté de vous rencontrer, capitaine Tenson. On m'a dit beaucoup de bien de vous.

-Moi de même, colonel. On m'a évoqué votre compétence. Comment se fait-il que vous ayez été transféré si tard dans l'expédition ?

-Je n'en ai aucune idée. Je n'avais pas demandé à en faire partie, mais le Ministère de la recherche m'a contacté en me disant que mes compétences seraient profitables à l'expédition. On m'a dit aussi que puisque vous dirigiez une des trois équipes, vous n'auriez peut-être pas le temps de faire le travail de synthèse et de comptes-rendus pour le ministère.

-Et qu'en pensez-vous ?

-Vous gérez ces équipes depuis des années. Je préfère ne pas vous sous-estimer et je me demande si je vais réellement servir à quelque chose. Je ne sais même pas ce qu'il y a dans toutes ces caisses.»

Tenson esquissa un sourire, que Taizhong lui renvoya.

«Ne vous inquiétez pas colonel, tout le monde aura son utilité une fois sur Mars.»

Cela faisait maintenant trois heures depuis la fin du discours du président. C'était la procédure habituelle. Les réservoirs sont alors mis sous pression, les moteurs sont allumés. Puis, à la fin du compte à rebours, dans un vacarme assourdissant et au milieu d'une tempête de poussière, les trois appareils décollent les uns après les autres en direction de l'espace, leur trajectoire se courbant petit à petit.

*

Navette Saint Mary

Poste de pilotage

«Ouvrez une communication avec la Pinte et la Nina.»

Tenson, Taizhong et deux techniciens se trouvaient dans le poste de pilotage de la navette. En face d'eux, deux écrans étaient fixés à la paroi. Ceux-ci grésillèrent le temps des réglages, puis deux visages apparurent. Sur la gauche, c'était celui du lieutenant Henri : cheveux et yeux bruns, grand, la trentaine, les mains dans le dos, l'air aimable. Sur la droite, c'était celui du lieutenant Federico : brune également, à l'air plus jeune que Henri, elle paraissait sévère mais un sourire chaleureux atténuait cette impression.

«Henri, Federico. A présent que nous sommes en vol, je me dois de vous transmettre nos objectifs précis. Le voyage durera un peu, alors nous aurons tout le temps d'en parler par la suite. Premièrement, la reconnaissance. Notre but est d'évaluer si oui ou non, notre peuple peut se redéployer sur Mars et reconstruire notre civilisation en harmonie. Nous allons donc devoir procéder à de nombreux relevés : atmosphériques, topographiques, nous allons devoir analyser le contenu des sols. En bref : nous devons établir un rapport précis de cette planète selon notre expérience personnelle et directe.

-Oui monsieur, conformément à ce que l'on nous a transmis.

-Je n'ai pas fini. Deuxièmement...»

Le capitaine fit une pause. Le colonel Taizhong savait de quoi il allait parler et les deux techniciens échangèrent un regard intrigué.

«Deuxièmement, l'établissement. Deux cas de figures sont envisagés. Soit la mission est un échec et nous repartons sur Terre, soit la mission est une réussite. Et dans ce cas, nos ordres ont changé. Nous devrons utiliser les ressources restantes non pas pour rentrer, mais pour nous établir momentanément sur la surface Martienne.

-Vous voulez dire que si Mars est acceptable comme foyer, nous devrons y rester ? Seulement nous pour l'instant ?

-Exactement. Nous préviendrons le centre de lancement qui avertira le gouvernement. Des mesures seront alors prises pour commencer à évacuer la population Terrienne vers notre position. Des navettes de type cargos de transport ont commencées à être construites en même temps que nos propres navettes, une flottille est donc presque déjà opérationnelle. Ce sera une opération coûteuse en temps et en argent, mais c'est le seul espoir que nous ayons.

-Mais capitaine ? Comment allons-nous évacuer 21 milliards de personnes avec des cargos ? C'est impossible.

-Je le sais aussi. Je crois que nous faisons partie des personnes assez privilégiées pour ne pas rester sur cette Terre.

-Nous allons laisser des milliards de gens sur cette poubelle ?

-Ecoutez bien, tous les deux. Nos ordres ne sont pas de trouver comment évacuer ces gens. Je suis sûr qu'en temps voulu, le gouvernement se rendra compte que c'est possible, et il le fera. Personne n'abandonnerait autant de gens à une mort certaine. Pour le moment, nous ne pouvons pas les contredire. Bref. Nous avons de quoi établir un campement qui nous servira de base en attendant les résultats de nos tests. Si tout est positif, nous donnerons le feu vert pour que les renforts arrivent. Lorsqu'ils seront là, tout sera beaucoup plus simple pour tout le monde, j'en ai la certitude. J'en viens désormais au troisième objectif, la défense. Personne sur Terre ou dans ces navettes ne sait exactement ce qu'il y a sur Mars. Peut-être qu'il n'y a rien, bien sûr. Mais peut-être que si. Et s'il y a quelque chose, et que ce je ne sais quoi viendrait à être hostile, il faudra tenir notre position un long moment. Cela risque d'être dur, mais nous sommes surentraînés et suréquipés. Je sais que je peux faire confiance à chacun de vous. Et concernant le transfert de la population, je préférerais que les deux journalistes n'en entendent pas parler."

Henri et Federico eurent le même réflexe et tournèrent la tête dans leurs postes de pilotage respectifs.

«Je vois, ils sont dans vos cabines ?»

Les deux officiers hochèrent la tête d'un air gêné.

«Et bien ça vaut peut-être mieux ainsi. Tout le monde est au clair avec cette mission maintenant. Sur ce, nous reprendrons la conversation quand l'un de nous en estimera le besoin. Tenson, terminé.»

Les différents écrans de communication s'éteignirent. Tenson sortit de la cabine et fut rejoint par Taizhong.

«Vous pensez avoir fait le bon choix ?

-Vous auriez peut-être préféré que je ne dise rien. Mais je ne dissimulerai pas la mission à mon équipe. Nous avons nos ordres et ils devront les suivre comme nous.

-Je comprends. Mais ce sont des ordres très difficiles. Est-ce qu'ils accepteront de tout accomplir pour remplir cette mission ?

-Ils s'en voudront probablement toute leur vie, mais pour le moment il n'y a pas d'autre choix. Ce sont des professionnels, je sais que leur sens du devoir sera plus fort que tout.

-Vous pensez réellement que le gouvernement tentera d'évacuer le reste de la population ?

-Honnêtement je n'en sais rien. Je l'espère. J'aimerais que nous ne soyons pas complices de l'abandon de milliards de personnes.

-Moi non plus. Mais vous avez raison. Pour l'instant, ce n'est pas encore notre problème.»

Les navettes continuèrent à filer vers la planète Mars, pour les semaines de voyage qu'il y avait à faire. Le transfert de la population ne fut pourtant plus évoqué.

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