Prologue

7 minutes de lecture

Du sang, il y a du sang partout, il recouvre les murs, le sol, le plafond, teintant le monde d'un rouge sombre et violent.

Je n'ose pas regarder, ou plutôt je ne veux pas voir ce que j'ai fait de mes propres mains, voir les cadavres sur le sol, ces corps sans vie dont j'ai moi-même provoqué la mort.

Cependant, je n'ai d'autre choix que de contempler et ce que je constate me fige. Ce couple, celui qui m'a gentiment adopté, sans poser de question, gît maintenant démembré, des morceaux de leurs corps éparpillés un peu partout dans la pièce.

Un haut le cœur me secoue de la tête aux pieds et je sens le monde se mettre à tourner autour de moi.

Je me réveille en sursaut, un rêve ! Ce n'est qu'un simple rêve, comme à chaque fois. Enfin pas vraiment un songe, un souvenir cauchemardesque plutôt.

J'ai encore la nausée, mais il me suffit de quelques respirations calmes pour réussir à la faire passer.

J'essaie de me lever du lit. Cependant, dès que je bouge, le bras qui m'entoure resserre sa prise sur moi, me collant un peu plus contre le torse chaud et musclé de mon dernier client de la nuit. Il lâche un petit grondement de mise en garde.

Je me tourne vers lui. Il est plus âgé que moi, avec des cheveux noirs grisonnant sur les tempes, une barbe de trois jours, des rides commencent à peine à marquer son visage. Son corps est fort, charpenté.

Depuis quelques mois, c'est toujours avec lui que je finis mes nuits. Il tient absolument à être mon dernier client sans que je sache vraiment pourquoi.

Les rayons du soleil, que les rideaux filtrent très mal, pointent doucement à travers les fenêtres et l'un d'eux va justement se poser sur les yeux de cet homme couché près de moi. Il les ouvre en bougonnant un peu mais dès qu'il me voit, un large sourire étire son visage entre deux âges, dévoilant une rangée de dents très blanches :

- Bonjour toi, murmure-t-il.

Je lui rends son sourir. Après, tout il a payé pour cela, je ne vais pas le décevoir :

- Salut, tu as...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que je me retrouve dos à lui, avant de le sentir se glisser lentement en moi, avec un marmonnement rauque.

Je me mords la lèvre en lâchant un couinement de plaisir tandis qu'il se met à bouger les hanches, me faisant agripper les draps en gémissant de plus belle :

- Mmmmmmmm.

Il continue d'aller et venir et je finis par sentir un liquide chaud jaillir en moi pendant que moi, je me lâche sur les draps, les tâchant encore plus qu'avant. Sans desserrer son étreinte, il me susurre tout contre mon oreille :

- Mmmmmm Killian.

Son sexe se retire de mon fondement et me tourne vers lui pour m'embrasser, je le laisse faire. Il m'avoue en caressant ma joue :

- Je t'aime Killian.

Ces mots ne me touchent pas, j'aurais pu y croire si je ne savais pas qu'ils sont totalement faux. Ils disent tous cela après l'amour, alors j'ai appris à ne plus y attacher d'importance car je sais parfaitement que cette phrase n'est pas sincères.

Je ne réponds pas, me contentant de le laisser encore me lover contre lui. Je réfléchis sur ce que je m'apprête à lui annoncer. Je sais que cela lui fera sûrement mal, je suis conscient qu'il s'est attaché à moi et cela me rend triste de devoir lui annoncer la décision prise. Je respire un grand coup et sans me retourner, les mots sortent de ma bouche :

- Je vais partir.

Il m'adresse un regard surpris dans lequel je peux aussi voir de la tristesse :

- Tu vas partir ? Pourquoi ? Quand vas-tu revenir ? questionne-t-il avec précipitation.

Je prends une deuxième grande respiration et le regarde le plus sérieusement du monde :

- Je ne peux pas te dire pourquoi je m'en vais. Je ne reviendrai pas, je suis désolé.

Il me dévisage, les yeux écarquillés. Je ne peux pas lui avouer pourquoi je suis contraint de faire cela. Comment lui faire comprendre que je suis en danger ici ? Qu'ils vont finir par me retrouver si je ne pars pas ailleurs ? Comment lui dire que si je lui explique tout, il sera condamné à mort lui aussi ? Je ne peux pas, je refuse de signer son arrêt de mort !

- Je ne veux pas que tu partes ! Tu n'as pas le droit de me quitter ! lance-t-il.

Tout à coup, il me chevauche en me plaquant contre le lit et alors que je tente de me libérer de sa prise, il essaie de me convaincre de rester auprès de lui en mettant en avant le plaisir qu'il y a entre nous, mais cela ne me fera pas changer d'avis.

Après avoir joui, il s'allonge à mes côtés, épuisé et s'agrippe à moi tel un désespéré recherchant de l'affection, son visage enfoui dans mes mèches noires :

- Tu vas rester finalement ? demande-t-il avec espoir.

Je secoue la tête, je sais que je l'afflige, mais il le faut, pour notre bien à tous les deux... Et puis il s'en remettra, des mecs comme moi il y en a plein dans les bordels de la ville, il en trouvera facilement un autre qui pourra le satisfaire comme moi je l'ai fait :

- Non je suis désolé, je dois quand même m'en aller, tu vas t'y faire ne te bile pas.

- Je vois...

Sa voix a un ton résigné, il a sans doute dû comprendre que je ne changerais pas d'avis, peu importe le nombre de fois qu'il me fera l'amour :

- Quand pars-tu ? me demande-t-il.

- Dès que tu seras sorti d'ici.

- Je ne peux sans doute pas te retenir auprès de moi, mais je peux encore t'aider.

Je le regarde, interloqué. Il me sourit et passe délicatement sa main sur ma joue en une tendre caresse. Je me laisse aller à cette tendresse, c'est agréable, je ne vais pas refuser ce dernier geste aussi délicieux. Il me dit :

- Je vais te donner autant d'argent que je peux.

Je rouvre les yeux d'un coup, vraiment très surpris cette fois, je ne m'attendais vraiment pas à sa générosité :

- Quoi ? Non pas question ! refusé-je avec véhémence.

Ce n'est pas qu'il soit trop pauvre pour cela, je sais qu'il a de bons revenus, mais je n'aime pas l'idée d'être assisté. Bon c'est vrai que j'ai besoin d'argent et je sais que me rendre service est sa vraie motivation. Mais je ne sais pas pourquoi, le fait de recevoir son aumône ne me plaît pas.

- Pourquoi « pas question » ? Je me doute bien que ce n'est pas avec ce que tu gagnes que tu vas tenir longtemps avant de pouvoir t'installer dans une autre ville Killian.

- C'est vrai mais...

Il fronce les sourcils et met un doigt sur ma bouche pour me faire taire :

- Il n'y a pas de "mais" Killian, tu n'as qu'à te dire que c'est ce que je paie pour toutes les parties de jambes en l'air de ce matin et puis voilà.

Je vois bien qu'il ne lâchera pas si facilement le morceau et son idée d'ajouter un supplément pécuniaire pour tout à l'heure me convient car ainsi je n'aurais pas l'impression qu'il le fait par pitié :

- Bon... D'accord, lâché-je avec résignation.

Il me sourit et m'embrasse avant de me câliner. Cela me fait bizarre, je n'ai plus l'habitude qu'on se montre aussi tendre avec moi et je profite une dernière fois de ce bien-être qu'il m'offre.

Nous passons le reste de la matinée à nous faire des câlins. Je sais que c'est dur pour lui alors je le laisse profiter un peu.

Vers midi il se lève, visiblement à regret et il s'habille pendant que je fais de même :

- Killian, lâche-t-il tout en terminant d'enfiler ses habits.

- Oui ?

Je me dirige vers lui, il me tend de l'argent, beaucoup d'argent et même si je suis très gêné de le prendre, je m'y résous, le mettant dans mon porte-monnaie avant de hausser un sourcil en remarquant un bout de papier. Il doit comprendre ma question muette car il me sourit un peu avant de m'expliquer :

- C'est mon numéro, si tu as besoin de quelque chose ou si tu as des problèmes, même si je ne suis pas dans la même ville que toi, je voudrais que tu me demandes de l'aide d'accord ?

Je suis ému de sa gentillesse. J'acquiesce de la tête en rangeant le bout de papier dans ma poche. Il a l'air triste et il s'approche de moi pour venir m'enlacer et m'embrasser. Puis il chuchote à mon oreille :

- Sois prudent Killian et bonne route.

Finalement, il part sans se retourner et je reste quelques minutes au milieu de la chambre, sans bouger... Pourtant, je dois encore préparer mon paquetage, aussi je me secoue un peu et me dirige vers une grande armoire contre le mur du fond.

Je l'ouvre et attrape un vieux sac à dos usé caché au fond d'une étagère. Toute ma vie se trouve dedans. Il contient tout ce dont j'ai besoin, c'est à dire pas grand-chose.

Parfois quand je regarde mon bagage et que je vois que ma vie se résume à peu, j'ai envie de pleurer. Cependant je ne le fais pas, je dois être fort, car si je ne le suis pas, personne ne le sera pour moi. C'est une leçon que j'ai apprise il y a longtemps et je ne suis pas près de l'oublier. Je suis tout seul.

Je regarde une dernière fois autour de moi, cette chambre aux murs marron, aux rideaux bleus et au grand lit deux places qui prend presque tout l'espace. Je ne reviendrai pas ici, je le sais et après un ultime regard, je quitte cet espace puis je me mets en route pour une destination inconnue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Samildanach ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0