Chapitre 6 - deuxième partie

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– Ainsi, tu me crois couard ! Je vais te montrer que je ne crains pas le Saxon et t’en rapporter une tête ! s’exclama Nabil avant d’enfourcher dans la foulée une monture et de s’en aller dans un galop ponctué de « Yah ! Yah ! » comme on l’entend dans les westerns.

Arrivé à la hauteur du « Frêne des 4 fers », sanctuarisé par les autochtones, il obliqua pour s’enfoncer dans la forêt à une demie lieue du campement qu’il venait de quitter.

– Ce niais va se jeter dans la gueule du loup en entrant dans la sylve, commenta Jonas à l’adresse de Pépin, j’ai vu des Saxons s’y réfugier à la fin des combats.

– Nous aurions dû le prévenir...

– Trop tard, repondit le roi d’Eckohn avec un léger sourire. Et puis, personne ne lui a demandé d’aller combattre ! Il n’est plus un damoiseau, il sait ce qu’il convient de faire...! conclut-il en invitant son interlocuteur à l’accompagner jusqu’à la tente du Magne : viens, Pépin, allons informer Charles que le dernier embauché est devenu chasseur de tête.

Les deux compères oubliaient que, loin d’être débile, Nabil avait acquis une longue expérience de baroudeur à travers le monde. Lui aussi avait remarqué ces hommes se repliant dans les bois.

Peu après avoir passé l’orée, il s’était arrêté, délaissant son cheval pour grimper dans un tilleul monumental et attendre. Et non pas dans l’idée de cueillir des feuilles pour s’en faire une tisane.

Il resta ainsi assis un long moment sur sa vieille branche avec laquelle il aurait pu se lier d’amitié. Au bout de deux heures, sa patience fut récompensée. Des pas lents, prudents, approchaient en faisant craquer des brindilles mortes qui reposaient en paix sur la terre humide.

De son perchoir, il aperçut un casque passer sous l’arbre. Un casque Saxon à n’en pas douter, car il ne faisait pas un crâne d’œuf à celui qui le portait, comme le modèle franc.

Une fois l’homme arrivé à sa verticale, d’un coup de reins Nabil se fit choir sur lui. Acte imprudent car, à l’inverse de ce qui se passe dans les films, on risque de se faire très mal, de se casser une côte, qui sait, même de s’éclater le foie !

D’ailleurs, Nabil en fut estomaqué et faillit perdre connaissance sous la violence du choc. Mais il ne resta pas longtemps à terre et se releva promptement, se tenant le ventre d’une main, cherchant son épée tombée dans les feuilles de l’autre, pour parer la riposte. L’ennemi, cependant, gisait de tout son long sur le sol, sérieusement estourbi. Alors, pour parfaire la tâche, Nabil leva l’épée puis la rabattit en transperçant le poitrail du Saxon.

Il entreprit ensuite de le déshabiller (n’ayez pas d’idées coquines) et en fit de même afin d’échanger les vêtements.

Il avait eu de la chance que le premier arrivé ait à peu près sa corpulence, voilà pourquoi il n’avait pas hésité avant de l’assaillir.

Une fois tous deux rhabillés, Nabil lui enfila au majeur une belle bague richement ornée. Cela lui fit un pincement au coeur car ce bijou était un souvenir subtilisé à Haroun (Al Rashid et non Tazieff car il n’était pas volcanologue mais calife de Bagdad, une ville ou l’on savait s’éclater sans que ce soit mortel). Puis il considéra le travail. Un détail encore à régler : il reprit son épée, trancha le cou de l’autre puis fit rouler la tête perdue dans un trou et la recouvrit pour qu’elle n’éveillât pas l’attention d’un éventuel compagnon à sa recherche. Il hissa ensuite le corps sur son cheval qu’il mena jusqu’à la lisière de la forêt. Là, il donna une claque sur l’arrière train de la monture. Celle-ci le prit mal car c’était une jument qui n’aimait pas qu’un homme lui tapât sans vergogne sur les fesses. Elle tenta une ruade mais n’atteignit pas l’objectif. Vexée, elle partit au trot, le ballot morbide sur le dos, en direction du campement des Francs où elle y avait son ami Achille l’étalon, accomplissant de fait la volonté de Nabil.

Celui-ci n’en avait pas fini avec son affaire ; il lui fallait maintenant trouver un autre canasson. N’ayant point l’envie d’aller en piquer un aux Saxons susceptibles de caractère et de se trouver trop longtemps dans les parages, il décida de se rendre à pied au hameau le plus proche. Lui et les autres guerriers s’y étaient déjà arrêtés dans la matinée pour s’y remplir la panse, crever celle des habitants mâles et abuser de leurs femmes dont ils avaient toutefois daigné préserver les entrailles qui porteraient peut-être bientôt les fruits de leurs accouplements sauvages. Un tel endroit ne risquerait pas de lui opposer grande résistance – sous réserve d’avoir vérifié, au préalable, que d’autres autochtones n’y étaient pas arrivés entre temps.

Les lieux n’avaient pas changé depuis leur départ. Les femmes aux yeux cernés tentaient de reprendre leur vie quotidienne en se débrouillant toutes seules comme à l’habitude lorsque les hommes sont au combat ou saouls.

Elles n’eurent même pas peur en voyant Nabil arriver, son arme à la main. Que risquaient elles encore de pire ?

Il se saisit d’un morceau de viande sur une broche, de la cuisinière pour lui mettre un dernier souvenir et s’en alla sur une vieille carne, le seul cheval que le village avait pu conserver après le passage des Francs au matin.

Puis Nabil partit pour Reims. Il voulait enfin réaliser son souhait et cela commençait par un passage chez l’évêque qu’il savait maintenant détenir l’objet de sa convoitise.

Il ne traîna pas sur la route en d’inutiles libations ni de furtives fornications, parvenant ainsi à destination au bout de quatre jours. Il voulait agir dans l’urgence car, ce faisant, même si on le croyait mort, il éviterait certainement quelqu’un le reconnût tout de même, et que la supercherie fût éventée.

*

Il avait guetté le départ de Turpin avant de s’introduire discrètement par une porte latérale dans la nef de l’église puis, en longeant les murs, avait gagné son chœur sans faire preuve d’aucun romantisme.

De pâles rais de lumière perçaient la pénombre. Là, sur l’autel, trônait-elle ? Était-ce elle, sans étincelle ? Il aurait aimé s’en assurer, mais, sans éclairage divin ni lampe de poche, cela se révélait difficile.

Il décida de s’emparer de l’objet, quitte à le jeter ensuite s’il ne présentait aucune valeur.

Soudain, alors qu’il n’y avait âme qui vive en ces lieux, une voix résonna :

– Que fais tu donc Nabilo ? Tu prends ce qui a été donné par Pepino, le maire du palais. Cela revient à Rome !

Je veux ici ouvrir une parenthèse que l’on considérera comme refermée à la fin de ce propos : personnellement, je ne crois pas trop dans ces affaires de voix, mais c’est ainsi que les faits son relatés dans le Grimagine. Par ailleurs, au Moyen-Âge on se targuait assez facilement d’entendre des voix divines. Je vous retranscris donc les événements tels qu’il en est fait mention dans l’ouvrage.

Reprenons.

Nabil sursauta en entendant ces mots qui, semblait-il, lui étaient adressés alors qu’il n’avait aucun point commun avec Fernandel. En outre, il n’aimait pas ces mots en « o » pour faire romain. Mais il comprit également qu’il avait fait la bonne pioche.

– Qui es-tu ? demanda-t-il en scrutant alentour.

– Jésus, bien sûr !

– En es-tu bien sûr ?

– Oui.

– Ah bon ? Et alors ?

– Tu dois craindre mon courroux si tu dérobes cette coupe !

– Et pourquoi te craindrais-je ?

– N’importe quel chrétien le ferait.

– Bah ! Je ne suis pas chrétien et encore moins crétin, alors...

Sur ces mots, Nabil quitta les lieux, pensant à la tête que devait faire le lascar sur sa croix, de surcroît si bien accroché qu’il ne risquait pas de lui courir après.

Son forfait accompli, Nabil ne s’attarda pas à Reims et prit la direction de l’est, comptant aller mettre cette coupe en lieu sûr avant de s’occuper de ses deux soeurs.

Il avait d’abord prévu de cacher l’objet dans le trou de la chatte à proximité de la demeure de Hilde mais, si la devineresse chérissait les félins, elle n’accepterait certainement pas un félon. Il décida donc de se rendre plutôt à l’Auberge du Moulin Rouge où il trouverait bien un prétexte pour l’y laisser le temps nécessaire ; le récupérer ensuite ne devrait pas poser de problème, quitte à employer la force si besoin était.

Il s’y repus ainsi le soir venu et y passa la nuit. Au matin, il s’absenta puis revint. À titre de paiement, il donna la coupe en gage, promettant de venir la récupérer contre des espèces sonnantes quelques jours plus tard.

– Comment puis-je être sûr que tu reviendras pour payer ? s’inquiéta l’aubergiste.

– Si ce n’est pas le cas, tu n’auras qu’à vendre cette coupe, répondit Nabil.

– À-t-elle de la valeur ?

– Ne sois pas niais, intervint la femme du tenancier, il ne va pas te dire le contraire !

– Mais ne voyez-vous pas comme elle est magnifiquement ouvragée ? insista Nabil en faisant miroiter le métal du récipient à la lueur des bougies.

– Oui, bon, ça reste un gobelet... rétorqua l’homme en versant du vin dans la coupe.

– Mais que fais-tu ?

– Je veux voir si elle est étanche... en cas de soif.

– Prends garde, elle a plus de valeur que tu ne crois !

– Bon, ça va, on la prend, intervint de nouveau l’épouse de l’aubergiste, car, déjà en ce temps-là, les femmes avaient pas mal d’intuition quant aux affaires d’argent.

Celle-ci prit la coupe d’une main, en vida le contenu sur le sol et, de l’autre, saisit la main de son petit garçon, un blondinet au front orné d’une mèche rousse, et s’en alla en l’emportant.

– Viens, Colin, allons ranger ça, dit-elle en quittant la pièce.

– Je serai bientôt de retour, affirma Nabil avant de sortir.

Puis il monta sur son cheval et prit la direction de Dietenhoven.

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