CHAPITRE 6 - première partie

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« I hope that someone gets my message in a bottle »

(The Police)

Avant de sortir en Oche en tête du cortège de sa cour, Charles devait donner ses instructions à l’intendance. Oui, quand on est roi, on a beaucoup de responsabilités, vous ne pouvez pas savoir ! À moins que vous ne soyez un souverain.

Il fit donc appeler le chambrier, le vieux bouteiller, l’archichapelain, le grand sénéchal et un certain nombre d’autres individus à dénomination typique pour leur confier les tâches et missions à accomplir durant son séjour dans cette région que l’on n’appelait pas encore la Lorraine puisqu’elle se fondait dans un vaste territoire englobant l’Alsace, la Champagne, les Ardennes et bien d’autres pays encore en constituant le royaume des Francs dans une fusion qui ne plaisait pas à tout le monde. Et puis Lothaire n’en avait pas encore hérité ; chaque chose en son temps.

Soudain, le barbu de la volerie fit irruption dans la salle :

– Seigneur, j’ai un CMC pour vous.

– Un CMC ?

– Oui, un court message par colombe.

– Je sais ce que c’est qu’un CMC, parbleu ! Donne !

– Je ne suis pas Barbe-Bleue...

– Tu es sourd, volailler ? Je ne t’ai pas appelé ainsi, barbe noire !

– Je ne suis pas Barbe-Noire...

– À propos, comment te nomme-t-on ? Barbelongue ? Barbecue ?

– Hubert. Hubert Pop, précisa l’homme.

– Bien. Serais-tu taxidermiste également ?

– Oui. Mais je travaille uniquement du rapace, pour ne pas mettre celui de la ville sur la paille ; il était installé ici avant moi...

– Fort bien, alors tu me prépareras ce faucon.

– Celui de la ville ?

– Non, celui-là en est un vrai. Je veux celui que tu portes sur l’épaule.

– Permets-moi de refuser; je tiens à Corto.

– Tu as nommé ce faucon Corto ?

– Il est maltais. Ne me demandez pas de l’occire, sire.

– Ne fais pas l’hurluberlu, Hubert le barbu ! tonna le monarque. Laisse donc vivre cet animal jusqu’à son trépas naturel ! Trépane-le ensuite ! Et maintenant, cessons ce blabla car j’ai d’autres préoccupations, termina Charles.

Le roi alla chercher un peu de lumière près de la fenêtre et déroula délicatement le parchemin sur lequel on avait inscrit à l’encre sépia quelques mots qu’il entreprit de déchiffrer. On ne sait pas si la difficulté de lecture tenait à une déficience visuelle ou à la piètre qualité de la calligraphie; quoi qu’il en soit, Charles comprit le message.

Celui-ci émanait de Turpin. L’archevêque n’était pas réputé pour avoir un caractère volcanique mais il avait des émanations, comme tout le monde. La présente visait à informer le roi qu’on lui avait dérobé sa coupe (la fameuse, appartenant au trio recyclé du vase de Soissons). Il enjoignait aussi Charles de se tenir sur ses gardes, ne se doutant pas que ce dernier aurait préféré s’allonger sur leurs femmes...

Après la lecture, le monarque demeura pensif et leva le menton tout en réenroulant machinalement le parchemin, le regard fixé sur l’agitation de la ville qui s’étalait au-delà de l’enceinte du palais. Un vol d’oiseaux passa sous les nuages. Un pigeon se posa sur un pignon, des colombes se nichèrent sous des combles et quelques tourterelles tournoyèrent au-dessus des tourelles.

Était-ce un présage ?

Oui : il se mit à pleuvoir.

– Hubert, je vais te donner un message pour Reims, déclara le Magne.

– Je crains que ce ne soit possible, sire.

– Pour quelle raison ?

– Le colombier est vide, il faut le recharger.

– Bon. Dans ce cas, j’emploierai la méthode anglo-saxonne : je jetterai une amphore à la mer…

– La mer est loin, Sire…

– Oui, tu as raison, mon royaume est si vaste que je m’y perds un peu. Dans ce cas, j’enverrai un émissaire à cheval.

– Je voudrais attirer votre attention, Sire, sur le fait que ce sera plus long, intervint le bouteiller, la route d’un cheval n’est pas pareille qu’à vol d’oiseau...!

– Je t’entends, vieux radin, tu préfères les pigeons ! rétorqua le roi en riant. Mais, après tout, ce message ne provient pas du pape, alors inutile de s’en faire géhenne... conclut-il. Quant à toi, Hubert, veille à ce que le pigeonnier soit approvisionné, à l’avenir, si tu veux rester ici.

– J’y veillerai, sire ! dit l’intéressé avant de se retirer.

Le roi fit alors quérir Othello puis, en attendant qu’il arrivât, s’adressa à l’assemblée de son personnel :

– Officiers ! Je veux que, pendant mon absence, vous réfléchissiez au développement de cette ville. En raison de sa position centrale, je songe en effet à faire d’Oche la future capitale du royaume qui ne cesse de grandir et que je veux étendre de l’Aquitaine à la Saxe et de la Frise à Rome... au moins.

Je veux faire de la chrétienté le ciment de ce large territoire ; il faudra voir à y bâtir nombre de chapelles, abbayes et autres nids à religieux qui rythmeront les journées du peuple par le son des cloches et les palabres des abbés. Ou l’inverse. Ici, j’en veux une remarquable, pour le prestige. Et un palais aussi, plus grand que celui-ci, qui comprendra mon logement, celui de mon épouse et de ma famille avec la cour, une école avec sa cour, un bâtiment pour la garde et son tour, une grande salle pour les assemblées ainsi que cuisines, thermes et toutes commodités, déclara le roi tel un agent immobilier.

Car, ce jour, je pars avec ma chère Hildegarde pour mon palais de Dietenhoven où nous ferons un séjour afin qu’elle puisse donner naissance à notre prochain enfant dans le calme. Je reviendrai ensuite pour de nouvelles campagnes de pâtée à mettre aux rebelles et à ceux qui font une cirrhose de foi. Et aussi conquérir quelques terres au passage... Ah ! Voici Othello, constata Charles en prenant à part son compagnon qui s’approchait.

Othello, je te charge d’une mission : tu vas aller à Reims voir l’archevêque...

– Je ne sais pas à quoi il ressemble...!

– Je n’ai pas de photo, mais tu le trouveras facilement en te renseignant près de l’église principale. C’est celle autour de laquelle prospère un grand centre commercial.

– Ton érudition est remarquable mais, voilà, quoi ; je n’ai pas la même culture, alors, voilà, il y a des mots que... voilà. En fait, c’est quoi une photo ? Et un centre commercial ?

– Arrête de truffer tes phrases de « voilà », juste pour parler et ne rien dire ! Moi-même, je ne sais pas d’où me viennent ces mots... fit le roi avec agacement.

– Je ne suis pas non plus coutumier de l’emploi du « voilà ». C’est étrange... insista Othello.

– Bon, ta mission, si tu l’acceptes, consiste à enquêter auprès de Turpin et de son entourage au sujet d’une coupe qu’on lui aurait dérobée. Vérifie ce fait. Pour peu qu’il soit désordonné, il l’a peut-être simplement égarée, voire déjà retrouvée. Ensuite, essaye de savoir qui serait le coupable... Bien que j’aie mon idée… Tu as une carte d’identité ?

– ...Non...!

Charles fit signe à Alcuin d’approcher.

– Tu rédigeras une recommandation pour Othello, que je signerai. Il part pour Reims dans la journée.

La porte de la salle s’ouvrit, un serviteur se présenta sur le seuil.

– Sire, une femme nommée Hilde souhaite vous parler.

– Fais-la entrer, ordonna le roi avant de congédier ses officiers.

Ceux-ci sortirent à la queue leu leu et la femme fut introduite.

– Je te salue, Charles !

– Hilde ! Encore toi ! Je te croyais à Mulinhuson ! Je comprends maintenant nos paroles étranges... Que viens-tu faire à nouveau ici ? M’annoncer un dixième enfant ? Le neuvième n’est même pas encore né...!

Hilde ignora le sarcasme.

– J’ai eu une vision. J’étais au trou de la chatte et j’y ai senti la présence de Médois.

– C’est une sensation, pas une vision.

– Patiente, que je continue le récit... Comme le soir tombait, je n’étais pas quiète, alors je suis retournée dans ma maison. Presque aussitôt, j’ai fait un songe. Et à l’aube, quand je me suis rendue au village, ce songe à pris forme réelle : j’ai vu quelqu’un que tu connais entrer dans l’Auberge Rouge du Moulin.

– Et...?

– Il tenait une coupe dans sa main, lâcha Hilde, marquant une pause avant de reprendre : peu de temps après, il est ressorti sans.

– Ressortissant d’où ?

– De l’auberge !...

– Et la coupe ?

– Certainement restée à l’auberge.

– N’es-tu pas allé t’en enquérir ?

– Je ne suis pas flic.

– C’est-à-dire ?

– Cela ne me concerne pas.

– Et « il », c’est qui ?

– Médois.

– Tes doigts ?

– Nabil, voyons !

Le roi considéra la devineresse en prenant un air dubitatif.

– De quand date ta vision ?

– Trois jours.

– Alors tu fais erreur.

– Je ne pense pas.

– Nabil est mort. J’ai vu son corps.

– Peut-être as-tu mal vu...

– Ben voyons ! J’ai reconnu ses vêtements et sa bague à l’index.

– Douterais-tu de mon don de double vue ?

– Un excès de vin, cette fois ! Quoi qu’il en soit, je te remercie pour ta fidélité et je vais te faire donner quelques pigeons...

– Je n’ai pas faim et...

– Il ne s’agit pas de nourriture mais de messagers qui t’éviteront les déplacements ! Un pigeon consomme moins qu’un cheval et coûte moins cher en entretien...

– Très bien, je te rends grâces pour ta sollicitude mais...

– Et tu iras voir le chambrier afin qu’il te remette une bourse en récompense.

– Avec des pièces d’or dedans ?

– Bien entendu ! Pas avec des couilles !

– Tu es grand et généreux, Charles. Tu peux compter sur ma fidélité et je ne manquerai pas de te pigeonner dès que nécessaire.

Eh bien, on peut douter de Hilde, j’ai l’impression...

– Ne dis pas de sottises, Jean, on est au VIIIème siècle, les mots n’ont pas le même sens qu’aujourd’hui.

Ben ça ! On dirait que Hilde a entendu !

– Exactement ! Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées.

Bon. Laissons donc Charles avec les autres ; cela fait depuis le premier chapitre de ce livre que nous le suivons, alors je vous propose d’aller voir ailleurs ce qui se passe, en l’occurrence quelque part en Saxe, une semaine auparavant.

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