CHAPITRE 5

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« …à la police scientifique, ils sont même capables de déterrer un cadavre et lui tirer les vers du nez ! »

(Sénèque + Ultra)





– À Reims !? Depuis longtemps ?

– Depuis 7 jours. Il est allé voir Tilpin.

– Tu veux dire Turbin ?

– Plutôt Turpin, alors... rectifia Hildegarde.

– C’est à cause de mon accent germanique, se justifia Charles. Mais toi, tu l’appelles par son nom danois ! Et je ne les aime pas trop, ces barbares. Un jour ils risquent encore de nous envahir et même de rallier Paris à drakkar...! prévint Charles. Passons... Alcuin, t’a-t-il dit pour quelle raison il est allé voir l’évêque ?

– Il m’a dit qu’il t’en parlerait à son retour. Mais il a précisé que tu devais conserver les coupes en sûreté.

– Soit, j’attendrai son retour... Et toi, comment te sens-tu ? Tu es pâle comme la lune...

– Je serai bientôt ronde comme elle ; j’attends notre neuvième enfant...!

– Eh bien, comme promis, je t’emmène à Dietenhoven où nous nous reposerons. J’espère qu’Alcuin sera de retour avant notre départ.

Et ensuite, savez-vous ce qui arriva ?

Vous n’en avez aucune idée ?... Oh, certes, plusieurs hypothèses sont envisageables mais il ne faut pas dire n’importe quoi, non plus… !

Eh bien, sachez que vous allez vivre quelque chose de, somme toute, exceptionnel ! En effet : nous nous trouvons à un moment interactif du récit – événement récurent dans la série de mes histoires peu ordinaires.

Et qui dit « interactif », dit « intervention dans l’histoire » et même, dans le cas qui nous occupe, dans l’Histoire ! Evidemment, dans notre position, nous n’allons pas changer le cours de l’Histoire de façon sensible, mais… Bon… Allez, un chouia quand même !

Alors voilà, vous avez le choix entre deux possibilités : la première est que quelqu’un entra et annonça au roi le retour d’Alcuin ; dans ce cas, il vous suffit de continuer votre lecture tout à fait normalement. La deuxième option est que Charles laissa son épouse faire ses préparatifs de départ tandis que lui-même alla s’occuper d’expédier les affaires courantes et de donner ses ordres pour la préparation du voyage ; si vous choisissez cette alternative, il faut sauter directement au chapitre VI. Cela vous fera un chapitre V un peu court, mais tant pis !

Deux coups sur la porte de bois résonnèrent dans la chambre de la reine.

– Ah ! Oui, effectivement, le son est meilleur, tu as pris la bonne décision en faisant remplacer le heurtoir par un modèle en bronze, déclara Charles, l’oreille tendue, puis, haussant le ton de sa voix royale : « Entrez ! »

Dehors, le garde poussa le battant pour livrer passage à une servante tenant une cruche en main. À l’image du récipient, la fille un peu gourde fit une bourde en se cognant à la lourde, brisant bruyamment le broc.

– Eh bien, ma fille ! C’est déjà la troisième fois, ce matin ! s’emporta le roi. Comment peux-tu encore être au service de la reine !?

Sur ces mots, la servante tourna les talons et s’enfuit en larmes.

– Voilà ! Tant va la gourde à l’eau qu’en fin elle s’en va...! constata Charles, irrité, sans savoir qu’il venait probablement d’être à l’origine d’un proverbe parvenu jusqu’à nous. Bien qu’un peu déformé, certes.

– Tu es dur avec Eve...! En outre, ce n’est pas là son principal emploi...

– Et pourquoi la gardes-tu à ton service, si elle est tant gauche ?

– Car elle est adroite de langue.

– Tu veux dire... qu’elle parle plusieurs langues ? demanda Charles dubitatif.

– Oui da ! Le francique, le latin, l’anglo-saxon... Elle égaye mes journées en me faisant la lecture...

– Quelle érudite, dis donc ! D’où tient-elle ce savoir ?

– D’Alcuin ! C’est sa nièce, Eve Whalla ! D’ailleurs, la revoilà. Viens, entre, n’aie crainte ! la rassura la reine, je te croyais partie à jamais...

Eve posa le récipient d’eau sur un guéridon puis s’avança vers le roi.

– Mon oncle Alcuin m’envoie vous informer de son retour et souhaite pouvoir vous entretenir d’une affaire. Puis elle ajouta : me pardonnerez-vous ma maladresse ?

– Je le veux bien, tu es à bonne adresse ; ton oncle est mon ami et la reine t’apprécie... Mais prends garde qu’il ne t’arrive malheur si tu ne te dégourdis pas un peu ! conseilla le souverain. Et va dire à Alcuin que je viendrai le voir ante meridiem, dans l’atelier d’écriture.

– Très bien, mon roi.

Tandis que la servante ressortait, Charles soupira :

– Tout de même, ces Anglo-saxons sont plus civilisés que ces païens de Saxons... Peut-être sont-ce les Angles qui ont arrondis le caractère de ceux auxquels ils se sont mêlés en rejoignant jadis l’île de Bretagne...

– Et ta campagne contre les Saxons ?...

– Difficile ! Ce ne sera pas la dernière, mais je finirai par les vaincre !... Et faire de toi une impératrice...!

– Penses-tu devenir empereur, un jour ?

– Hilde l’a vu...

– Encore faudrait-il que je vive jusque là...

– Dieu te prêtera vie, crois-moi...

– Sur ce sujet, je suis justement prête à croire Dieu, bien plus que toi...

Cette remarque indique que Hildegarde était certainement pieuse, alors que nous avons vu que Charles était plutôt pieut. Mais, bon, ça les regardait eux...

– Je sais, je ne suis pas tout puissant...!

– Ni impuissant ! D’ailleurs, Hilde ne t’avait-elle pas mis en garde contre les risques de nombreux accouchements ? reprit la reine.

– Mais tu es si fertile et moi si fougueux... Et j’ai du mal à résister à tes charmes...

– Pas qu’aux miens, n’est-ce pas !

– Eh bien...

– Ne dis rien. Je sais que je suis seule ta bien-aimée... Si cela peut calmer tes ardeurs et m’éviter quelques grossesses supplémentaires... conclut Hildegarde dont les paroles trouvaient certainement leur motivation autant dans la résignation que dans la clémence.

– Qui est Clémence ?

– Ma chambrière.

– Très bien, fais-la donc venir pour commencer tes préparatifs de voyage pour Dietenhoven. Quant à moi, je vais de ce pas voir Alcuin. À plus tard, ma bien-aimée, termina le roi en appliquant un baiser sur le front de sa femme avant de sortir.

L’atelier était bien éclairé, selon les vœux du roi qui voulait que l’on puisse étudier et écrire dans de bonnes conditions. D’ici devaient sortir les élites du royaume qui représenteraient la puissance impériale, Alcuin étant chargé de leur formation et de l’organisation de l’instruction. Avec un oeil d’aujourd’hui, on verrait en lui une sorte de cumulard ayant à la fois les fonctions de ministre de l’éducation et de directeur de l’ENA. Ce fut lui qui fit le plus gros boulot quant à l’école, ce que Sheila a omis de dire dans sa chanson des années 60.

En voyant entrer Charlemagne, les élèves le saluèrent avant de sortir sur invitation d’Alcuin.

– Je suis heureux de te retrouver, Charles.

– Moi de même, répondit le Magne qui opina en lui donna l’accolade. Mais pas de pina colada car il était encore trop tôt.

– Comment te portes-tu, après tant de batailles ?

– Je reviens vivant et en pleine possession de mes moyens, n’est-ce pas là l’essentiel ?

– Et les as-tu enfin vaincus ?

– J’ai gagné des batailles, certes, mais pas encore la guerre. Tant que vivra Widukind, il y aura de nouveaux soulèvements. J’ai établi Renaud sur place pour surveiller les Saxons, dit Charles en se frottant le nez.

– Renaud, le fils d’Aymon ?

– Mais non ! Pas ce scélérat ! Je parle de Renaud Auban d’Essey... Il m’avertira ainsi des mouvements d’opinion ; car tu sais, c’est comme une folle... ksss... vague enne... ksss... mie qui vient rouler sans cesse sur ce coin du royaume.

– Tu as pris froid ?

– Je crois plutôt qu’il y a quelque chose dans l’air qui me pique le nez.

– Le pollen, peut-être...

– Cela va mieux ; parlons donc de cette affaire qui t’a mené à Reims.

Alcuin proposa un siège au roi et prit place à son côté.

– Voilà...

– À propos, j’ai fait connaissance avec ta nièce, ce tantôt ; elle semble plus agile des mots que des mains...!

– Ma nièce ?

– Oui. Ève... !

– Ève...? Ev...idemment !...

Charles se pencha vers Alcuin.

– Je suppose que ce n’est pas vraiment ta nièce n’est-ce pas ?

– Nous n’avons pas de liens de sang, c’est exact...

– Bon, il suffit, coupa le roi en souriant, parle-moi de ton affaire.

– Eh bien, peu avant ton départ pour la Saxe, j’ai chargé l’un de mes élèves, discret et débrouillard, d’aller enquêter sur Nabil, un homme dont j’ai toujours soupçonné de mentir sur lui-même et ses intentions. Sa soi-disant érudition m’a toujours laissé perplexe...

– Tu ne m’en as pas parlé...

– Ce n’était qu’intuition, je voulais en avoir le cœur net avant d’en dire quoi que ce soit... Et donc, Celse (mon élève) a surpris une conversation entre Nabil et Mesch...

– Mesch ?

– Mesch... Cette femme qui teint ses cheveux d’une couleur violacée... Tu la connais...

– Mais ouiii ! Elle est venue me voir à Strateburgum, il y a quatre ans...

– Ils ont parlé de coupes...

– Ah, tiens ! Nabil s’intéressait à la coiffure ?

– Eh oui, c’est ainsi...! Cependant, leur conversation ne tournait pas seulement autour d’une histoire capillaire ; le sujet portait essentiellement sur les fameuses coupes forgées dans le métal du vase de Soissons dans lesquelles sont sertis les clous du Christ !...

– Il était quincaillier ?

– Il aurait pu tout faire mais, en l’occurence, il s’agit des clous ayant servi à le fixer sur les planches.

– Quel artiste ! Bon, passons ! Dois-je comprendre que ces deux-là complotaient pour ravir mes coupes ?

– Je ne pense pas que ce soit dans l’intention de Mesch ; en revanche, j’ai tout lieu de penser que l’objectif de Nabil est de réunir les 3 coupes pour son propre intérêt !

– Et sais-tu pourquoi Mesch ne m’en a pas averti ?

– Elle est tombée brusquement malade. Nabil a dû lui faire absorber un breuvage qui l’a affaiblie et provoqué des délires.

Quand elle a recouvré ses esprits, au bout de deux jours, elle s’est retrouvée en train de gésir sur la paillasse de son logis, en partie nue, concluant que Nabil avait en outre profité de la situation... À ce jour-là, tu étais déjà parti. Elle s’est alors rendue à Reims pour rencontrer Turpin et l’avertir.

– De qui tiens-tu cela ?

– Pour une part, de Turpin lui-même et, pour une autre part, de Celse... Il les a suivis jusqu’à la maison où elle avait trouvé hébergement. Là, tous deux ont encore fait causette...

– Les misérables...

– Après le départ de Nabil, mon jeune élève est entré, découvrant Mesch écroulée, la tête dans ses bras, sur la table où des gobelets renversés indiquaient qu’ils avaient certainement du boire ensemble. L’endroit était austère, sombre, et...

– Oui, oui, bon, c’est pas la peine d’en faire un roman...! s’impatienta le roi.

– Il l’a alors allongée, continua Alcuin, et... a profité de la situation.

– Hoho! s’exclama Charles en riant. Tu le disais discret !...

– Mais également débrouillard ! rappela l’érudit. Un brin timide, le jeune Irque a voulu saisir l’occasion de se déniaiser, comprends-tu...

– Piètre performance ! On fait le mâle avec des femelles qui bougent ! Mais revenons à Nabil ; savait-il où se trouve la troisième coupe ?

– Oui.

– Aha ! Et où ?

– À Reims, chez Turpin. Nabil l’a su en réussissant à tirer les vers du nez de Mesch à ce sujet. Celle-ci avait en effet remarqué que tu possédais deux coupes identiques à celle qu’elle avait aperçue sur l’autel de l’église de Reims en rendant visite à l’archevêque, quatre ans plus tôt.

– Elle a le sens de l’observation !

– Il faut donc te méfier de Nabil et mettre tes coupes en sûreté.

– Ne t’inquiète pas, mon ami. Nabil ne me nuira pas, assura le monarque en se levant. Nabil est mort.

– Comment ? s’étonna Alcuin.

– Tué par un Saxon. Il était habile au maniement de l’épée mais peu prompt à l’assaut. En fait, je l’avais pris à mon service pour le faire écrire et non férir. Et il n’avait d’ailleurs pas de quoi me faire rire. Or, il y a cinq jours, provoqué par Jonas, il a pris son cheval en jurant qu’il reviendrait avec la tête d’un ennemi. Et il est revenu sans.

– Il n’a pas trouvé l’ennemi ?

– C’est l’ennemi qui l’a trouvé, et nous l’a renvoyé sur son cheval, décapité !

– Malheureux cheval…

– Cheval ?

– Euh, Jonas...!

– Tu n’as pas entendu ? Je parlais de Nabil.

– Certes, mais Jonas doit se sentir coupable...

– Seul Nabil l’était ; il l’a bien montré en perdant la tête... Mais, pour en revenir à Mesch, penses-tu vraiment qu’il n’y avait pas acoquinement de Mesch avec Nabil ? supposa le roi en initiant involontairement une nouvelle expression.

– De Mesch avec Nabil, je ne le crois pas. Le témoignage de l’évêque me l’a également confirmé, répondit Alcuin. Elle a été abusée par cet homme qu’elle avait vu auparavant en ta compagnie.

– Sais-tu où elle se trouve actuellement ?

– Non. Mais pas à Oche, à mon avis. D’après Turpin, elle serait repartie vers le levant.

Le roi se leva justement et fit quelques pas vers la fenêtre.

– Le soleil est au zénith ; si tu n’as plus rien à ajouter, accompagne moi ; je vais régler mes affaires puisque j’emmène Hildegarde au bord de la Moselle où nous prendrons quelques temps de repos. D’ores et déjà, je te charge de réfléchir à l’organisation de l’enseignement dans le royaume. N’hésite pas à former d’autres élèves qui devront aussi apprendre des langues vivantes – dont le latin – car je songe à étoffer mon administration dans les années à venir pour envoyer des représentants dans tous les pays.

– Moi-même, je peux leur enseigner la langue des Angles...

– Pourquoi pas le mandarin, tant que tu y es !? Il faut toutefois privilégier le francique, car notre langue est promise à se répandre sur un immense territoire !

– À part cela, ne souhaites-tu pas récupérer la troisième coupe ? demanda Alcuin, un peu surpris que ses informations n’aient pas plus d’effet.

Le roi se retourna vers Alcuin avec un sourire énigmatique.

– N’as-tu pas remarqué que depuis quelques années, depuis que je possède la deuxième coupe, mon action devient plus efficace et que le royaume franc ne cesse de s’agrandir ? Je sais que je finirai par bâtir un nouvel empire d’Occident. Et la troisième coupe sera certainement la clé de cette réussite.

Sache donc que j’ai bien l’intention de la faire mienne. En attendant, je te remercie, mon ami, de ton action et de ta fidélité.

– Et crois-tu pouvoir convaincre l’archevêque de te la céder ?

– J’ai converti Widukind et ses Saxons, je bâtis des abbayes un peu partout, je vais fonder un empire chrétien ; ce grand service pour l’Eglise mérite bien une petite coupe ! argua le roi avant de sortir en hochant la tête.

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