Un cadavre encore chaud

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La première fois que je m'étais rendu compte que le sang et les corps morts ne me répugnaient plus, c'était à peu près deux ans après ma propre mort. Le cadavre encore chaud qu'avaient laissé vingt ans plus tôt les sous-fifres du chef de clan vampire voisin ressemblait trait pour trait à celui qui me fixait à l'instant de ses yeux vide et voilés par la mort. À l'exception près que ce qu'avait été cette jeune femme abandonnée et dénudée dans cette flaque d'eau croupie semblait plus âgée d'environ cinq ans, elle avait les cheveux poissés par le sang et avait été sauvagement assassinée. La femme qu'on avait laissé se vider de son sang sur le pas de ma porte avait au moins eu la chance de ne pas finir à moitié nue dans une rue déserte et puante de Los Angeles. Je soupirais, pourquoi il fallait encore que sa tombe sur moi, j'aurais pu laisser le corps pourrir ici dans la chaleur moite de l'été et être retrouvé le lendemain matin par un passant malheureux, mais pour je ne sais qu'elle raison, je ne parvenais pas à m'y résoudre. Comme pour celle qu'on m'avait laissée en représailles ne pus-je m'empêcher de penser. Cela faisait vingt ans que j'arpentais les rues de cette ville pourrie et corrompue qu'étais Los Angeles, j'y avais vu des cochonneries, j'avais même pris l'habitude. Mais voire une si jeune vie gâchée me foutais un coup à chaque fois. Cette fille était manifestement une prostituée et personne ne se soucierait de son sort mis à part peut être son proxénète, mais quand même. La soulever et tirer la jeune femme de la flaque d'eau, sans doute un mélange entre la pisse et l'eau remontante des égouts, ne me posa aucun problème. L'un des seuls avantages que j'avais trouvé à être un vampire, c'était cette force et cette agilité prodigieuse, ça et la vision parfaite de jour comme de nuit.

Je tirais le corps qui refroidissait lentement et le tirais sur mes épaules fines et squelettiques avant de me diriger vers la benne à ordure la plus proche. Cette fille ne devait pas peser bien plus lourd que moi, en fait elle était carrément maigrichonne, je me doutais bien que pour en venir à vendre son corps dans les rues du coin, il fallait être désespéré, mais quitte à le faire, mieux valait trouver un meilleur quartier. Ici, les lieux grouillaient de malfrat, de clan et de drogués en manque de cam. Sans compter les gangs de vampires qui se battaient sans cesse pour les territoires et les proies, les loups garou excluent de leurs meutes, ceux dont personne ne voulait, ceux instable et dangereux. Et puis il y avait aussi toute sorte de nocturne plus ou moins malin, ceux sur qui il ne valait mieux pas tomber si l'on n'était pas fermement décidé à finir en enfer.

Je balançais le cadavre dans la profonde benne puante après lui avoir fait les poches, elle n'aurait plus besoin de cet argent, moi si. Cette fille s'appelait Emma, en tout cas, c'était ce qu'il était inscrit sur sa carte d'identité, sûrement fausse d'ailleurs. Je ressortais de cette histoire avec trente-trois dollars et une odeur de mort et de sang me collant à la peau. Je grimaçais balançais les trois billets de un dollar avec le corps de leur propriétaire avant de lancer un briquet allumé dedans. La flamme fit un arc de cercle lumineux avant de venir enflammer joyeusement les cheveux blonds décolorés et la robe d'Emma.

-Elle avait bon goût ? Demanda une voix grave au ton enjôleur dans mon dos. Je me retournais pour voir appuyé sur le mur et éclairé par les flammes dorées le vampire qui était à la fois mon plan cul et mon bourreau.

-Ce n'est pas moi qui l'ai tuée, répondis je d'un ton semblable en me dirigeant d'une démarche traînante vers lui.

-Je me suis toujours demandé pourquoi tu laisses de l'argent aux morts, Jill. Me susurra-t-il au creux de l'oreille ses lèvres rouges frôlant ma joue. Tu croies au passage vers le monde des morts par Charon ? Demanda-t-il moqueur une lueur de curiosité brillant dans ses yeux bordé de cils. Je secouais la tête en prenant le chemin vers mon petit appartement miteux quelques rues plus loin. Je n'avais pas l'intention de lui révéler que je faisais ça uniquement parce qu'un démon de soufre m'avait un jour raconté que sans argent les âmes étaient destinées à errer sans but pour toujours et dans une souffrance éternelle en enfer. J'ignorais si c'était vrai mais je faisais ça parce que ça ne me coûtait pas grand chose et parce que j'aurais aimé qu'à ma mort quelqu'un prenne la peine de faire cet effort pour moi.

-En tout cas Jill, je trouve que ça te rend foutrement sexy. Ricana Noah en m'emboîtant le pas un regard équivoque tourné vers moi. Je puais le sang et la mort avec une effluve diffuse de fumée, comment pouvait il trouver ça un temps soit peu sexy ? Je n'en avais foutrement aucune idée, ce vampire était fou sur le bord. Mais il s'agissait d'une folie que certains trouvaient mystérieuse, voire attirante, de celle qui vous donne l'impression que quelque chose ne va pas sans parvenir à mettre le doigt dessus. Mais ce n'était pas quelque chose qui me dérangeais, enfin plus maintenant. J'avais besoin de me passer les nerfs, de me changer les idées et quoi de mieux que Noah ?

Il n'était pas à proprement parlé séduisant, il avait ce charme, un visage fin et presque efféminé avec des yeux de chat un nez droit et fin au-dessus de lèvres charnues et rouges carmin. Un teint pâle caractéristique des vampires, un corps athlétique et finement musclé presque imberbe de poil. Mais il ne fallait pas s'y fier, il était une créature surnaturelle de plus de cent ans, à la botte du gang de vampires le plus autoritaire et timbré du coin. Noah, c'était le vampire par excellence, malgré son air taquin et calme, il était une bête qui aimait le sang, le danger et le sexe, parfois les trois en même temps et plus violent, c'était, mieux il se portait. Je ne savais pas bien pourquoi il m'avait choisi moi, il avait eu de nombreux coups d'un soir avant de jeter son dévolu sur moi, apaisant ses instincts dans les bras de plusieurs créatures par soir. Mais nous avions couché une fois ensemble, et même si je savais qu'il allait voir ailleurs de temps en temps, il revenait toujours vers moi au lieu de disparaître comme il en avait la réputation. Je n'avais la prétention ni de me croire incroyable au lit ni de le penser amoureux. Alors son comportement restait pour moi un mystère surtout lors des phases où il se montrait particulièrement affectueux, mais je laissais couler sans m'en soucier. J'avais d'autres chats à fouetter.

Je déverrouillais la porte de mon appartement, non pas que ça serve à grand-chose, dans cet immeuble les trois-quarts des habitants pouvaient défoncer cette pauvre porte en bois d'une simple poussée. Mais c'était un réflexe de mon existence humaine qu'il me restait, elle me donnait parfois l'impression que tout était encore relativement normal. Noah me passa à coter pour s'engouffrer dans le petit couloir sombre, il déposa sa veste de costume sur le porte-manteau à sa droite et alla s'affaler sur le lit au fond sous la fenêtre miniature, seule réelle source de lumière dans ce taudis. Je l'imitais, balançant mon t-shirt dans la corbeille de linge sale avant de me diriger vers la salle de bain dans l'optique de prendre une douche pour faire dégager cette satanée odeur de mort.

À peine eus je passé le pas de la porte que deux bras puissant m'attrapèrent par la taille et me reteins en arrière, le nez du vampire se posa dans mon cou alors qu'il inspirait à plein poumon. Noah était plus vieux, plus fort et plus rapide que moi, c'était ce qu'offraient les soixante-dix ans de vie en plus qu'il possédait, ça et bien d'autres pouvoirs. En une fraction de seconde, il avait traversé les trois mètres qui nous séparait pour m'emprisonner contre son corps, déterminé. Le souffle contre ma peau me donna des frissons, sa grande main ornée d'une bague volumineuse prouvant son appartenance à Keith remonta le long de mon ventre. Je sentais qu'il n'était plus comme tout à l'heure, la bête avait faim, fini le vampire faussement décontracté à l'humour pourri, l'atmosphère dans la pièce s'alourdit. Je soupirais, je n'allais pas pouvoir prendre cette douche tant espérée, j'aurais dû m'en douter. L'odeur de sang, de peur et de mort était tout ce qui l'excitait le plus, en somme la combinaison d'odeur qui parcourait jusqu'à la pointe de mes cheveux couleur café.

-Tu prendras cette douche plus tard, j'en ai marre d'attendre, grommela-t-il contre ma gorge ses crocs rampant contre ma peau. Il m'entraîna sans ménagement vers le lit et nous y laissa tomber, au-dessus de moi, je pouvais voir son regard fou parcourir mon corps avec envie. Son téléphone sonna depuis la veste suspendue sur le porte-manteau, mais il n'y fit même pas gaffe, trop absorbé par sa proie.

-Tu es pressé aujourd'hui, constatais je en le regardant enlever avec hâte son pull à l'effigie d'un groupe de rock métalleux disparus depuis quelques années, il grogna comme ci sa langue d'habitude si prompte à sortir toute sorte de connerie s'atrophiais sous le désir. Il ressorti la tête du tissu avec lequel il se démenait pour venir écraser sa bouche contre la mienne, il avait un goût métallique, sans doute celui de sa dernière victime en date. Je me fis la réflexion que si un jour, j'avais l'audace ou peux être la folie d'essayer de le tuer, ce serait dans une situation similaire. Noah de ce que j'avais pu en voir au cours de ces trois dernières années devenait de plus en plus fou et surtout contrôlé par des pulsions qu'un vampire aussi âgé devrais maîtriser à la perfection. Il cédait à ses envies et quand c'était le cas, il devenait imprudent, surtout quand il était au lit avec une femme. Pour ce qu'il en était des hommes, je ne pouvais pas le parier, il était toujours plus méfiant avec les mâles. Il déposa un baiser dénué de tendresse sur mon ventre et se redressa vers mon visage l'air contrarié.

-Keith m'a pris la tête tout à l'heure, grogna-t-il entre ses dents serrées, une putain d'histoire avec un démon de feu que j'avais remis à plus tard. Je me figeais, s'il y avait un vampire que je détestais entre tous, c'était bien Keith, le chef vampire du coin. L'homme qui m'avait tué et à qui j'appartenais par droit du sang, une loi surnaturelle aussi pourrie que ceux qui l'avaient établie. Alors j'avais passé un contrat avec lui, je lui donnais cinquante pour-cent de ce que je gagnais chaque mois et en échange, il me laissait relativement tranquille. Keith aimait l'argent et le pouvoir, un cocktail dangereux pour une créature éternelle et mortellement dangereuse, j'avais été étonnée qu'il accepte ma demande dix-huit ans plus tôt. Il fallait croire que le chef des vampires de Los Angeles aimait plus l'argent que le pouvoir, ou alors il avait assez des deux pour pouvoir choisir. Noah, inconscient de la colère qu'il avait fait naître en moi par la simple évocation de son chef, continuait de jurer en caressant ma taille.

-Jill, susurra-t-il d'une voix qui se voulait sexy, mais c'était trop tard, son histoire m'avait complètement refroidie. Je me redressais sur le lit le visage crispé, putain, je ne pouvais vraisemblablement pas coucher avec Noah alors que l'image de son satané chef tournais dans ma tête me donnant envie de vomir le peux que j'avais bu aujourd'hui. Jill ? M'appela Noah, interrogateur cette fois.

-Désolé, j'ai plus envie, soupirais en le repoussant sur le côté son regard perçant cherchant une explication alors qu'une colère froide montait en lui. Il fronça les sourcils et attrapa mon bras, usant de sa force de surnaturel pour me maintenir près du lit.

-Putain, Jill. Pesta-t-il en découvrant des canines d'un blanc immaculé, je savais que repousser ainsi un vampire aussi instable après avoir dit oui équivalait à jouer avec le feu. Mais Noah ne me faisait plus vraiment peur depuis le jour ou Keith l'avait empêché de me tuer pour protéger ses intérêts. C'était ironiquement triste que celui que je détestais le plus au monde, celui qui m'avait destinée à cette vie misérable soit également celui qui me garantissais de garder mon cœur dans ma poitrine. Noah était incapable de défier son chef, peut importait à quel point il pestait contre lui. Je ne savais pas bien si j'affectionnais Noah ou si au contraire sa folie me dérangeait, mais je savais une chose, il avait beau s'emporter ce n'était jamais réellement du fait de sa propre volonté. Même s'il s'emportait maintenant contre moi, il finirait par venir s'excuser plus tard parce qu'il était un peu schizo sur les bords et surtout, il n'était pas toujours d'accord avec ce que lui dictait ses pulsions.

-Tu devrais partir et te dépêcher de te trouver quelqu'un d'autre pour cette nuit. Il me fusilla du regard et me lâcha, il attrapa sa veste et claqua la porte derrière lui, me laissant seule dans mon appartement miniature et sombre, il ne m'en voudra pas, espérais-je. Noah n'était pas rancunier.

Vingt minutes plus tard, je m'écroulais sur mon lit, une serviette rêche autour du corps. Je pouvais encore sentir l'odeur d'excitation et de colère sur les draps, mais préférais l'ignorer. Je n'avais qu'une paire de draps et je venais de les laver alors il ne me restait plus qu'à attendre jusqu'à ce que je ne supporte plus l'odeur. Je fixais le plafond plus gris que blanc ou des taches d'humidité s'étendait dans les coins, cet appartement était décidément moisi. Mais je n'avais pas les moyens de payer un loyer plus élevé avec ce qu'il me restait d'argent une fois que je rendais son dû à Keith. Et puis dans le fond, je l'aimais bien cet appartement pourri, je l'avais trouvé, il y avait de cela sept ans et j'avais fini par m'habituer aux lieux et aux habitants.

Mon téléphone sonna depuis la petite table en bois à côté de la cuisine, un message de Maddy la sorcière qui travaillait pour Keith et accessoirement pour le clan aussi, elle était sympathique, mais je me méfiais toujours, il n'y avait rien de plus fourbe que les sorcières surtout celles qui en échanges de leur service s'octroyait la protection d'un clan. C'était le genre de magouille dangereuse dans lesquelles il valait mieux se trouver loin. « Retrouve-moi demain soir, dix-neuf heures à la casse, ordre du grand chef ». Journée de merde en perspective.

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