Chapitre 3

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-— Mettez le cap au sud-ouest.

— Cap au sud-ouest, Capitaine.

Le sous-marin avait repris la route, vers une zone de l'Atlantique Nord largement fréquentée par les navires britanniques et américains. Personne à bord n'osait évoquer à voix haute l'escale islandaise, mais Hammerschmidt savait que l'incident était encore dans toutes les mémoires. Un signe discret de son premier lieutenant l'avertit que son passager était enfin disponible pour un entretien.

— Lieutenant Hartmann, prenez la barre et gardez le même cap !

L'officier désigné prit la place du Capitaine, ce dernier rejoignit le Lieutenant Seiddler, son premier officier.

— Alors, comment va le petit ?

— Comme hier et comme avant-hier, il n'a pas desserré les dents depuis l'escale d'Islande. Le Signore Barbo est visiblement plus en forme, mais guère plus bavard.

— Pourtant il faudra bien qu'il parle, soupira le capitaine, il me doit des explications.

— Il vous attend dans votre... dans la cabine.

L'unique cabine du sous-marin était habituellement réservée au capitaine. Mais pour ce voyage, elle avait été attribuée au Signore Barbo et le capitaine logeait dans le carré des officiers. Certains voyaient dans ce manquement aux traditions un mauvais présage. Il faut dire que celui que l'équipage surnommait "le sorcier juif" était lui-même un mauvais présage : son apparence de kabbaliste, son accent italien, sa manie de marmonner dans sa barbe et le ton mystérieux qu'il prenait quand il daignait adresser la parole aux simples mortels étaient profondément irritants.

Lorsque Bernhard Hammerschmidt entra dans la cabine, Evangelisto Barbo ne se donna pas la peine de se lever pour l'accueillir. Allongé sur la couchette, c'est à peine s'il tourna la tête vers le nouvel arrivant.

— Ah Capitaine, je suis bien aise de vous voir, dit-il. Figurez-vous qu'avec tout le boucan que font vos moteurs, il est impossible de dormir dans ce navire...

— Si cela peut vous consoler, les membres d'équipage dorment dans la chambre des torpilles, qui est moins confortable et tout aussi bruyante. Mais ce n'est pas pour m'inquiéter de votre confort que j'ai demandé cet entretien. J'aimerais savoir pourquoi le matelot Hans Feuerbach est prostré depuis trois jours sans adresser la parole à quiconque en obéissant aux ordres comme une mécanique.

— Qui ça ? demanda Barbo. Ah, le petit Hans, il est très bien ce petit. On peut dire que ce garçon m'a été utile... Quel est le problème en fait ? Il obéit aux ordres, n'est ce pas l'essentiel ?

— Que lui avez-vous fait ?

— Mais absolument rien, il m'a accompagné et il a fait son devoir, ainsi que vous et moi devons faire le nôtre. Vous en avez parlé avec lui ? Il me semble qu'il fait partie de votre équipage... Oh, vous me faites penser que je ne vous ai pas encore remis le message à transmettre à Berlin pour annoncer la bonne marche de notre mission, attendez une minute...

Evangelisto Barbo s'installa sur la couchette et sortit un carnet de sa poche dont il arracha une page pour la remettre au Capitaine après y avoir écrit quelques mots :

« La Femme Ecarlate est resplendissante Les chemins d'Eric le Rouge sont ouverts. »

— Mes officiers ont essayé de l'interroger, répondit le Capitaine en lisant le message, mais il ne fournit aucune explication cohérente, et son comportement nous inquiète... Je me demande si ça vaut la peine de coder un tel message, fit Hammerschmidt en fourrant le message dans sa poche. C'est aussi clair qu'une annonce de Radio Londres.

— Pour le Reichsfürher Heinrich Himmler, ce message sera limpide. Vous devriez laisser à ce garçon le temps de recouvrer ses esprits. Au fait, j'ai une deuxième mission à remplir, il faut que nous fassions route vers le Svalbard au Nord-Ouest.

— Nous faisons route vers le Sud-Ouest, Signore Barbo. Au cas ou vous l'auriez oublié, la fonction première de ce navire est de couler les convois ennemis qui passent au large du Groenland et de l'Islande.

— C'est contrariant, car ce que je cherche est plus au nord, et il me semble que le Major Schäffer vous a recommandé de ne pas prendre trop de risques et de faciliter ma misson autant que possible.

— Votre mission, quelle que soit la valeur que vous lui accordez, est secondaire. Et c'est à cette seule condition que j'ai accepté de vous prendre à bord. Nous avons déjà pris des risques en acceptant de faire un détour par l'Islande pour que vous puissiez faire vos petites affaires, nous en ferons un second à la fin de la patrouille, lorsque nous aurons envoyé quelques cargos par le fond. J'espère que cela vous suffira parce que je n'ai rien d'autre à vous offrir. Et il en sera ainsi tant que je n'aurai pas reçu un ordre formel de Berlin ou que vous n'ayez fourni une explication valable au comportement du jeune Hans.

— Oh, je ne suis pas pressé, répliqua Barbo. S'il suffit de couler quelques navires pour vous mettre de bonne humeur allez-y... les ordres viendront bien assez tôt.

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— Dix mille marks ? C'est une blague Ludwig ! Ce petit machin ridicule ne vaut pas dix mille marks.

— Ce petit machin est un diamant, Kurt. Tu l'as vu comme moi, non ? Et c'est parce qu'il est tout petit qu'il vaut aussi peu. Une pierre plus grosse vaudrait une fortune.

Les deux matelots attendaient leur quart dans la salle des torpilles. Ludwig Baltz était assis sur sa couchette tandis que Kurt Guterman était debout, appuyé contre la paroi.

— Oui je l'ai vu, répondit Guterman. On peut dire que Karl a eu la main heureuse, le voilà plus riche que nous tous réunis... A conditions que tu le rachètes à ce prix-là. Ton beau frère saurait le revendre ?

— C'est en temps de crise que ça se vend le mieux... une fortune facile à transporter et à cacher...

Il s'interrompit soudain. Un bruit de pas résonnait dans le couloir.

Au moment ou le Capitaine apparut, le Caporal Kurt Guterman se mit au garde-à-vous.

— On ne salue pas dans un sous-marin, Monsieur Guterman. Depuis le temps que vous êtes à bord, vous devriez le savoir.

— Oui Capitaine ! répondit Guterman en essayant de reprendre une certaine contenance. C'est une habitude prise dans l'infanterie où ils étaient beaucoup plus... enfin voilà, excusez-moi.

— Mais comme vous êtes bien élevé, Monsieur Guterman, reprit Hammerschmidt d'un ton visiblement ironique. Vous saluez, puis vous vous excusez... c'est en prison que vous avez appris ces bonnes manières ?

— Vous êtes au courant ?

— Je sais ce que je dois savoir sur tous les membres de mon équipage, Monsieur Guterman, tenez-vous le pour dit, je vous tiens à l'oeil. Mais je ne suis pas venu pour vous faire la morale. Où est Hans ?

— Hans ? Il dort dans la salle des machines.

— Drôle d'idée, il serait nettement mieux ici... enfin ! Dès que vous le voyez, envoyez le moi au carré des officiers, j'ai deux mots à lui dire.

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