L'incroyable & magnifique Gus

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Il frappe trois coups timides à la porte. Le silence est lourd, pesant. L’atmosphère a changé, l’orage est prêt à éclater. Mes mains sont moites et je prends enfin conscience de ce que je risque de découvrir derrière cette porte. Je déglutis lorsque j’aperçois la main de Gus tourner lentement la poignée. C’est long, trop long. D’un geste, je le pousse contre la porte et nous entrons dans un élan commun dans la chambre de Granny. Je regarde à gauche, à droite. Outre son lit qui trône au centre de la pièce, des commodes sans aucune importance, tout est rangé. Toutes les affaires de Granny sont minutieusement à leur place. Aucun pli ne vient troubler les draps parfaitement lisses du lit, aucun objet sur les armoires. Les étagères sont vides comme si Granny venait de partir.

  • Elle est pas là, la vieille, annonce Gus en faisant le tour du lit.

Sur les tables de nuit qui sont logées de part et d’autre de cet imposant lit royal aucune trace de quoi que ce soit. Je cligne plusieurs fois des yeux sans trop comprendre ce qu’il se passe et j’attends que Gus me donne une indication ou une explication simple. Il regarde à travers les rideaux et d’où je suis, je ne vois que les pâturages, que des champs où broutent les chevaux. A moins que Granny ne soit tombée de la fenêtre fermée sans fracasser la vitre, il n’y a aucune chance que le bruit suspect que nous avons entendu quelques instants plus tôt ne proviennent d’ici. Gus détache son regard des verts espaces et revient vers moi et retourne dans le couloir. J’ose exprimer un soupir de soulagement et je prends plaisir à sentir le parfum qu’il laisse traîner derrière lui.

  • Lucy, m’faut la clé du bureau. 

J’hausse les épaules. Comment pourrais-je posséder la clé d’une pièce où il m’est strictement défendu d’entrer ? Gus lève les yeux au ciel et sans que je ne puisse réagir il enfonce la porte d’un coup d’épaule parfaitement et magnifiquement bien placé.

  • Merde ! 

Je l’entends jurer poliment et je m’engouffre dans le bureau en craignant pour mes pauvres petits doigts qui risqueraient de souffrir lorsque j’écrirais les mots de la lettre G quand je m'attellerais dans le salon pour copier mes lignes. En entrant, je manque de trébucher sur le bras inerte de Granny qui gît au sol comme si elle s'entraînait à faire la brasse. Gus reste muet. Nous nous regardons sans trop savoir quoi faire. Lorsque mes yeux parcourent le corps sans vie de ma grand-mère, une corde de nœuds se loge dans le creux de mon estomac. Si lourde qu’elle m’en donne la nausée. Elle a les yeux fermés. Son visage pourrait être paisible si elle n’avait pas les sourcils froncés et cette coulée de sang qui glisse le long de sa joue, prenant sans doute naissance à la racine de ses cheveux. Les nœuds se resserrent petit à petit lorsque je prends conscience de ce qu’il se déroule sous mes yeux. Je suis incapable de faire le moindre mouvement comme si ce poids m’empêchait de me pencher vers elle pour glisser ses mèches grises qui lui balafrent le visage. Je sens la main chaude de Gus serrer la mienne et les nœuds se serrent tellement fort que je m’écroule au sol. Nous avons en commun la connaissance de la mort lui et moi, et je sais qu’il comprend. Qu’il comprend le vide dans lequel je suis aspirée à cet instant, ce moment où même l’espoir ne semble plus exister, où toute forme de lumière semble être éteinte aspirée dans les abysses de l’éternité. Je suis seule au monde. Mes yeux vagabondent sur ce corps sans vie. Je n’arrive pas à pleurer, mes yeux sont aussi secs que le désert qui se trouve à quelques centaines de kilomètres du ranch. Le nœud semble être remonté dans le creux de ma gorge. Je voudrais parler mais l’étau se resserre tellement fort que je pourrais vomir si j’ouvre la bouche. J’ai toujours la main brûlante de Gus qui entrelace la mienne. Je n’ose pas le regarder, je préfère regarder ce corps que de lire la vérité sur son visage que je n’arrive pas encore à accepter totalement. Je sens sa main me lâcher, ma seule bouée à laquelle je m’accrochais. Les larmes inondent mes paupières et restent bloquées au ras de mes cils. Du coin de l’œil, malgré ma vue brouillée, je vois la silhouette de Gus se pencher en avant. Après quelques secondes il murmure :

  • Elle respire encore.

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