L'insolence charismatique de Gus

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Assise sur les marches en bois sur le patio extérieur, je regarde l’ambulance s’éloigner puis disparaître petit à petit du chemin de terre. Tout est allé très vite grâce à Gus, comme s’il avait déjà été confronté à des situations de crise. Tous ses gestes étaient parfaitement maîtrisés. Il avait prodigué des soins à Granny, m’expliquant qu’il étudiait la médecine à l’Université pour me rassurer quand je l’avais regardé, paniquée. Tout en s’occupant d’elle, il me parlait, me dévoilait des détails sur sa vie que je ne connaissais pas et que je prenais soin d’imprimer dans chaque neurone de mon cerveau d’adolescente. Si j’avais su qu’il fallait que Granny fasse un malaise et s’explose la tête contre le coin de son bureau pour obtenir des détails croustillants sur la vie de Gus… Je n’aurais sans doute pas provoqué l’accident mais peut-être que j’y aurais pensé plus d’une fois. J’avais imaginé Gus étudier bon nombres de matières. Certains soirs, je me surprenais à l’imaginer en archéologue, d’autres, en militant hippie acharné contre le nucléaire mais jamais je n’avais eu la prétention de l’imaginer médecin. Et malgré la gravité de la situation, le voir si sûr de lui et s’occuper de Granny de la sorte, je n’ai pas pu m’empêcher de le trouver bien plus attirant que lorsque je l’imagine le torse en sueur s’éponger le front après avoir travaillé dans les boxes à chevaux.

  • Viens, on remonte dans le bureau d’la vieille.  

Il me fait sortir de mes rêveries et je le suis toujours aussi silencieuse. Je me risque à lui demander pourquoi et sa réponse me laisse perplexe

  • T’sais, si c’était accidentel comme l’ont dit les ambulanciers, elle se s’rait pris les pieds dans l’tapis et il n’aurait pas été parfaitement mis comme il l’était quand nous sommes entrés. Faut pas me prendre pour un con. 

Oh non tu n’es pas stupide Gus, mais je garde cette réflexion pour moi. Il continue tout en grimpant les escaliers, se moquant éperdument de foutre les bibelots au sol :

  • La vieille, elle était robuste et savait lever ses pieds. 

Oui, il a raison. D’ailleurs, elle n’hésitait pas à me lancer le premier objet qui lui passait sous la main lorsque je faisais traîner mes pantoufles.

  • Et puis, le bruit qu’on a entendu dans ta chambre, c’est pas le corps de ta grand-mère au sol. Vu son cul, ça aurait fait écrouler la maison, moi j’te l’dis. 

Je ne peux m’empêcher de sourire. C’est sûr, ma grand-mère a longtemps troqué sa taille d’antan pour être bien plus confortable que je prenais plaisir à redécouvrir lorsqu’il lui arrivait de me prendre dans ses bras. Elle n’était pas souvent de bonne humeur mais elle savait ce qu’elle voulait. Tout devait être comme elle le souhaitait. Une main de velours dans un gant en fer. D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment compris comment Gus pouvait la supporter, c’est un des rares ouvriers qui ait tenu le coup aussi longtemps. La plupart claquent la porte après quelques mois maudissant le côté ronchon et autoritaire de Granny. Devant la porte du bureau, j’hésite à entrer alors que Gus ne se gêne pas pour inspecter le tapis aux couleurs criardes. Je l’observe se mettre à quatre pattes.

  • Ne penses-tu pas que tu exagères ? Elle a peut-être fait une chute de tension ou… 

Il me coupe la parole intensément et lâche :

  • Chut. C’est moi l’adulte. 

Il replonge sa tête au sol tandis que ma bouche est grande ouverte. Je ne sais quoi répondre. En théorie, il n’a que cinq années de plus que moi mais je ne peux m’empêcher de me dire qu’il a certainement raison. Ma grand-mère pouvait se montrer tellement pénible qu’elle s’était surement mis chaque habitant de Laredo à dos. Je profite du fait qu’il soit occupé à ramasser la poussière du tapis avec son corps pour inspecter le bureau de Granny. Sur aucun des coins il n’y a de trace de sang. Et si Gus avait raison ?

  •  Dis, la vieille, elle n’a jamais quitté la ville, non ? 

Je réponds machinalement tout en ouvrant un bouquin qui retrace l’historique du Texas

  • Non, elle n’a jamais quitté la ville. D’ailleurs, je ne suis même pas sûre qu’elle soit retournée à Austin un jour. Pourquoi ? 

Il se matérialise à côté de moi, me tends son poing et dépose dans ma main un petit coquillage blanc fendu.

  • Tu m’expliques comment c’est arrivé là, alors ? 

J’ai à la fois envie de frapper son visage pour voir disparaître son air insolent mais également envie de fondre sous tant d’intelligence et de perspicacité.

  • En tout cas, ce n’est pas moi qui l'ai placé là, je n’ai jamais été à la mer de ma vie. 

Les yeux de Gus brillent de malice. Je comprends instantanément le jeu qu’il se fait dans sa tête et son sourire excité affirme ce que je redoute : il veut découvrir d’où provient ce mystérieux coquillage. Est-ce qu’il est trop fou pour se rendre compte que c’est impossible ?! Je n’arrive pas à le suivre, je vais finir par boire la tasse.

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