Chapitre 40

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Paris, mercredi 28 mai 2025

Jour J, 21h05

32 minutes avant le coucher du soleil. Pressant le pas, Nathan se retrouva bientôt face au dernier pont de Paris. Devant lui, des bobines de barbelés militaires couraient sur toute la largeur du pont et formaient un obstacle de plus de deux mètres de haut. Sans hésiter une seconde, il ôta sa saharienne et la jeta au sommet des barbelés. Il se recula, prit son élan et sauta le plus haut possible. Ses doigts agrippèrent le vêtement et il tira de toutes ses forces pour se hisser au-dessus du mur de barbelés.

Mais les lames de rasoir qui partout parcouraient les bobines de barbelés en avaient décidé autrement. Elles déchirèrent sans peine le fin coton de la saharienne et pénétrèrent la pulpe de ses doigts. Lorsque le reste de son corps entra en contact avec les barbelés, les lames lacérèrent son tee-shirt et tout son torse, son jean et toutes ses cuisses. Au moment de basculer de l’autre côté, les lames qui avaient pénétré sa peau lui arrachèrent quelques morceaux de chair supplémentaires.

Nathan chuta lourdement au sol. En se relevant, il s’aperçut que tout son corps était marqué des stigmates de l’ascension et qu’un sang abondant se déversait le long de ses habits déchirés. Mais il n’y prêta pas plus d’attention que cela ; il ne pensait déjà plus qu’à Chloé.

Il se mit alors à courir, la Conciergerie n’était plus qu’à quelques mètres. Devant lui, au bout du pont, se dressaient les hautes cloisons métalliques qui encerclaient l’île de la Cité et protégeaient le QG ennemi de la vindicte parisienne. Nathan se préparait déjà à escalader et franchir cet ultime obstacle lorsqu’il se rendit compte que le portail coulissant qui filtrait les accès au pont depuis le QG de l’île avait été laissé entrouvert. Cette bizarrerie ne le troubla pas outre mesure et il se contenta de penser que les américains avaient oublié de le refermer lors de leur départ précipité.

Une fois de l’autre côté du portail, il tomba nez à nez avec le plus infâme des monstres parisiens : la Conciergerie. Cette créature de pierre tout droit sortie des légendes médiévales, avec ses quatre énormes pattes profondément ancrées dans le sol, son corps recouvert d'écailles brillantes et son dos parsemé d'épines, avait avalé et digéré des milliers de condamnés à travers les époques, sans jamais en être inquiétée. Mais son règne de terreur touchait à sa fin et Nathan allait bientôt lui faire regretter ses siècles de cruauté envers les Hommes. Bientôt il ouvrirait le ventre de la bête et lui ferait recracher sa dernière victime.

Face à l’entrée qui menait au sous-sol, Nathan se souvint des plans tracés par Iéna et du système de scan rétinien qui verrouillait l’accès à la prison réhabilitée. Il sortit alors la petite boîte en plastique jaune de sa poche et l’ouvrit pour en extraire le globe oculaire du soldat américain. Il pria pour que le système soit toujours sous tension et approcha la rétine du scanner. Il ne se passa rien pendant deux à trois secondes, puis la porte s’ouvrit comme par magie.

A l’intérieur, tout était comme le traître Victor Bousquet l’avait décrit : le sas où il se trouvait était séparé du reste de la prison par une lourde grille et, sur sa gauche, le poste de contrôle resté vide était isolé par de lourdes vitres blindées. Dans la pénombre de la prison, Nathan jeta un coup d’œil à sa montre : 21h15.

Plus que 22 petites minutes. Nathan sortit alors de sa poche ce qu’il avait emprunté au tireur fou : une grenade à fragmentation. Il la coinça contre la poignée de la porte vitrée du poste de surveillance, retira la goupille et ressortit aussitôt.

L’explosion fit trembler les murs et le sol. Lorsque Nathan entra de nouveau, l’ancienne vitre blindée avait cédé la place à un trou béant. Il se précipita à l’intérieur du poste de surveillance et chercha la commande qui actionnait la grille d’accès aux cellules. Il ne voyait quasiment rien et le panneau de contrôle semblait rempli de boutons tous semblables. En fouillant à droite à gauche, il finit par tomber sur une lampe torche accrochée au mur. Il balaya son faisceau sur le panneau de contrôle : la seule différence entre tous ces boutons était le numéro étiqueté sur chacun d’entre eux : de 0 à 100.

Son intuition le poussa à appuyer sur le numéro 0. Grand bien lui prit, un léger déclic tout près lui indiqua que la grille principale était maintenant déverrouillée.

Il releva la tête et jeta un coup d’œil à la salle des Gens d’armes que les américains avaient aménagée en prison : gigantesque et plongée dans une quasi obscurité, la salle voutée d’ogives était supportée par des centaines de piliers aussi massifs qu’identiques. Entre chacun des piliers, des sortes de containers en acier de quatre ou cinq mètres carrés avaient été installées. Mis bout à bout, il y en avait facilement une centaine. Nathan savait que s’il les ouvrait tous, il n’aurait jamais le temps d’identifier la cellule de Chloé. Alors il retourna le poste de contrôle, fouilla chaque tiroir la lampe entre les dents, déplia chaque papier jeté à la corbeille. L’un d’entre eux portait l’intitulé suivant : « Prisoner List – 05/20/25 ». Et une vingtaine de lignes plus bas : « N° 88 : C. Tousinian ».

Nathan enfonça le bouton numéro 88 d’un coup de poing et fonça à travers la prison. Il était alors 21h21 et il restait 16 minutes avant le coucher du soleil.

Une fois dans le ventre de la bête, le faisceau de sa lampe balaya une première rangée de cellules sans apercevoir la moindre porte d’ouverte. 21h22.

Il bifurqua entre les côtes et les viscères de la bête pour parcourir une deuxième rangée de cellules. L’estomac de la bête se révéla ici tout aussi vide. 21h23.

Lorsqu’il débarqua dans la troisième et dernière rangée, le faisceau de sa lampe fit miroiter une porte métallique entrouverte tout au bout de la salle. Il courut à en perdre haleine et agrippa la porte de la cellule 88 pour pouvoir se stopper net. 21h24.

Quelques minutes plus tard, Nathan ressortait de la Conciergerie, Chloé entre ses bras, son visage tout contre son épaule. 21h29.

Il fit quelques pas avant d’asseoir Chloé contre le parapet du dernier pont de Paris. Puis Nathan s’assit aux côtés de Chloé et ils admirèrent tous deux la vue de Paris depuis le pont. 21h31.

La vue y était magnifique. Le soleil couchant irisait les façades en pierre et faisait miroiter l’eau de la Seine. Dans le ciel, les nuages s’étaient estompés pour mieux laisser place à un délicat dégradé de bleu.

Nathan pleurait devant ce si beau spectacle de la nature. Chloé, elle, ne pleurait pas. Ses yeux étaient restés clos. Nathan n’osait la regarder. Il n’en avait pas la force. Il était arrivé trop tard. 21h37.

Une première explosion au loin suivit le dernier rayon de soleil. Nathan attrapa la main de Chloé et la serra aussi fort que possible. Il se tourna vers elle et déposa un baiser sur ses lèvres devenues froides. Le front collé contre le sien, ses larmes contre ses joues, il lui susurra combien il était désolé, combien il aurait voulu arriver plus tôt, combien il aurait aimé revoir une dernière fois l’éclat de ses yeux et son sourire malicieux. Mais déjà sa gorge se serrait, il n’arrivait plus à respirer. Ses membres se mirent à trembler et tout son corps fut bientôt agité de spasmes. Il s’écroula par terre tout en maintenant fermement la main de Chloé dans la sienne. Aucun agent chimique, aussi terrible fût-il, n’aurait pu le séparer de Chloé en cet instant.

Car l’ennemi n’avait jamais eu l’intention de raser Paris, il s’était contenté de lui faire parvenir quelques charmants missiles remplis de gaz sarin. Suffisamment pour réduire la population de Paris à néant. Il s’était ensuite pressé d’expliquer à la communauté internationale, preuves à l’appui, que les missiles incriminés provenaient d’un ancien stock de l’armée française tombé entre les mains de la résistance française extérieure, lesquels avaient volontairement bombardé la capitale pour faire accuser les Etats-Unis de crime de guerre. Ils étaient même allés jusqu’à présenter les corps de dizaines de soldats américains prétendument morts lors de l’attaque.

Le dos contre terre, parcouru par des spasmes de plus en plus violents, Nathan tenait toujours la main de Chloé. Les yeux braqués vers le ciel cobalt du soir tombant, il mourait et murmurait. Il murmurait ces quelques mots : « Je meurs ; je meurs et je me souviens ».

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