Chapitre 5

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Paris, mercredi 28 mai 2025

Jour J, 9h25

L’annonce de cette nouvelle estomaqua Nathan. Il sentit son cœur se serrer et ses jambes se dérober. Il s’assit sur un des sièges de la rame afin de faire le point.

Ainsi donc venait la fin, sa fin. Elle, qu’il avait tant espérée et qui si souvent s’était détournée de lui. La voilà qui se tenait à présent devant lui, le regard attendri et les bras grand ouverts.

— Bombarder Paris ? Tu en es sûr ? Absolument sûr ? insista Nathan.

— Il n’y a malheureusement aucun doute là-dessus, Valmy me l’a confirmé lui-même hier soir. Il est d’ailleurs furieux contre nous, il est persuadé que nous sommes à l’origine de l’attaque de la rue de Crimée et que c’est cet attentat qui a précipité la décision américaine de détruire la capitale.

— Tu sais aussi bien que moi que cet attentat n’est qu’un prétexte pour les américains. S’ils sont décidés à bombarder Paris, alors ils le feront, attaque de la rue de Crimée ou non.

— Je le sais bien, mais je sais également que l'Histoire ne retient que les prétextes. Tout comme elle a retenu que Pâris a mené Troie à sa perte après l'enlèvement d'Hélène, elle retiendra que nous trois avons mené Paris à sa perte.

— Laisse Chloé en dehors de ça, s’il te plaît.

— Il faut pourtant t’y préparer : comme tous les autres habitants de cette ville, Chloé sera morte au coucher du soleil. A 21h37 plus exactement.

A ces mots, Nathan bondit de son siège et frappa la table du poing. Que Charles puisse évoquer la mort de Chloé lui était insupportable et son esprit ne pouvait se faire à cette idée :

— Non ! Je peux pas te croire, ce que tu dis est impossible. On parle quand même d’une tuerie de masse et d’un crime de guerre !!

— Que ce soit un crime de guerre n’a jamais empêché aucun Etat d’en commettre... Les Etats-Unis jouent leur va-tout dans cette histoire. Ils savent que nous préparons le soulèvement de Paris. Ils savent également qu’en dehors de ces murs, la France entière est prête à se rebeller et que nos alliés européens seront bientôt en capacité d’entrer à leur tour en guerre. Anéantir Paris est devenu le seul moyen pour eux d’empêcher la bataille de France et de pousser nos alliés à négocier une trêve.

Malgré l’implacable démonstration de son interlocuteur et la réalité d’une guerre qu’il ne connaissait que trop bien, Nathan tenta d’exploiter une ultime faille dans le raisonnement de Charles :

— Un tel acte mettrait les Etats-Unis au ban de la communauté internationale. Tu imagines les conséquences pour eux ? Ce serait terrible, leur économie serait durement touchée et leur réputation sur la scène internationale complètement ruinée !

— Sauf s’ils font croire à un accident...

— Un accident ?! Tu n’es pas sérieux ? On parle de trois millions de parisiens !!!

— Ecoute, ils contrôlent la France entière et ont détruit tous les satellites non américains qui survolaient le pays. Personne d'autre qu'eux ne sait ce qu’il se passe vraiment ici. Cela leur octroie de grandes marges de manœuvre et Valmy a bien conscience de cela, c’est un familier des techniques de propagande militaire. Lors de notre entrevue, il m’a expliqué qu’il suffirait aux américains d’annoncer qu’une tête nucléaire tactique, de fabrication française et ne dépassant pas les 300 kilotonnes, a explosé entre les mains de rebelles français peu expérimentés pour que le tour soit joué.

— Je peux pas l’imaginer. Il y aura bien des experts pour remettre en cause cette version et des témoins qui auront vu passer un missile, un avion ou je ne sais quoi d’autre, mais en tout cas, il y aura toujours un doute.

— Un doute, justement. Sans certitude à 100%, subsistera toujours un doute. Et crois-moi que les renseignements américains sauront inventer des preuves suffisamment crédibles pour l'entretenir. Peut-être y aura-t-il des condamnations de la part de l’ONU ou de certains pays. Mais au fil du temps, l’émotion et l’indignation laisseront place à la Realpolitik et à la normalisation des relations diplomatiques et économiques. Qu’on le veuille ou non, les Etats-Unis d’Amérique dominent encore ce monde.

— Il n’y a donc plus rien à faire ? demanda Nathan, atterré.

— Si. Mourir debout.

Nathan sentit un frisson lui parcourir tout le corps. Il ne put empêcher ses yeux de se couvrir de larmes. Il repensa une dernière fois à Chloé, referma les paupières un instant, serra les poings puis, résigné, demanda :

— Quand est-ce qu’on part ?

— Je te l’ai dit, tu ne viens pas avec nous. Tu as une promesse à tenir.

— Cela n’a plus d’importance maintenant, rétorqua Nathan sans croire un seul instant à ses propres paroles.

— Bien plus que tu ne sembles le penser. Explique-moi en quoi il serait bon de sauver ce pays si l’on devait renier tout ce qui a façonné cette nation ? Tu as fait une promesse. A une femme qui plus est. L’honneur te commande de tenir parole.

Nathan acquiesça de la tête, les yeux encore embués.

— Bien. Maintenant, excuse-moi Nathan, mais j’ai une opération à mener à bien.

Nathan et Charles sortirent de la rame de métro. Sur le quai, rassemblés en colonnes deux par deux avec un homme en pointe, les cinq autres attendaient en silence. Chacun disposait d’un sac à dos posé à ses pieds. Charles prit alors la parole :

— Austerlitz ! Rapport !

— Unité prête et opérationnelle, équipement à disposition, répondit aussitôt l’homme en pointe du cortège.

— Bien. Messieurs, quelques rappels avant notre départ : souvenez-vous que toute communication est brouillée depuis l’attaque ennemie. Aucune liaison radio ou GSM ne pourra donc être établie entre les différents combattants sur le terrain. Nul besoin de vous dire qu’il est vital que chaque combattant soit en position à chacune des étapes de l’opération. Le moindre manquement serait de nature à remettre en cause la totalité de l’opération Durandal. Reçu ?

— Reçu ! clamèrent-ils comme un seul homme.

— Synchronisation des montres. La mienne indiquera très exactement 9h38 dans 5, 4, 3, 2, 1... Top ! Rompez les rangs !

Les cinq récupérèrent alors leur paquetage, firent demi-tour et s’enfoncèrent au pas de course dans les ténèbres du tunnel de métro. Une fois disparus, Charles fouilla une de ses poches, en ressortit une clé toute simple et se tourna vers Nathan :

— Voici la clé de l’appartement C, tu sais quoi en faire.

— Oui, confirma Nathan en la récupérant. Mais je vais aussi avoir besoin d’une charge explosive et d’un système de mise à feu. De quoi faire sauter une porte blindée.

— Ok, reste ici.

Charles retourna dans la rame de métro, puis en ressortit quelques secondes plus tard avec un petit paquet emballé dans du papier craft. Il le tendit à Nathan :

— Voilà qui devrait faire l’affaire. Selon le haut-commandement, les américains ont retiré leurs troupes stationnées sur l’île de la Cité durant la journée d’hier. Cependant, il se peut très bien que des soldats restent stationnés là-bas jusqu’au dernier moment. Alors sois prudent.

L’image de l’île de la Cité transformée en vaste camp retranché américain traversa l’esprit de Nathan.

— Et s’ils ont décidé d’exécuter les prisonniers avant d’abandonner leur QG ? s’inquiéta-t-il.

— Très peu probable. La décision de détruire Paris a été prise dans la précipitation. L’évacuation de leur QG également, ils n’ont pas de temps à perdre avec l’exécution d’une centaine de détenus. A plus forte raison lorsqu’on sait que nous serons tous morts ce soir. Non, il leur est bien plus facile de laisser les prisonniers croupir dans leurs cellules en attendant les bombardements. C’est en tout cas le raisonnement que ferait un état-major digne de ce nom.

— J’espère que tu dis vrai.

— J’en suis persuadé.

— Ok. Bonne chance.

— C’est toi qui as conçu cette opération, Nathan. Ce n’est pas de chance dont nous aurons besoin, mais d’abnégation.

Nathan fit un signe de tête en guise d’approbation, puis se retourna et sauta sur la voie. Charles le regarda s’éloigner en direction du tunnel. Il l’interpella juste avant qu’il ne disparaisse :

— Sors-la de là, Nathan.

— C’est bien mon intention, rétorqua ce dernier sans même se retourner.

L’instant d’après, il disparaissait dans la nuit.

Charles se retrouva alors seul dans la station de métro. Il lui restait une dernière tâche à accomplir avant de rejoindre son unité.

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