Deuxième partie

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 « Tsubaki-san ! Tsubaki-san ! s'était écrié Kurama en entrant en trombe dans sa chambre, le souffle haletant. Vous avez entendu la dernière nouvelle ? »

 Tsubaki s'était aussitôt retournée pour le foudroyer du regard. En effet, elle se trouvait encore en sous-vêtements et ses domestiques s'occupaient à démêler sa chevelure blanche hirsute.

 « Dehors ! Pervers !

 — Ah... Pardon... Je n'avais pas vu que... » bredouilla-t-il en se rendant compte de sa boulette, le visage rouge pivoine.

 A ce moment-là, se disait-elle, le teint des joues de Kurama n'avait rien eu à envier à la couleur profondément rousse de son pelage naturel qu'il portait sur le dessus de la tête et l'entièreté de son dos jusqu'à la pointe de sa queue touffue. Ses joues, son ventre et le bout de sa queue étaient mangés par du blanc éclatant, alors que ses pattes noires et le bout de ses oreilles de même couleur contrastaient avec tout le reste. Dire qu'il allait tout perdre en grandissant pour un crème uniforme... Tsubaki adorait le rouge par-dessus tout, qui lui rappelait la floraison des camélias à la fin du dernier hiver.

 La maîtresse des lieux prit un soin tout particulier à s'occuper de sa tenue, revêtit pour l'occasion son kimono rouge aux liserés d'or, et se laissa maquiller de fards à paupières et à joues. La mixture utilisée à cet effet sentait la suie et la colle, deux odeurs orthodoxes que Tsubaki avait appris à apprécier à ses dépens. Ses suivantes ne cessaient de louer sa beauté pâle, et elle aimait à s'admirer dans les miroirs du palais. Elle avait eu de la chance : elle tenait ses poils blancs de son père, et on n'aurait pu rêver meilleure couleur pour parer le visage d'une dame de sa condition.

 « Vous pouvez disposer, mesdames, vous avez fait un travail magnifique pour embellir la princesse aux camélias. Je vous remercie.

 — A votre service, princesse. »

 Ses suivantes prirent congé d'elle en gloussant et en pavoisant, laissant enfin le passage au garçon-renard qui pénétra à nouveau dans la pièce d'un pas gauche et hésitant cette fois.

 « Pardon, Tsubaki-san, je n'ai pas vraiment réfléchi à... »

 Il était tellement mignon quand il était gêné, les poils blancs rosissant sous le coup de son trouble, et ses pattes postérieures dansant l'une après l'autre sur le parquet de bois ciré. On aurait dit un jeune amoureux venu avouer sa flamme à sa dame. Tsubaki ne put s'empêcher de sourire d'un air amusé alors qu'elle lui répondait :

 « Toi ? Réfléchir ? Ce serait quelque chose de complètement inédit, Kurama-kun. »

 Leurs regards se croisèrent et ils éclatèrent d'un rire commun devant cette maladresse, une énième parmi tant d'autres, du jeune Kitsune.

 « Que voulais-tu me dire ? reprit-elle avec plus de douceur en agitant un éventail devant son museau fin. Quelle est cette fameuse nouvelle ?

 — Avez-vous entendu la dernière qui se murmure sur toutes les lèvres ? Il paraît qu'un Tanuki du clan Kyôen a réussi à se faufiler dans l'antre de Nekomata-sama et à en ressortir vivant. Vous rendez-vous compte ? C'est un exploit digne des plus grands Kami ! »

 Le Kitsune en était si excité que ses oreilles s'agitaient en tous sens et que ses moustaches frétillaient avec frénésie. Même sa queue ne tenait plus en place. Et encore, il se contenait ! Encore un peu et il se mettrait à danser sur place. Ç'en était adorable.

 « Kurama-kun, tu peux me tutoyer, tu sais. Nous sommes amis, non ?

 — Ah ! Je sais mais... ce n'est pas... Kareha-sensei m'a déjà sermonné à ce sujet...

 — Tutoie-moi uniquement lorsque nous sommes seuls, et Kareha-san n'en saura rien. Tu m'appelles bien Tsubaki-san, non ?

 — Entendu. Comme vous... tu voudras », conclut Kurama en se reprenant au dernier moment avant de pouffer de rire devant son incompétence.

 Le rictus de Tsubaki s'accentua devant les efforts manifestes du yokaï-renard pour lui plaire. L'éventail battit à nouveau son plein pour lui apporter une fraîcheur bienvenue : il faisait chaud en ce début d'été, et les nuits étaient fort chargées de la chaleur emmagasinée pendant la journée. Béni soit celui qui avait inventé cette précieuse invention de génie.

 « Qui donc a pu inventer pareille rumeur ? Personne, et je dis bien personne, ne peut se vanter d’un pareil exploit. S’il y a bien un shogun qui déteste la présence d’intrus sur son territoire, c’est bien Nekomata-sama. Personnellement, je pense à un coup monté pour discréditer sa vigilance et l’humilier.

 — Ce sont des chats de son clan qui ont lancé la rumeur, lors de leur dernier passage dans la citadelle pour vendre leurs dernières créations en os. D’ailleurs, j’ai aperçu sur l’un des étals un collier qui aurait pu vous plaire, ajouta Kurama sur un ton destiné à la taquiner.

 — Et tu ne l’as pas acheté pour me faire plaisir ? C’est un scandale, fit mine de s’offusquer la fille-louve en battant des cils.

 — Mon attitude est impardonnable, je le sais. Comment puis-je me faire pardonner ? »

 L’éventail battit à nouveau, cachant aux yeux verts du renard le menton et la bouche de son interlocutrice, soudain pensive. Tsubaki se tourna vers sa fenêtre et baissa les yeux sur les arbustes à camélias en fin de floraison. Son regard se trouva accroché par les fleurs rouges dont les pétales étaient emportés au gré des caprices du vent d’été. Une idée germa dans son esprit. L’Okuri referma son éventail d’un coup sec et se tourna vers son ami, posant une main sur son cœur et arborant un air des plus solennels sur son visage juvénile.

 « Ta mission sera de me rapporter le plus magnifique des camélias du jardin de ma mère, à l’insu de tous. Il me sait gré de le voir orner ma merveilleuse chevelure immaculée. Ne serait-ce pas à propos pour me parer des plus dignement ? Qu’en penses-tu ?

 — A vos ordres, Princesse aux camélias », répondit-il dans une large courbette en entrant dans son jeu.

 Un battement de cils plus tard, Kurama était parti à l’assaut de sa quête, dans les jardins maternels, au bas de la fenêtre de la princesse aux camélias qui ne pouvait s’empêcher de regarder la scène d’un intérêt non feint. Le Kitsune se faufila entre les gardes, adoptant tour à tour l’apparence d’un camarade familier avec lequel des banalités furent échangées, ou bien encore celle d’un jardinier armé de cisailles et tout affairé à son art. La fleur tant convoitée sitôt coupée, il s’empressa de retourner dans la chambre de Tsubaki, de lui présenter son offrande modeste des deux mains, en s’inclinant profondément devant elle.

 « Pour parer dignement votre légendaire beauté, princesse.

 — Non, voyons, c’est trop, minauda-t-elle en battant des cils. Je ne puis accepter pareil présent.

 — Je vous en prie, il me serait gré que vous l’acceptiez. Rien ne saurait me faire davantage plaisir.

 — Très bien… si vous insistez, messire, je l’accepte avec joie. »

 Ils se sourirent mutuellement lorsque Kurama se redressa pour échanger un regard avec elle, et s’affairer à lui accrocher la fleur dans les cheveux. Ecarlate sur fond de neige, on ne pouvait rêver meilleur tableau, n’est-ce pas ?

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