Marche avec les stars

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Cheminer de concert avec un vieux beau gosse affable est douloureux.

Ainsi pensait Fringard en trainant ses rancœurs derrière ce gus que tout le monde ne faisait que saluer, complimenter, célébrer. Les fermières minaudaient « Belle journée, mon bon sire », les vignes le draguaient « Fine fleur, beau plant, charmant ! », même les vilains s'esbaudissaient « Oh là, mon bon seigneur, quel honneur » – Pouah ! mièvreries ! criait Fringard du fond de son crâne. Et ça n'arrêtait pas, tout le monde s'y mettait : des fleurs volantes se dévêtaient de leurs pétales pour lui tracer une route rosée, des oiseaux venaient se poser sur ses épaules en roucoulant, un vent clément mêlé de soleil venait caresser ses boucles poivre-et-sel – Maudit poivre et sel ! ajouta le sombre guerrier à sa hargne interne.

— Bon sang, qu'est-ce que t'as fait à tout ce peuple ? grinça-t-il, cette fois tout haut. Tu leurs files des pépites à chaque passage ? Vous gardez les cochons ensemble ? Tu vas, la nuit, faire rêver leurs couches ?

— Rien de cela, chevalier, je suis aimé car j'ai contribué au bien-être de cette population (ça t'en bouche un coin).

— Quoi ? T'as encore parlé ta barbe. Ta maudite barbe poivre et sel !

Poivre et sel !! Ces maudits condiments montaient au nez de Fringard. Ça devait cesser : il mit une main à l'épée, mais le vieillard ne s'en inquiéta pas et devisa, comme de rien.

— J'ai cru voir un lapin, ai-je dis, fit-il innocent comme la brise. Allons, mon brave. Laissons ces (ridicules) détails et parlons de vos (menus) talents. Quand se sont-ils déclarés ?

— J'aime pas cette façon de parler dans ta barbe, j'ai l'impression que tu me caches des choses.

Au bord de la route, comme des supporters, la populace proclamait des : « Salutations bienfaiteur » et autres « Gloire à vous, bonhomme », tout autant que de stupides « Noël noël ! » qui firent rugir le preux.

— Ce n'est même pas la saison, bordel !

Devant la colère de Fringard, les paysans, d'émerveillés, devinrent terrifiés. Quel était donc cette brute qui accompagnait leur vedette ?

De son côté, indifférent, toujours calme – toujours poivre et sel – le quadra poursuivit.

— Allons Fringard – je peux t'appeler Fringard ? – cesse donc de te méfier d'un vieil homme désarmé et inutile. (Petit imbécile crédule) tu m'as à ta merci, je ne saurais te cacher des choses. Ce que tu entends ne sont que les sursauts d'une bouche ancienne, qui a déjà bien trop parlé ! à ton tour de causer... à moins que tu ne souhaites poursuivre seul.

— Non ! s'exclama le chevalier. Tu m'intéresses avec ton histoire de narrateur du monde machin-là. C'est quoi c't'affaire ?

Autour, les groupies reprirent : « Vous revenez, enfin ! » ; « Nous vous aimons » ; « Trop bôôô, trop booon » ; pire, encore : « Mariez donc ma fille, la dot sera belle, comme sa cuisse ! ».

Ce fut trop ! Fringard beugla en dégainant Pourprée. Une main apaisante se tendit vers lui (Charmante et douce – jusque ce qu'il fallait de viril –, elle témoignait d'une vie de travail, sans être usée par trop d'années de dur labeur. Une main de mannequin. De mannequin, de main).

— Laisse donc, ce n'est rien, plaida l'homme, toujours aussi tragiquement élégant. Je te parlais de mon ancien maitre, un grand sorcier. Comme toi, il pouvait, juste en parlant, changer la trame du réel (ah ah, ça t'épate, hein). Le sais-tu ? Il a rendu ce duché féérique. Avant, ce n'était qu'un pâle duché tout ce qu'il y a de plus classique, sa féodalité, ses massacres, sa saleté (et plein de gens comme toi, cancrelat). Et regarde, les oiseaux chantent, les gens sont heureux, des dragons colorent le ciel, des licornes paissent dans nos forêts, des fées butines nos fleurs, le tourisme tourne plein régime !

— Sauf qu'on offre des primes à des gars dans mon genre pour régler leur compte à vos merveilles.

— Broutilles, dommages collatéraux, rejeta-t-il d'un bruissement de barbe. Cela est dut à la gestion catastrophique de la duchesse. Cette ogresse.

— Quoi ? Elle sort aussi de... Euh... la bouche de ton maître, là ?

— Ah, non... C'est juste une humaine, compléta-t-il, presque déçu. Pas une vraie ogresse (petit imbécile).

— Tu continues... gronda Fringard.

— Voilà, je le disais, je parle trop et ma bouche se contorsionne de fatigue, à toi ! Alors ? Depuis quand ?

Un troupeau de fan attendait sur le bord de la route : « On vous adore, votre présence nous honore », « Voulez-vous ce chevreau ? désirez-vous déjeuner au resto ? ».

— Depuis quand quoi ? interrogea Fringard, agacé par ces mièvreries renaissantes.

— Tes symptômes, de narrateur !

« Je suis mourant, sans enfants, désirez-vous mon héritage ? Il est conséquent ».

— Oh lala... reprit Fringard, essayant de garder le fil. Ah, ça... C'te maladie ! Hum, depuis... Je ne sais... Oh, et puis ce foutu barde n'est jamais là quand on a besoin de lui. Il tient mes chroniques, il pourrait te le dire, vieillard.

« Salutations ô merveilleux bienfaiteur ! Je vous offre mon cœur ! » ; « Oh là, que voilà un invité de marque, passez donc ! Buvons, célébrons ! »

Tel un loup enragé rugissant vers la lune avant de se précipiter sur l'innocent troupeau, Fringard hurla à la mort et fondit sur ces nouveaux supporters.

— Raaaaaaah, bon sang ! Vous allez arrêter de lui lécher les bottes, merde ! cracha l'encarapaçonné, le regard devenu meurtrier (Fulminant, il se tourna vers la vedette du jour). T'en as pas marre de tous ces lécheurs de cul ?

— Mon cher Fringard, je te conseillerais de t'adresser plus poliment à ces hommes, ce sont les gardiens de la ville...

La bête humaine se tourna. En effet, sous ce porche gigantesque que sa colère lui avait masqué, deux soldats le regardaient, outrés.

— Les gard...

— Oui ! les gardiens des portes du château, étranger ! firent les deux plantons armés.

Leurs lances pointèrent son plastron mille fois griffé, leurs yeux insultèrent son visage mille fois heurté. Fringard comprit qu'il venait de flinguer son entrée.

— Bonjour, se reprit-il, tentant une bien vaine mièvrerie. Je suis Fringard Tue-dragon, je demande audience.

— Qu'est-c'est que ce nom pompeux ? intervint l'un des lanciers, se tournant vers monsieur poivre-et-sel. Entrez donc bienfaiteur, nous nous occuperons de ce félon.

— Oh, ne vous laissez pas emportez par ses allures bestiales (bande d'insipides bouffons), cet homme est mon ami, je l'escorte jusqu'à Beoffroy et la duchesse qui y réside.

Les gardiens parurent déçus. Une de leur lance alla poser sa pointe sous le nez du chevalier.

— T'as de la chance, « Ringard Pue-l'caleçon », sans cet homme, tu serais déjà pendu haut et court. Passe, mais tiens-toi à carreaux.

— Bande de cons, ponctua Fringard, en passant le portail.

— Avec ce que je viens de faire pour toi (pauvre chameau sans cervelle), reprit l'affable star qui déjà se faisait acclamer pour la populace empêtrée dans les boues de la basse-cour. Tu me dois une explication détaillée. Allons à l'auberge, tu m’expliqueras tout par le menu.

Ils s'enfoncèrent dans la ville, accompagnés par une vibration sourde. Comme le loup affamé privé de massacre, Fringard grognait.

Dans le ciel plein de lumière et de nuages fatigués, les six reines bouffaient leur popcorn.

— Tu es sûre que c'est lui ?

— Oui, fit l'interpelée, spectrale. C'est ce foutu pervers narcissique. Il prépare un coup... Un gros coup !

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