Coucou cougar

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Dans la forêt lointaine,

On entend le hibou.

Du haut de son grand chêne,

Il rép... se fit bouffer d'un coup !

Et fut cruellement emporté dans la mort, accompagné du bout de branche qui le supportait.

La créature funeste qui venait de sournoisement escalader l'arbre adjacent, imitant le coucou, pour mieux bondir sur ce pauvre volatil, atterrit sur un tapis de mousse, suivi d'une cascade de plumes orphelines. Tandis qu'elle goûtait le sang de sa victime, le rouge de ses yeux luminescents perçait déjà la nuit à la recherche d'une nouvelle proie. Quand soudain la nausée la frappa.

— Pouah ! Mais qu'est-ce qu‘il me prend ? fit Fringard en recrachant le grand-duc détrôné. Où suis-je ?

Question de pure forme et tout à fait inutile, car il était clair qu'il était dans une forêt.

À ses pieds, l'oiseau tendit son aile vers le haut, semblant dire "j'accuse", avant de retomber lamentablement sur une fougère prostrée.

Négligeant le drame, le chevalier commença à avoir mal au ventre, de faim ou de mal digérer, ce n'était pas clair.

Il observa autour de lui, remarquant qu'il n'avait jamais aussi bien profité du spectacle nocturne. Il voyait, malgré la pénombre, les fines rides des arbres, le lent balancement des feuillages, le petits animaux – écureuils ! – passant de branches en branches, les oiseaux voletants entre les feuilles pour gober quelque insecte gras. Il entendait aussi chaque détail, le souffle du vent, le bruissement des orties ou les branches – un cerf ! – qui craquent, il avait le sentiment de tout percevoir, comme en plein jour – même mieux qu'en plein jour ! Il se sentait alerte, tous azimut, et excité – droite, gauche, au-dessus, mille choses se passaient – et au loin, une route, des voix, un campement... des humains !

Perçant la nuit a la manière d'un cougar vorace, il se faufila entre les arbres en direction de la réunion.

Approchant du campement, il fut pris d'un doute...

Outre boire le sang de victimes apeurées, n'avait-il pas quelque-chose d'autre à faire, une quête ou quelque chose du genre ?

Pendant ses pérégrinations intellectuelles, il vit un cougar, justement, qui approchait de la petite assemblée baignée de lune.

Il jugea de ses yeux de gourmet, qu'une petite mise en bouche ne serait pas de refus et qu'à l'occasion du repas qui l'attendait, il pouvait avant tout se distraire les papilles.


Le félin était une brave bête. Il venait d'avoir cinq petits avec sa compagne, madame cougar, qui était sensiblement plus vieille que lui, mais il ne s'en préoccupait guère, car l'amour ne s'inquiète pas du nombre des années, comme disait l'adage propre à son espèce.

Approchant, il se disait qu'un petit larcin de viande - ces campeurs en avaient toujours à profusion - suffirait à nourrir sa petite famille pour un moment. Il devait être astucieux, leste et furtif : il se colla au sol et observa la scène, aux détails.

Il y avait trois humains accompagnés d'un drôle de personnage dont un des parents devait s'être accouplé avec un cheval. Et dire que sa femme et lui étaient critiqués au sujet de leur différence d’âge, pendant que d'autres croisaient allègrement les espèces.

Ils méritaient bien qu'on leur chipe leur viande...

Humant l'air, il comprit que ladite viande manquait à l'appel. Ces campeurs étaient décidément bien déplaisants. Il devrait trouver pitance ailleurs.

En se retournant, il se trouva museau-à-nez avec un homme bizarre, l'œil rougeoyant.

— Coucou, toi... fit-il en découvrant ses dents.

Vu le caractère charmant de cet animal auquel tout le monde vient de s'identifier, nous éviterons de mentionner les horreurs de la scène qui suit, bien trop cruelle.

Disons, sobrement, que ce soir madame Cougar cherchera en vain son jeune mari aventureux... et annoncera à ses enfants que papa était parti ce soir-là chercher des pintades et n'était jamais revenu.


Fringard d'abord satisfait, fut rattrapé par la nausée, qui eut vite raison de lui.

Il émit des sons abominables alors qu'il régurgitait d'absurdes flots de sang au cœur de la torpeur nocturne.

Finissant plus affamé qu'apaisé, il se redressa, à l'affut. Des images des pleins tonneaux d'hémoglobine jaillissants d’un front de dragon, ainsi que celles de chiens, tranchés, lui tournaient dans la tête, obsédantes. Même les quelques gouttes qui tachaient les gants de la jeune femme qui... La jeune femme ? Mais quelle jeune femme ? Songea-t-il, soudain excité, comme le chien à qui l'ont promet une baballe.

Un filet d'air portant les senteurs enchevêtrées d'haleines fleuries, de sueur, de parfum, de fard (de crin de cheval, de poils de chiens) et du fin résidu métallique du sang fraichement versé, attira d'un seul coup son attention.

A la faveur de l'obscurité, il se glissa d'ombre en ombre et se planqua derrière une sorte de carrosse effondré.

— ... Ne craignez rien, mes chers amis, clamait un sombre énergumène, tout en brandissant une lame qui ressemblait à la sienne. Fringard veille. Dans la pénombre, il attend...

Comment cette femellette connait-elle mon nom ? s'interrogea-t-il, en sentant la soif le saisir.

L'exalté un peu stupide commença à chanter en raclant d'un air débile ce qui ressemblait à.… son épée !

Fringard en était certain, il s'agissait bien de Pourprée (le nom lui revenait à présent), sa fidèle lame ! Ce petit con allait devoir répondre de son forfait, par le sang !

Mais soudain une autre mélodie apparut, bien plus fine et harmonieuse que les grincements de ce coq sans allure.

— Octine... chuchota la douce voix. Je ne sais pas vous, mais moi, ça ne me rassure pas du tout...

Voilà ce qu'il lui fallait, une belle tourterelle, non, mieux que ça ! Le sang d'une pucelle !

— Moi non plus, madame... moi non plus, ajouta une autre voix, androgyne.

Deux pucelles... Dirait-on. Ce soir, mon vieux Fringard, pensa-t-il, pris de fringale. Tu vas sucer ! Sucer, comme tu n'as jamais sucé personne !

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