Soirée (sans pyjama) mortelle

5 minutes de lecture

Des flammes d'ambre naquirent dans le nid de branchages et de bois. Leur léger crépitement, accompagné du souffle fin de l'attiseur, convoquait une ambiance de réconfort et de chaleur.

Quand le feu devint enfin foyer, les réchauffés se calmèrent, supposant qu'il suffirait à faire fuir les créatures de la nuit.

En vérité, les rayons crépitants les éclairaient d'autant plus qu'ils devenaient visibles à des lieux à la ronde. Les quelques monstres proverbiaux qui peuplaient la forêt se sentirent presque en devoir de venir rôder pour leur filer la frousse.

Seulement, une créature bien plus effrayante et féroce y patientait déjà et ils préférèrent passer leur tour pour ce soir : l'ogre avait un taboulé à consommer avant la date de péremption, le Jaberwock avait un puzzle de 24 pièces à terminer et les licornes, de loin les plus infâmes créatures tapies au fond de ces sous-sous-bois (les plus profonds), préféraient achever leur partie de jeu de rôle costumé.

L'ombre de Fringard, à force de cogitations intensives, s'était finalement rappelée que cette imprudente équipée était en réalité la sienne. Le déchu devait donc se la jouer fine pour pouvoir sucer l'une de ces pucelles sans se mettre les autres à dos. Il avait beau être un vampire, il avait tout de même un peu de morale.

— C'est étrange... s'interrogea celui dont il se rappelait à présent comme étant "le barde". Notre fier héros ne semble pas revenir de cette lugubre et dense forêt d'érables.

Fringard eut une si furieuse – et tellement humaine – envie de lui dire de la fermer une bonne fois pour toute qu'il dût s'en mordre les lèvres. Or les longues dents dont il était à présent affublé s'enfoncèrent si profondément qu'il s'en agrafa les babines. Il eut à peine le temps d'étouffer un cri que sa peau à guérison accélérée enfermait déjà ses canines démesurées dans sa mâchoire inférieure. Et tout ça pour un trouvère incapable de reconnaitre de foutus bêtes chênes roses ! rugit-il en son for intérieur.

« Il doit probablement monter la garde parmi les fougères, prêt à trancher et pourfendre quelques bêtes échappées des enfers ! » ajouta-t-il, en perpétrant sur ses feuillets le crime de nouveaux vers.

La marquise, qui s'était fabriqué des couvertures à partir des rideaux du carrosse, répondit :

— Je ne me sens pourtant pas des plus à l'aise, monsieur euh... Trou...

— Trouvère... Mais ce n'est point mon nom, Madame ! reprit-il avec enthousiasme. Je m'appelle – et retenez le bien ! – Piroulette, fils de Ritournelle !

— Ecoutez, Péronnelle ! Je ne sais pas ce qui vous permet d'être aussi béat d'admiration devant cet étrange énergumène, ni ce qui vous pousse à vouloir chanter à chaque phrase, mais je tiens à vous dire que la situation est grave !

— Impossible, car l'auguste veille ! Et quant à ces chants qui m'inspirent, ils viennent sans conteste du monde et de ses merveilles.

— Et les deux autres qui dorment comme des bébés, bouda-t-elle. Ah ça ! On est bien entourés, c'est sûr !

Entendant cela, la bête-humaine reporta son attention sur les corps échoués. Sa mémoire semblait défaillante depuis sa renaissance, car il avait déjà oublié qu'il y avait une seconde pucelle dans le groupe. L'autre, l'homme-cheval, n'avait vraiment rien d'appétissant. Fringard glissa le long des ombres, non loin du centaure endormi mais dédaigna son vieux sang. Il avait trouvé sa victime : la blanche servante qui sentait bon le fer et qui dormait comme un enfant.

Il ne la préférait pas à la marquise, il gardait juste le meilleur pour la fin.

Faim, qu'il avait de loup. Cependant, il devait encore patienter jusqu'à que le camp s'endorme.

— Eut égard à votre noblesse, s'emporta le trouvère, allègre. Je ne vous dirai point où je me rends, mais vous devinerez sans peine qu'il s'agit d'un devoir auquel il ne faut jamais se soustraire.

— Et me laisser seule ? Face à la nuit ? Vous n'y songez pas ! Je préfère encore vous entendre déclamer vos odes absconses et ruminer vos rimes déconfites que de vous voir parcourir les ombres. Revenez !

— Je n'en ai que pour une minute !

— Parfaiiiiiiit, murmurèrent les ténèbres.

— Attendez, gémit-elle. Il me semble avoir entendu un affreux murmure sortir des ténèbres !

— Laissez, ce n'est que le brâme du cerf ! Ma vessie n’attend plus, adieu.

— Mais...

La suite de sa phrase se perdit dans le silence forestier.

Louise tremblait comme une feuille. Elle essaya de penser au château de ses rêves, mais ses colonnes et ses jardins fleuris ne parvenaient pas lui faire oublier l'obscurité ambiante. Elle pria alors Sainte Marie, sa patronne, pour qu'elle la maintienne aussi vierge qu'elle. Mais les râles résonnant dans la pénombre n'avaient de cesse de la déconcentrer lors de sa vénération.

« Si c'est comme ça, Louise, tu vas devoir employer les grands moyens ! » dit-elle, meublant le néant. Elle partit à quatre pattes, quitte à achever sa robe déjà souillée, jusqu'au gigantesque Altus échoué. Là, elle tenta de se glisser entre ses puissantes pattes pour se caller contre son ventre montant et descendant. Elle s'y calfeutra, tout en observant les alentours.

Le ménestrel ne revenait pas. Il avait dépassé largement la minute qu'il promettait.

Après avoir passé deux bonnes minutes de plus à hésiter, peser le pour et le contre, ensuite combattre sa crainte et ses hésitations, Louise finit par juger qu'il fallait lui porter secours.

D'un coup de pied bien placé, donné depuis sa planque endormie, elle percuta la hanche de sa servante : « Octine, réveillez-vous donc ! ».

La poulpesse, qui avait usé pas mal d'énergie pour discrètement juguler son hémorragie, était tout bonnement épuisée. Elle ouvra néanmoins l'un de ses yeux torves, mais il ne fallait pas s'y méprendre, seul un de ses cerveaux venait de s'éveiller. Lequel fit pivoter son œil panoramique à la manière des octopus, cherchant le stimulus néfaste. Quand il s'abattit enfin sur la marquise vociférant à voix basse. L'organe ne fit ni une ni deux et envoya une décharge à l'ensemble du corps.

Electrisée, en alerte, Octine se dressa d'un coup, tel le truculent suricate des terres légendaires.

— Madame, Oui ? Qu'y-a-t-il ? Un danger, un forfait ?

— Oh Octinia, je vous en prie, vous m'empêchez de dormir avec votre agitation !

— Mais, Madame, c'est vous qui m'avez réveil...

— Chut, laissez-moi dormir ! Ah oui, j'y pense, pourriez-vous aller voir où a disparu cet étrange trouvère, euh... Poulette... Voulez vous ? Il est, parait-il, allé aux toilettes.

— Madame, mais quelles toil...

— Taisez-vous ! Je dors, ma respiration en atteste !

Louise émit à fin sifflement que sa noblesse absolue empêchait d'appeler un ronflement.

Octine se retrouva alors seule, au milieu du camp.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire L'Olivier Inversé ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0