Lune de fiel

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Les six reines n'en revenaient pas. Elles avaient failli en avaler de travers leurs nachos jalapeno-cheddar ainsi que leurs popcorn parfum maroilles-romarin ; et même failli renverser leur canettes de jus de coca, sucre, eau pet, tant l'annonce de la marquise les avait percuté.

Mariée, au premier regard ? Louise de Carbon, la pimbêche rétive à tout ce qui n'était pas bordé d'or ? Impossible !

C'est avides d'en savoir toujours plus qu'elles suivirent la délégation que la duchesse avait réclamé de voir se réunir au jardin pour les épousailles, malgré les frimas. Ayant fait le plein de sucreries, elles retrouvèrent les convives à peu près gelées, qui arpentaient, moroses, les allées givrées.

Elles jetèrent d'abord un coup d'oeil au chevalier braillard qui essayait tant bien que mal d'atteindre la grande duchesse riche de ses récompenses en attente. Le pauvre, freiné par son barde et sa groupie, dût se résoudre à abandonner son projet pour aller ronchonner quelques sorts mauvais en contemplant, impuissant et de loin, cette femme d'affaire ne pas daigner lui accorder le moindre regard.

Les fantomettes voulurent ensuite se pencher sur la discussion animée entre la dame du donjon et l'ex-sorcier Anatole Runik. Seulement, l'une d'entre elles flambait tellement, en voyant se pavaner celui qu'elle qualifiait de pervers narcissique, qu'un halo lugubre et dérangeant se mettait à flamber autour de son ectoplasme, la rendant bien trop visible pour rester dans les parrages. Elle s'éloignèrent donc, laissant les secrets de cette sybiline diplomatie aux reflets moirés des fleurs toujours frigorifiées.

Outre le petit chien qui batifollait aveugle et les fruits des mers qui grelotaient au quatre coins des jardins ; nonobstant les citoyens impuissants qui se réchauffaient en tentant de garder bonne mine pour ne pas froisser la grandiôsissime, elles reportèrent leur intérêt sur Louise, la marquise bordée d'hermine, et sa suivante fausse-Octine, toutes deux assises sur un banc retiré, tandis qu'une armée de molusques déguisés les tenaient encadrées.

C'est alors que le prince doré entra en scène. Les six-reines applaudirent : il était si joli, si amène. Il alla rencontrer sa promise, surveillé de près par l´armée de crustacés fébrils.

— Diantre, quel jardin chelou, vous trouvez pas marquise ?

— Certes, prince Caligula, chanta Louise, resserant ses gants sur ses doigts fins en laissant son regard percer l'horizon saugrenu. N'y a-t-il donc aucune floraison aussi excentrique et colorée pour égailler vos contrées excentrées ? Pardon... Excusez moi, prince... Octine, allons ! Le froid reprend vigueur.

— Pardon, madame, gémit la servante en reprenant ses tours de manivelle.

Ses bras lui tiraient à force d'actionner le moulin à phoenix qu'elle trimballait dans l'auguste sillage. Le pauvre oiseau fourbu frissonait à force de voir son incandescent plumage éventé.

— D'office, madame, traîna le bellâtre. C'est plein de... comment vous dites ? Coquelicots et pissenlits, du coup ?

— Qu'importe, dédaigna Louise en fixant la poitrine fumante de son promi – laquelle aurait, sans conteste, pu cuire une entrecote, une omelette ou un curry. Dites-moi, seigneur d'outre-mer, le froid n'a-t-il donc aucune prise sur vous ?

L'erzast de servante, fatiguée, baissa un peu le régime pour observer ledit torse, rendant joie au phoenix encagé. Tous deux reçurent un soufflet de la part de leur maîtresse. Le prince s'en amusa.

— En vrai : ma mère me faisait souvent à manger chaud, du coup, le froid n'a aucune prise sur moi, fit-il en contractant biceps et pectoraux.

Ridicule, pathétique, odieux et lubrique, pensa Louise, sans en afficher rien. Cette mascarade était si ridicule qu'elle avait l'impression de rêver. Elle préféra regarder au loin l'imbécile Fringard creuser les allées de son membre rouillé. Ah... Fringard, pourquoi demeures-tu donc Fringard ? Dégoûtée du sourire qu'elle sentait poindre au bord de ses lèvres, elle revint à l'autre énergumène.

— Il serait donc question de nos épousailles, si je ne m'abuse, ô prince des mers du sud et des terres de corail ? le toisa-t-elle en méprisant ses muscles et son poitrail. L'offre est belle, certes, mais qu'en est-il de vos richesses, vos armées et vos terres, exactement ? Je ne souhaite guère finir douairière d'un îlot tout juste peuplé d'un palmier et d'un amas flétrissant de lierres.

— Vous êtes direct, marquise, s'amusa le charmant en replaçant sa mèche au dessus de son corps fumant. Du coup, j'vais l'être aussi. J'viens ici pour gagner du terrain dans ce royaume. Mon empire, en vrai : c'est quatre fois votre patelin. Alors si vous avez pas de terres à donner, j'vais en épouser une autre. Votre tante, du coup ?

— Ma parole, prince, serriez vous particulièrement odieux ou serait-ce un déplorable trait de caractère outremerien ? Car si c'est avec notre raffinement et nos terres que vous voulez procréer, il vous faudra apprendre la politesse et la retenue. Quant à ma chère tante, elle est déjà mariée.

— Ouah, la tuile ! déclara le prince, refractant de son bronzage le soleil morose. Alors, pour le coup, il y a que vous ? Bon ben, vous voulez, ou pas ? La malle, j'la donne à qui ?

— J'y consens, pauvre rustre, mais ce n'est que pour me sortir du traquenard dans lequel je baigne. Je vous épouserai donc, conclut-elle, perçant mentalement Fringard - qu'elle voyait uriner par dessus le promontoire sur des rochers indignés - de mille épingles rouillées, elles-mêmes fourrées au coléra. En outre, il est évident que vous ne me verrez jamais partager ni vos journées ni votre couche. Il s'agit d'un mariage de pure convenance.

— Ok, crisez-pas, marquise. On va pas se mentir, moi non plus ça m'arrange pas. On suit les commandements parentaux, tout simplement. Bon alors, on se check ?

Tel le nuage de lave pyroclastique ensevelissant Pompéi, le dedain de Louise de Carbon marquise de Gaupe-en-panard déferla sur l'infâme bellâtre et son ignomigneux sourire d'adolescent. Or la statue vivante fumait bien trop pour être touché par cette vague de haine galopante. Ce poing tendu, fruit macabre d'un monde imbécile, Louise n'allait pas le heurter des ses doigts graciles. Au grand Dieu, elle vivante, jamais ! Elle se dressa comme s'élève la fierté, ses lèvres s'entrouvrirent prêtes à l'agonir d'insultes... Elle vit alors le visage rougeaud de sa tante, inspectant l'affaire depuis le belvédère, des lingots plein les yeux, mais aussi de promesses funestes à son endroit. Elle renonça.

— Soit, c'est décidé. Envoyez une missive à mon père pour demander ma main. Vous avez mon accord de principe.

— Quoi ? On se marie pas, là, tout de suite ?

— Sûrement pas, il nous faut en premier lieu retourner à Gaupe-en-Panard, que tout soit fait en bonne et due forme.

— Mais, en vrai : j'peux pas m'éloigner de la m... Et votre père, il peut pas venir ici, du coup ?

— C'est à prendre ou à laisser, prince Godzilla. Si ça ne vous plait guère, allez vous plaindre chez ma tante ou allez donc l'épouser, ça arrangerait mes affaires.

Et sur ce Louise s'en fit, tranchant l'allée armée de son honneur, poursuivie par Octine numéro deux et son phoenix radiateur. Une poulpesse porteuse du même nom, emergeant d´un bosquet d'azalées, leur emboîta le pas. À sa maîtresse, elle allait enfin dire toute la vérité.

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