Octopédie

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Le carrosse allait brinqueballant sur la route usée. À ses abords, la forêt chantante laissait ses arbres à cime rose danser au gré du vent. Les fées allaient et venaient, croisant oiseaux violets, abeilles, chicons-volants et bourdons-follets.

Au travers la petite fenêtre entrouverte on entendait la voix de la marquise de Carbon qui résonnait à contretemps de l'ambiance guillerette propre à la nature environnante.

— Ma chère, je ne vous crois guère ! clama théâtralement cette fine fleur nobiliaire. Votre attitude vous trahis ! Il est temps, mon amie, de me confier la vérité, je vous l'assure !

— Maîtresse ! fit, outrée, dame Octine. Je vous en conjure ! Éloignez donc cette idée de vos pensées. Je ne pourrais vous mentir depuis autant d'années, ajouta t'elle en croisant ses bras lestes.

— Octinia, vous me mentez, je le sais de source sûre !

La dame de compagnie plissa ses yeux légèrement globuleux et passa un fin gant sur son front avant de répondre.

— N'écoutez point ces racontars absurdes, madame, c'est humiliant pour moi, votre servante ; et par conséquent pour vous !

— Mais ça l'est encore plus, ma bonne Octine, s'il s'avère que vous me trompez depuis au moins huit longues années !

Le dessous de la robe de la suivante se mit à discrètement onduler. Elle posa ses fins bras sur le tissu pour l'arrêter.

— Mais, madame, croyez-moi !

— Là, tu vois ! Tu es nerveuse ! Sans ma naturelle bienséance, j'aurais depuis longtemps relevé ces maudits jupons pour m'assurer de ton statut ! Mais je suis trop noble et bien éduquée, pour m'y attaquer.

— Et je vous donne raison, madame, les deux jambes qui se cachent sous cette robe sont bien trop frêles et biscornues pour qu'on vous en inflige la vue. Moi-même, au moment de me dévêtir, j'ai des hauts le cœur à leur vision.

— Octinia, c'est un peu fort et surtout un peu facile, clama d'une moue dubitative la marquise. Vous couvrez chaque centimètre de votre peau de tissus, certes beaux, mais qui laissent planer le doute sur votre réelle carnation.

— Mais mon visage, madame ! Vous le voyez séant !

— Je vois des yeux, un nez, une bouche en effet. Mais leur allure et leur aspect semblent quelque peu contrefaits.

Octine se mit à rougir faiblement, la marquise en fut surprise.

« Quoi, je ne te l'ai jamais dit ? C'est d'ailleurs ce qui alimente les soupçons ! »

Le visage, de rose pâle, devint écrevisse.

« Allons, tu nous fais une attaque d'apoplexie ? »

— Non madame ! balbutia la compagne en virant au carmin.

— Cesse Octie, tu vas t'en trouver mal ! Altus ! Veuillez-vous arrêter !

— Bien madame, dit le centaure-cocher, freinant l'allure avant de s'interrompre.

— Allons, Octie, sortez. Non. Sortons !

Le carrosse les libéra le long de la route sèche. Éperdue, la servante s'éloigna, semblant glisser au-dessus du sol. Louise de Carbon la regarda faire, détaillant son attitude comme si elle allait, de son seul regard, la percer à jour. Altus, l'air sombre, intervint :

— Madame nous n'avons guère le temps, ces routes sont dangereuses, des licornes affamées rôdent sur ces terres.

— Comme si je l'avais décidé mon bon Altus... traîna la marquise l'air lasse. Va donc la consoler si tu sais comment t'y prendre ! Cette fille m'épuise avec ses états d'âme...

D'un geste prompt que seul l'habitude pouvait forger, elle déploya un éventail aux reflets dorés.

— Je ne pourrais quitter cet attelage sans nous faire perdre plus de temps, marquise.

— Oh, épargnez-moi ce ton, je vous prie, le toisa-t-elle, outrée. A-t-on déjà vu centaure faire la leçon à une noble dame ? Taisez-vous, la voici qui revient. Alors ?

— Madame, mes sangs se sont calmés, murmura Octine, sinistre.

— Ma pauvre fille, de rouge cramoisi vous êtes passé au vert olive. Vous nous faites l'arc-en-ciel, sans doute ?

— Partons, madame, voulez-vous ? Je ne puis souffrir ces lieux par trop colorés dans mon état de stupeur.

— Pardon, mais à vous écouter, il semblerait que ce serait vous la marquise ! Ainsi, vais-je reprendre mes prérogatives et ordonner : Fouettez-cocher !

— Je ne puis m'auto-flageller, marquise, mais peut-être que vous voudriez... participer ?

— Pitié Altus ! Procédons, voulez-vous ?

Les deux femmes se réinstallèrent sur les banquettes safranées, Louise avait les yeux rivés sur sa servante, laquelle regardait effrontément la moquette mouchetée.

— Ces centaures passent décidément leurs journées à faire des allusions, trancha la noble, d'un ton badin. Ces viles créatures devraient être honnies à force de se vautrer dans l'obscénité !

— Je vous entends ! grommela l'homme-cheval.

— Oui, oui, répondit Louise, machinalement.

Octine esquissa un sourire.

— Madame... Vous êtes incorrigible !

— Et charmante !

— Et charmante...

( — Et chiante, intervint Altus, inaudible)

— Et divine !

— Et divine... Madame ! dit la dame de compagnie en éclatant de rire.

— Et troublante !

(— Pendez là... ajouta le centaure pour lui-même)

— Ah madame... fit la servante, attendrie.

— Allez, fidèle amie, confiez-vous à moi, n'ayez crainte. Il n'y a nulle honte !

— Je...

— Allez !

— Je suis...

— Allez, dites-le, que vous êtes un homme !

— Hein ?

— Mais oui ! Vos cachoteries, vos dissimulations, cette chair que vous ne dévoilez jamais, cette voix contre nature, ce visage contrefait ; vous êtes un garçon !

— Mais pas du tout enfin !

— Et vous m'aimez, en plus ! Allez, avouez ! Qui pourrais ne pas m'aimer d'ailleurs ? Je suis la candeur incarnée !

(— Plutôt coucher avec un Morgul, ajouta, muettement, le quadrupède)

— Mais... Madame...

Octine prit alors une décision qui allait déterminer le restant de sa journée, mieux valait troquer un mensonge contre une forfanterie aux allures de mélopée.

« ... Madame, je dois vous l'avouer. Je suis un homme, à n'en point douter ! »

Elle avait lâché ces mots avec tout le poids de la vérité qu'ils venaient de dissimuler.

Elle ne pouvait pas révéler que sous cette robe blanche aux reflets moirés se cachaient six tentacules que ses deux bras venaient compléter. Et qu'au lieu de l'imaginer servante et rien de plus, il aurait fallu l'appeler octopus.

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