VIII – Mission

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Mon tête-à-tête avec Jezekael n’était pas allé plus loin que le baiser qu’il m’avait donné. Ne voulant pas affronter son regard de peur d’apprendre qu’il n’avait aucun souvenir, je m'étais littéralement enfuie dès que nous nous étions séparés. Cet échange pouvait représenter beaucoup comme il ne pouvait rien signifier et je ne voulais pas me faire de faux espoir aussi près du but. Je n'avais alors pas tenté de le revoir avant le départ. J'avais passé le reste de la matinée et le midi à l’éviter, mais l'heure approchait rapidement et je ne pouvais m'y dérober au risque de me démasquer.

Makayla avait bien remarqué que quelque chose me préoccupait, mais elle n'avait pas essayé d'en savoir plus à mon plus grand soulagement. Elle se doutait de ce qu’il se passait dans ma tête, ou du moins une partie, me connaissant par cœur.

Lorsque mon équipe retrouva Jezekael, je ne tentai pas de l'approcher. Je jetai tout de même un coup d'œil dans sa direction bien malgré moi. Même si cela ne se voyait pas beaucoup, je perçus une légère tension dans sa posture. De plus, je décelai une profonde tristesse dans ses yeux qu’il tentait de cacher au mieux. Quand il capta mon regard, il détourna le sien et monta dans le camion sans un mot. Makayla le remarqua et me lança un regard d'avertissement. Soit j’allais le voir et arrangeais les choses pour qu’il soit concentré durant la mission, soit elle s'en chargerait et je pouvais être sûre qu'elle n'irait pas par quatre chemins. Dans un cas comme dans l’autre, je n'imaginais même pas pouvoir accomplir la mission après que l’une de nous deux lui ait parlé. Mon cerveau serait bien trop occupé à réfléchir, faisant que je ne serais pas concentré sur mon objectif. Et tous savaient ce qu'il en coûtait de ne pas être focalisé sur son but lors d'une opération. Il valait donc mieux attendre la fin de la mission, ou du moins la fin du voyage.

Nous montâmes dans le véhicule sans un bruit. Je pris place à l'avant côté passager et Tyana se mit au volant tandis que les autres montèrent à l’arrière. Le trajet se fit dans le plus grand des silences, seulement interrompu lorsque j’expliquai la mission.

— Nous devons nous assurer que le protocole 4022 est bien respecté dans la ville voisine. En effet, depuis plusieurs jours, le QG ne reçoit aucun rapport de sa part. Il nous demande donc d'enquêter sur place et d'intervenir si nécessaire. Nous arriverons à destination dans moins d'une demi-heure. Une fois sur place, nous irons voir la générale Wing qui a été prévenue de notre venue. Elle nous fera un briefing rapide des derniers événements avant de nous montrer les lieux. Tout le monde a bien compris ?

Tous répondirent « oui » à l'unisson, même si Jezekael ne fit qu'acquiescer d'un simple mouvement de la tête.

Le trajet me parut interminable, tiraillée entre l’envie de me retourner vers Jezekael et celle de fuir le plus loin possible de lui. Ce fut dans cet état d’esprit que j’aperçus enfin l’établissement qui servait de quartier général dans la ville. La générale Wing nous attendait, accompagnée de deux soldats lambda. Le colonel sous ses ordres était aussi présent, tout du moins physiquement. Il semblait ailleurs, pensif, même s'il devait chercher à la cacher. Toutes personnes ne sachant pas quels signes chercher ne l’auraient pas remarqué.

— Vous devez être l'équipe que Senca a envoyée pour nous aider à vaincre ces foutus rebelles qui nous prennent pour cible depuis quelque temps.

Ces mots semblèrent ramener le colonel parmi nous. Je le vis se tendre légèrement, moins d'une seconde, avant de se relâcher aussitôt. Sa supérieure ne le remarqua pas, ou n'en dit rien si ce fut le cas.

— Des rebelles ? En êtes-vous sûr ? demanda Makayla. Nous n'avons rencontré aucun problème lors de notre passage en ville.

— Ils sont malins. Ils vous laissent entrer, mais ne vous laissent plus repartir. C'est ce qu'il s'est passé pour l'équipe précédente. Lorsqu'elle tente de quitter la ville, elle finit toujours par revenir suite à un piège ou une attaque des rebelles. Ils n'ont heureusement jamais été blessés. Et avec tout ça, je suis débordée. Je ne peux donc pas vous faire visiter les lieux. C'est le colonel Brown qui va s'en occuper à ma place. Sur ce, je dois vous laisser.

Je tournai la tête vers l’homme qui était resté silencieux jusqu'à maintenant.

— Veuillez me suivre. Je vais commencer par vous indiquer vos quartiers avant de vous montrer nos installations.

La visite ne dura qu'une heure. Dans l'ensemble, leur défense n'était pas mauvaise mais facilement contournable pour qui savait s'y prendre. Cela serait peut-être plus simple que prévu de contacter les rebelles. Parce qu’il n’y avait pas de doute possible, cette base comptait dans ses rangs des traîtres à l’armée, et donc très probablement des personnes susceptibles d’avoir retrouvées leur mémoire.

Je me dirigeai vers la pièce qui m'avait été attribuée lorsque j'entendis du bruit dans mon dos. Je m’arrêtai, me retournai, toujours sur mes gardes et prête à me défendre, et vis Jezekael qui s'approchait de moi. Je n’attendis pas qu’il m’eût rattrapée et m'enfuis vers ma chambre, ne voulant pas lui parler. Je savais pertinemment que je devais le faire, mais je n’en avais pas la force pour le moment. Pas alors que notre liberté était aussi proche et que cet endroit avait besoin de toute ma concentration. Il fut cependant plus rapide que moi et lorsque je voulus fermer la porte, il la bloqua avec son pied.

— Maïka, laisse-moi entrer s'il te plaît. Il faut vraiment qu’on parle tous les deux.

Comment savait-il mon prénom ? J'étais pourtant certaine d'avoir fait très attention avec les filles. Nous utilisions toujours les « noms » qu’ils nous avaient donnés en public et ne disions nos véritables prénoms que lorsque nous étions sûr et certaines que personne ne pourrait nous entendre. Il n’y avait qu’elles qui le connaissaient. Pas même un seul membre des rebelles ne le savait. Cela signifiait-il qu’il avait retrouvé la mémoire ?

Profitant de ma surprise et de mon inaction, Jezekael entra dans la pièce avant de fermer la porte derrière lui. Il bloqua ensuite la seule sortie de la salle de son imposante stature.

— Je suis fatiguée 2407, j'ai besoin de repos pour être opérationnelle demain, tentai-je comme argument pour qu’il parte. Je te prierais donc de quitter les lieux.

— Arrête de chercher des excuses pour m'éviter.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, essayai-je de le convaincre. J’ai vraiment besoin de repos après le voyage que nous venons de faire. Alors si tu n’as rien d’urgent à me dire, je te demande de partir immédiatement.

— Tu sais très bien pourquoi je suis là. Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ?

En voyant son regard, j’eus la certitude qu'il avait retrouvé ses souvenirs. Tous, sans exception. Ceux de sa famille, de ses amis, mais aussi ceux que nous avions partagés ensemble. Il n'avait plus ce regard vide que j’avais surpris à de nombreuses reprises lorsque je voulais le libérer de l’emprise de l’armée sans y parvenir.

— Te dire quoi ? Que nous étions ensemble, que nous étions amoureux avant toute cette histoire. Cela aurait servi à quoi ? m’emportai-je, ne pouvant pas cacher les larmes que se formaient au coin de mes yeux. À chaque fois que j’ai voulu te rendre tes souvenirs, un imprévu me tombait dessus. Et personne ne savait si te dire mes sentiments fonctionnerait. Dans le pire des cas, tu m'aurais prise pour une folle et m'aurais dénoncée à nos supérieurs, faisant que tout ce que j'ai réussi à accomplir n'aurait jamais eu lieu. Nous serions encore des pantins entre leurs mains. Je n'avais pas droit à l'erreur, alors j’ai fait un choix, même si cela m’a brisé le cœur.

— Lorsque je t'ai vue pour la première fois au match, tu m'as intrigué. J'avais l'impression de te connaître alors que ce n’était pas du tout le cas. Plus je cherchais à savoir pourquoi, plus ma tête me faisait mal, mais je ne voulais pas abandonner pour autant mes recherches. D’un autre côté, plus je te voyais, et plus j’avais des flaches même s'ils étaient flous et que je ne les comprenais pas toujours. Cela n’a fait que renforcer mon envie de savoir. Lorsque le général m'a ordonné de vous surveiller, toi et ton équipe, je me suis dit que j'aurais peut-être enfin la réponse à mes questions. Et ça n'a pas manqué. Quand je suis entré dans son bureau ce matin et que je t'ai vue, j'ai été submergé par tous mes souvenirs de toi. Pour ma famille et mes amis, ça m'est revenu petit à petit au fil de la journée.

Bouche bée, je ne savais pas quoi répondre. Ce que j'espérais si fortement depuis deux ans était enfin arrivé. Les larmes dévalèrent mes joues sans que je ne puisse rien y faire. Jezekael me serra dans ses bras et unit nos lèvres, comme pour me prouver que tout était réel et non pas un n-ième rêve. Lorsqu'elles se séparèrent, il ne me lâcha pas pour autant et plongea son regard dans le mien.

— Quel est le plan, cheffe ? me demanda-t-il, sérieux même si ses yeux trahissaient un certain amusement.

— Prendre contact avec le groupe de rebelles.

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