I – Perte

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Je mettais enfin le point final à cet horrible devoir-maison sur lequel j’avais passé ma soirée. Sincèrement, je n'en pouvais plus de tous ces devoirs. Entre les contrôles qui tombaient tous la même semaine et les exercices d'applications que nous donnaient les profs pour s'entraîner, j'allais finir par devenir dingue. Ou un légume suite à un surmenage de mon pauvre cerveau, ça restait encore à voir. Je rangeai mes affaires dans mon sac, fière d’être venue à bout de tout ce travail, et me préparais pour une bonne douche. Il n’y avait vraiment rien de mieux pour se relaxer après des heures enfermées dans sa chambre à faire des maths.

J’entendis soudain du bruit – beaucoup de bruit – venant de dehors, me coupant dans mon action. Il était tard et j’étais certaine que nous n'attendions personne. Prise d’un élan de courage, je regagnai le salon dans l’espoir d’obtenir une réponse de mes parents quant à l’origine de ce son. Je restai cependant figé à l’entrée de la pièce, me demandant si la fatigue ne me jouait pas des tours. Des hommes armés jusqu'aux dents et cagoulés pointaient des AK-47 – merci Call of Duty pour l’initiation aux armes – vers ma famille. Des grenades, des Colt 45, et même des couteaux pendaient à la ceinture de chacun.

— Bonsoir ma jolie. Il ne manquait plus que toi à cette petite réunion. Alors viens ici et ne tente rien de stupide, sinon je ne garantis pas la survie de toute ta famille ce soir, m’ordonna le plus baraqué d'une voix si froide qu’elle me glaça le sang.

Il devait s’agir du chef. Ou en tout cas, c’était l’impression qu’il me donnait. La quantité supérieure d’armes, le fait qu’il soit devant les autres et qu’il donne les ordres ne laissaient pas beaucoup de place au doute selon moi. Je m’empressai donc de m’asseoir avec mes parents et mon frère, mon esprit seulement focalisé sur ma survie et sur celle des résidents de cette maison.

— Il semblerait que vous ayez retenu l’attention de notre patron tous les deux, annonça le « chef » en nous désignant mon frère et moi. Je ne sais pas ce qu’il vous veut, mais il a été très clair : il veut tous les gamins du quartier, et tous les moyens sont bons pour y arriver. Alors restez bien sage en attendant qu’on vienne nous chercher.

Je ne me voyais pas tenter le diable, surtout avec leurs artilleries. J’avais peur et me sentais démunie face à cette situation, mais mourir n’était pas dans mes projets du jour. Ni perdre ma famille soit dit en passant.

Les cinq hommes discutaient entre eux depuis quelques secondes qui me parurent des heures avant qu’un des subalternes ne nous interpelle.

— Les gosses, vous allez nous suivre. Vous deux, vous restez là, ajouta-t-il à l’attention de nos parents. N'essayez surtout pas de fuir, ça ne pourrait que mal finir. Le secteur est cerné et vous n’aurez nulle part où aller.

Avec Mathieu, nous suivîmes les soldats dehors. Avant de quitter la salle, je pus capter tout le désespoir qu’éprouvait ma mère et la rage qui sommeillait en mon père d’un seul croisement du regard. Je priai sincèrement pour qu’ils ne tentent rien de stupide au risque d’y laisser leur peau.

Dès que la porte d’entrée fut franchie, l'un des hommes se retourna vers Mat et pointa une arme sur lui. Elle était vraiment étrange et ne ressemblait à aucune autre de par sa forme et sa couleur. Elle était à la fois semblable et très différente de celles que je connaissais. Je ne saurais dire pourquoi, mais elle m’inspira immédiatement la crainte. Non pas celle de la mort, mais de quelque chose de bien pire.

— Avance, fit celui qui tenait mon frère en joute. Maintenant, arrête-toi et regarde-moi. Tu vas tout oublier. De ta vie à ton propre prénom, ta famille, tes amis, tes activités favorites après l'école, absolument tout. Lorsque tu te réveilleras, tu ne seras plus rien ni personne.

Quand il eut fini son monologue, l’homme lui tira un rayon bleu-vert dans la tête, pile entre les deux yeux. L'instant d'après, mon propre frère me lançait un regard vide de tous sentiments et de toutes émotions, comme s'il ne me reconnaissait pas, comme s’il n’était plus qu’une coquille vide, avant de sombrer dans l’inconscience. Je compris alors cette inquiétude que j’avais ressentie lorsqu’elle avait été sortie. Cette arme était différente parce que son utilisation l’était des autres. Et sachant qu’ils nous voulaient vivants, c’était la meilleure option pour eux pour qu’on n’oppose aucune résistance : effacer notre mémoire.

— À ton tour maintenant, fit-il en se tournant vers moi.

J'approchai d'un pas lent, tremblant de tout mon être et luttant pour qu’aucune de mes larmes ne coule. Mon visage devait être livide, déserté de toute couleur après avoir compris ce qui m’attendait. Il était hors de question qu’ils me volent mes souvenirs, mes émotions, ma vie. Je ne voulais pas devenir amnésique. Tout, mais pas ça. Ma famille, mes amis, je ne voulais pas les oublier. Je ne voulais rien perdre, pas même les moments tristes de ma vie qui avaient fait de moi ce que j'étais à présent. L'homme me parlait, toutefois je n'écoutais rien. Je me concentrai sur autre chose, n’importe quel moment de mon existence tant que ça m’occupait l’esprit pour ne plus penser que d’ici quelques secondes, je ne me rappellerais plus rien. Lorsqu’il lança son rayon pour supprimer ma mémoire, je n’étais déjà plus connectée à la réalité, perdue dans ma tête. Au début, je me sentais bien, normal, comme s’il ne s'était rien passé, quand soudains ce fut le noir total. J'eus cependant le temps d'entendre un coup de feu avant de sombrer complètement.

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