Chapitre 9

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Le droit de vivre. Les mots tournaient dans l'esprit de Félix.

Alors tout ça était vrai. Son démon ne voulait pas de lui, sa famille avait été inscrite aux Jeux Obscurs, le roulement des disciplines avait rétabli les mêmes conditions qu'en 1850 et leurs adversaires étaient de jeunes démonistes talentueux.

C'était un cauchemar éveillé.

Félix entra dans la salle de cours et posa son sac à dos sur une table au premier rang. Max était déja installé et pianotait sur son téléphone.

— Salut mon pote.

— Salut Max.

— Tu as entendu parler de la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?

— Une nana qui vient d'arriver en ville. Un gars de terminale m'a dit qu'il l'avait croisée à l'administration ce matin.

— Et alors ?

— Et alors c'est une bombe ! Le genre mannequin, avec des longs cheveux...

— Blonds, devina l'adolescent en aperçevant la fille de Pierre passer la porte de la classe.

Les élèves arrêtèrent de discuter et un silence de plomb régna dans la pièce. Valentine absorbait toute l'attention et, au vu de sa mine réjouie, s'en délectait. Ses yeux bleux se posèrent sur Félix et elle marcha jusqu'à lui d'un pas léger.

— Excuse-moi, je peux m'asseoir à côté de ce garçon ?

— Bien sûr, bafouilla Max. Tout ce que vous voulez.

Valentine gloussa d'un rire cristallin.

— Tu peux me tutoyer, tu sais.

Elle le laissa partir et prit sa place.

— Bonjour, toi.

— Salut, répondit Félix.

Il essaya de paraître froid et distant, mais sa douceur habituelle le décrédibilisa.

— Je sais que Fleur t'a demandé de te méfier de mes frères et moi. Mais il va falloir aller de l'avant et réconcilier nos familles.

— Pourquoi est-ce que nos familles devraient se réconcilier ?

— Parce que mon père veut arranger les équipes à sa manière et nous mettre ensemble.

— Je ne participerai pas aux Jeux, annonça Félix.

— Tu n'as pas le choix.

— Je m'en fiche.

— L'administration t'y forcera. Sache que si tu persistes, il y aura des conséquences. Pour toi et tous tes proches

Maéva se présenta devant le bureau, perturbée par l'apparition de Valentine.

— Salut Félix.

Des murmures confus s'élevèrent. Pourquoi venait-elle le voir ?

— Tu veux bien déjeuner avec moi à midi ?

Félix avala sa salive de travers, tout comme ceux qui écoutaient la conversation l'air de rien.

— Il est ravi que tu aie pensé à lui. Hélas, il a déjà accepté mon invitation, l'avertit Valentine.

Félix voulut nier mais sa gorge fut écrasée par une pression abominable et aucun mot n'en sortit. Maéva le contempla, attendant une réaction de sa part. Après quelques secondes, elle repartit, irritée.

L'étau invisible qui lui broyait la trachée se retira. Il inspira de grandes lampées d'air, paralysé par la sensation de vulnérabilité qui l'avait assailli.

— Qu'est-ce que c'était ? bafouilla-t-il.

— Mon Thorne.

— Tu as utilisé ton démon, ici ?

Félix tourna la tête dans tous les sens pour s'assurer que personne n'avait vu l'entité.

Valentine pouffa.

— Tu n'y connais vraiment rien en démon. Je n'ai pas besoin de l'invoquer pour me servir de sa force.

— Comment c'est possible ?

— Je me suis entraînée.

— Mais tu l'as depuis, quoi, un an à tout casser ?

— Sept mois plus exactement.

— C'est impossible, aucun démoniste ne peut atteindre ce niveau-là en si peu de...

Félix se tut et réfléchit.

— De quel rang est ton démon ? se méfia-t-il.

— De rang B.

Il n'en crut pas ses oreilles.

— Et les autres membres de ta famille ?

— Tu poses trop de questions.

Le professeur se présenta et le cours se déroula dans un calme soporiphique. À la pause déjeuner, Félix fut contraint de manger avec Valentine, ses deux frères et Fleur qui répugnait à l'idée de le laisser manger seul avec ces trois monstres. Durant le repas, les Jeux furent abordés et les épreuves énumérées. Seuls les enfants de Pierre semblaient emballés à l'idée de risquer leur vie.

L'après-midi arriva sur les chapeaux de roues et Valentine continua de tenir compagnie à Felix, sous le regard courroucé de Maéva. En fin de journée, tandis qu'il patientait dans le bus qui le ramenait au manoir, elle lui envoya un sms pour le moins direct :

Maéva

C'est qui cette Valentine ? Comment ça se fait que tu la connais ?

Félix

C'est la fille d'un couple d'amis à mes parents. Elle a emménagé en ville avec sa famille. Désolé pour ce midi...

Maéva

Rattrape-toi au lieu de t'excuser. Idiot.

Félix

Ca te dirait de venir à une soirée chez moi demain ? Pour mon anniversaire.

Maeva

Pourquoi pas.

Félix fut déposé à un abribus et termina le trajet à pied. Sur le chemin, il réfléchit à sa situation et à celle de ses proches. Si les Jeux Obscurs étaient un danger pour Fleur et Clément, c'était parce qu'ils avaient à leur charge la sécurité de leur petit frère déchu. Il fallait donc changer la donne.

Félix se glissa discrètement dans le manoir. Ses parents n'étaient toujours pas revenus et les deux autres devaient être cloitrés dans leur chambre. Le moment était opportun. Il tira le tapis du salon et descendit dans la cave. Le fracas des fioles en cuivre s'entrechoquant résonna aussitôt que sa semelle foula le sol granuleux. Il veilla à rester loin du Keïtos enchaîné et entama sa recherche.

— Lequel je prends...

Il effleura les contenants du bout du doigt. Une brève chaleur s'échappait de l'un d'eux.

Maman m'en avait parlé. Les Cerbères émanent de la chaleur.

Félix avait déjà vu ce genre de démon en dessin. Les Cerbères étaient des grands squelettes affublés de cornes de bouc et recouverts de flammes. Le genre d'entité qu'on ne souhaite pas croiser. Pourtant, c'était exactement ce que le garçon recherchait, comme si son manque de courage, de hargne, allait être compensé par le monstre en lui.

Il s'empara de la fiole, gratta le sceau en cristaux de sel et ôta le bouchon en liège.

Le Keïtos, enfermé dans une camisole, poussa un couinement effrayé et s'agenouilla dans un angle de la cave afin de se faire le plus petit possible.

Une colonne de flammes sortit du flacon. Félix le lâcha et tomba à la renverse. Lentement, des os se façonnèrent dans le feu. Il y eut d'abord l'ébauche d'un pied, relié au bassin par une jambe sans chaire, sans muscle. Un buste se dessina en une cage de côtes au-dessus de laquelle des vertèbres s'empilèrent. Enfin, il y eut un crâne, allongé par deux cornes de bouc.

Tous les démons enfermés cessèrent de remuer et seul le crépitement des flammes résonna.

Le Cerbère l'observa de ses orbes incandescents.

Félix venait de faire une connerie, encore une fois.

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