Captivité

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C’est ainsi qu’avait commencé son long calvaire au service de l’Être Végétal. Il était devenu son esclave. Il était employé à nettoyer la forêt, à en assurer l’entretien en permanence.

Dès le lever du jour, il était nourri sommairement par quelques fruits qui lui étaient présentés. Et puis, aussitôt son repas pris, il devait se rendre dans la partie boisée qui lui était désignée et devait ramasser les morceaux de bois mort, enlever et nettoyer les broussailles. Il fallait que les arbres respirent. Et tout cela, il le faisait avec toujours ces foutues lianes attachées aux chevilles. C’est ce qui expliquait ces marques qui n’étaient pas totalement parties, malgré les soins attentionnés de Britta.

Quelques fruits lui étaient à nouveau fournis pour son repas de milieu de journée et puis, l’après-midi, ses activités reprenaient avec le même rythme, toujours pareilles : nettoyer les bois, enlever les broussailles. Toujours avec ces liens végétaux aux chevilles. Et quand le soleil se couchait, les lianes le trainaient jusque vers un creux dans un arbre. Ce lieu lui servait de lit. Un lit dur et inconfortable au possible dans lequel il sombrait dans un sommeil sans rêve après de nouveau quelques fruits qui finissaient par ne plus avoir aucun goût. Il se réveillait le matin, aussi fatigué que la veille pour reprendre le même rythme, jour après jour.

Au bout de quelques jours, il ne sentait plus ses mains ni son dos. Il n’était plus que fatigue et douleurs. Il avait bien essayé de se rebeller au début, mais les souffrances infligées par les extensions de l’Être Végétal avaient été telles qu’il avait vite abandonné cette idée. C’était comme si des extensions de ces tiges se plantaient dans les nerfs de ses jambes et ses pieds et irradiaient en lui. Il s’était tordu de douleur et avait même perdu connaissance.

Il avait tenté, une seule fois, de s’échapper. Une fois où ses chevilles étaient libres. Mais la célérité de ces extensions végétales étaient telles qu’il n’avait pas fait cent mètres avant d’être rattrapé et de ressentir à nouveau cette douleur insoutenable. Il avait été cruellement châtié de son audace. Cette fois-là, il lui avait fallu plusieurs heures pour s’en remettre. L’Être végétal ne lui passait rien. Celui-ci ne pouvait pas admettre qu’un petit humain misérable lui tienne tête ou lui échappe. Il était le Maître de la forêt et entendait bien régner en despote absolu sur son domaine.

Boraz avait ensuite essayé d’autres choses, de nouer une autre relation avec ce monstre vert. Peine perdue, toutes ses tentatives de discussions s’étaient soldées par un échec. D’autant plus qu’il pouvait se passer des semaines parfois des cycles entiers sans qu’il ne le voie… Si ce n’est ses infâmes extensions qui ne quittaient dorénavant plus ses chevilles.

Et puis à force, son corps s’était renforcé, endurci. Il ressentait moins la fatigue. Ses mains étaient devenues dures, comme revêtues de cuir. Les tiges restaient accrochées à ses chevilles mais il ne les sentait plus. Il n’essayait même plus de compter les jours en se fiant aux différentes phases des lunes Moyra et Layka. Il avait perdu tout espoir et semblait s’était résigné.

C’est du moins ce que son geôlier avait déduit. Petit à petit la surveillance s’était relâchée. Les lianes se faisaient moins serrées sur ses chevilles. Il avait de plus en plus d’autonomie, en ne montrant jamais la moindre velléité de rébellion ou de fuite. Ses chaînes végétales avaient même fini par disparaître le jour et à ne revenir que la nuit. Il restait toutefois très prudent, connaissant la célérité des terminaisons de son tortionnaire. Il ne voulait plus ressentir cette douleur extrême qui lui avait été infligée au début de sa captivité. Son cœur ne tiendrait sans doute pas. Il fallait que la prochaine occasion soit impérativement la bonne.

Les jours, les cycles lunaires passèrent. La surveillance se relâchait de plus en plus. Il n’était plus jamais attaché, même pas la nuit. Chaque parcelle de liberté était un baume pour son cœur. Il le savait, un jour il y arriverait. Un jour, il serait libre de nouveau mais il fallait être sûr de son coup. Il avait réussi à faire croire à l’Être végétal et à ses extensions, qu’il dormait profondément, à forme d’exercices de méditation et d’entrainement. Pendant cette parodie de sommeil, il se remémorait tous les chemins qu’il pourrait prendre entre les arbres. Il savait maintenant marcher dans le sous-bois, sans faire bouger la moindre feuille, une démarche aussi légère qu’une plume. Cela avait nécessité beaucoup de temps. Du temps, il en avait eu… Mais il était proche de sa délivrance, il le sentait, au plus profond de lui-même.

Cette nuit-là, Moyra était complètement cachée par l’ombre de Layka. Et cette dernière en était à son dernier quartier. La nuit était sombre. Les oiseaux s’étaient tus depuis longtemps. Seuls quelques haroux hululaient dans la nuit, en chasse de quelque rongeur à agripper dans leurs serres. On entendait çà et là des coassements ou des sifflements d’amphibiens en bordure des mares et flaques d’eau. Mais la nuit était calme et aussi silencieuse que possible. Boraz ouvrit les yeux, la respiration toujours aussi lente et profonde que s’il dormait. Sans changer ce rythme, il se redressa lentement du trou dans lequel il était censé dormir et, toujours sans aucun bruit, ni respirer plus vite, il se mit en route, loin du lieu de son calvaire.

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