Elle comptait, recomptait, vérifiait et revérifiait. Il ne fallait rien oublier. Mais, ce n'était pas tellement par minutie qu'elle faisait cet effort. C'était surtout pour calmer et contenir son excitation. Le voyage à venir lui apparaissait comme un aller vers une page blanche. Elle partait loin, loin des problèmes, loin des faux amis, loin des disputes et de la solitude. C'était un nouveau départ.

Elle, on l'appelait Juliana, ou Julia, quand on l'appelait...

Dans ses souvenirs, cela faisait deux longues années que sa relation avec ses parents pouvait se décrire en cette simple et triste phrase : "près des yeux, loin du cœur". Oui, tristement, ils étaient une des raisons de son départ.

L'autre raison avait un prénom de 6 lettres et une abondante chevelure rousse. C'était Sandra, cette ancienne amie. Celle-là même qui était apparue comme un phare dans la nuit, un refuge dans la tempête. C'était elle qui lui avait ouvert son cercle d'amies.

Et pourtant, c'était elle qui l'avait laissée pour compte.

Brochant comme tout, elle l'avait annoncé entre deux cours, sans grand courage. Elle avait bafouillé des excuses sans fond et des justifications hasardeuses. Tout ça pour dire à Juliana qu'elle "prenait ses distances" avec elle, du fait de Melinda, sa nouvelle meilleure amie.

Au début d'ailleurs, Julia en voulait plus à cette dernière qu'à Sandra, puis, en prenant du recul, elle était arrivée à la conclusion que Melinda n'était qu'un prétexte : Sandra l'aurait lâchée qu'importe les circonstances.

Le souvenir de cet évènement lui revint, détaillé et poignant, lorsqu'elle tomba sur un petit porte-clés fantaisie, offert par Sandra. Toutes les émotions qu'elle avait ressenties sur le coup la traversaient de nouveau.

Tour à tour, ce furent la colère, l'affliction, le dégoût qui touchèrent son cœur. Mais, la plus forte fut la dernière. C'était cette étrange tristesse, à mi-chemin entre mélancolie et nostalgie, que l'on ressent lorsqu'on pense aux choses passés, abîmées par la vie et qui jamais plus ne seront comme avant.

À ce moment-là, ses grands yeux noisettes et innocents plongèrent dans le vide. Ils s'y perdirent, et se couvrirent d'une ombre.

Elle essaya, tant bien que mal de se consoler en se disant qu'elle manquerait au moins un peu à quelqu'un, Capucine. C'était à regret qu'elle la laissait derrière elle.

Capucine était une amie proche de l'école primaire, mais l'entrée au collège les avait "séparées". Capucine était partie avec un groupe de filles, Julia avec un autre. Elles étaient restées proches, malgré tout. Mais, au collège, Juliana n'avait jamais osé passer trop de temps avec Capucine.
Elle ne connaissait que trop bien un certain schéma.

Elle, "l'intruse", s'aventurait auprès d'un groupe de filles ou de garçons, introduite par un ou une des leurs. Au début, tout se passait bien, les gens se montraient souriants, gentils.

Mais, après un certain délai, les choses se gâtaient. On discutait à voix basse, cessant dès qu'elle arrivait, les regards changeaient . Et puis, enfin, un des membres de la troupe crevait l'abcès.

On l'attirait à part, puis on lui faisait poliment comprendre que l'on ne voulait plus d'elle. Elle en sortait mortifiée. Résignée, habituée, elle s'était fait tout un art de partir puis revenir dans les groupes, fuyant la solitude.

Malgré tout, avec Capucine, elle gardait une sorte de point d'ancrage dans sa ville. Celle-ci lui avait d'ailleurs dit qu'elle serait toujours disponible en cas de pépin, prête à fournir son soutien si besoin. Et Juliana en aurait besoin, de soutien...

En réalité, on pouvait décrire ce changement d'établissement comme une fuite en avant.

Elle ne partait pas simplement, elle fuyait.

Elle quittait sa vie pour un nouveau départ, près de l'air marin...
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NdA : Je poste (au moins) un chapitre tous les mercredis autour de 18h