Chapitre 11 : La fuite

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Le groupe filait à vie allure entre les rochers qui jalonnaient le chemin herbeux. Le rythme soutenu désamorçait toute tentative de communication élaborée. On se contentait de simples adjonctions. Matt et Andrew encadraient la petite troupe et surveillaient les alentours. Trois heures s’étaient écoulées depuis leur départ. De gros nuages noirs s’amoncelaient sur les sommets encore enneigés, et une odeur d’humidité s’exhalait du sol par vagues enivrantes.

– Bordel, on n’a pas de chances. Il semblerait que l’on va se prendre la pluie, geignit Jessica.

– Il faut se dépêcher, fit Max, avec un peu de chance, on devancera le déluge.

– Tant qu’il n’y a pas d’éclair, ça ira, dit Matt. Mais, dans le cas contraire, on devra se mettre à l’abri. C’est trop dangereux de marcher sous l’orage en pleine montagne.

– Ah oui ? questionna Jessica. Plus dangereux que ce qui la hante ?

La mauvaise humeur enveloppait le petit groupe. La peur et la fatigue en étaient les principaux artisans. La jovialité des deux premiers jours avait disparu. Matt baissa la tête, touché par la remarque acerbe de son amie qui s'en aperçut immédiatement.

– Je suis désolé, Matt. Je ne voulais pas me montrer agressive.

– Ca va t’inquiètes. Je comprends. Mais, il y a beaucoup d’accidents mortels par ici à cause de la foudre. J’aimerais l’éviter. Et puis, on ne sait même pas si on est suivi. Ceux qui ont tué la biche ont peut-être déguerpi depuis longtemps.

– Tu proposes quoi ? demanda Andrew.

– Dans un kilomètre, il y a une grotte. Au cas où, on pourra s’y réfugier. On sera au sec et à l’abri des éclairs.

– Ça me va, dit Hélèna, qui, malgré leur situation, continuait à filmer et photographier les lieux.

– OK, mais on n’aura même pas fait la moitié du chemin pour rejoindre le village, s’inquiéta Max. Tu penses qu’on pourrait s'y cacher ?

– Oui, elle est un peu en retrait du chemin, et difficile d’accès. Il faudra grimper pour l’atteindre. Elle n’est pas visible du chemin et possède une autre issue dissimulée. En cas d'attaque, on ne sera pas pris au piège.

Ils se turent et activèrent le pas. À peine dix minutes plus tard, une pluie diluvienne s’abattit sur les randonneurs, et des éclairs zébrèrent le ciel.

Matt mit le groupe au trot et se dirigea vers leur refuge. Ils crapahutèrent entre les rochers sur deux cents mètres pour gagner leur abri. Ils n’avaient pas enfilé leurs affaires de pluie et étaient trempés.

– Au moins, pas besoin de prendre de douches ce soir, plaisanta Andrew, en se frottant les cheveux.

Les filles, hors d’haleine et mortes de fatigue, ne relevèrent pas la piètre plaisanterie.

La grotte était vaste. Matt s’y enfonça et conduisit ses amis à une dizaine de mètres dans les profondeurs de l’anfractuosité. Il bifurqua vers la droite dans un petit goulot en forme d’arche. Ils débouchèrent sur une seconde salle, sèche, qui mesurait environ une trentaine de mètres carrés.

– Ici, on pourra même faire un feu invisible de l’extérieur. Il y a un petit conduit d’aération naturel qui dissipera la fumée au-dehors, dit Matt.

– Mais les autres risquent de la voir non ? demanda Max.

– Non, elle sort en pleine végétation. À moins d’avoir le nez dessus, on ne voit quasiment rien et le bois sec ne produit que très peu de fumée.

Matt se frotta l’arête du nez tout en réfléchissant :

– Ne tombons pas dans la paranoïa. On a couvert une sacrée distance. Je pense qu’on ne craint plus rien. En plus, cet endroit n’est pas très connu. Dès que le temps se calmera, on reprendra la route.

C’était le début d’après-midi, mais au-dehors, on se serait cru en pleine nuit. Le tonnerre grondait tel un millier de tambours. Le ciel était noir de rage. Le vent s’était mis aussi de la partie et soufflait avec animosité. Une véritable vision de fin du monde s’étendait sur la montagne. Max sortit quelques barres de céréales qu’il proposa à ses camarades. Ils les acceptèrent et la tension retomba un peu.

– Que pensez-vous de votre hôtel les filles ? demanda Matt avec un accent bourgeois.

– L’eau des douches est froide. C’est inacceptable, répliqua Hélèna, sur le même ton.

– Et mon Dieu, dit Jessica, qu’il est bruyant cet hôtel !

Ils rirent. Matt était content de voir ses amis reprendre le dessus. Andrew et sa bonne humeur naturelle, bien que lourde parfois, y étaient pour beaucoup.

À l’extérieur, l’orage monta en intensité et hurla sa litanie durant toute l’après-midi : impossible de pointer le nez dehors. La pluie diluvienne rendait la visibilité quasi nulle. En contrebas de la grotte, un torrent artificiel dévalait la pente. Des pierres dégringolaient des parois de la montagne, arrachées par ses flots impétueux. Matt avait trouvé quelques branchages bien secs dans une galerie adjacente. Ils se préparèrent à passer la nuit sur place.

– Maudit temps, maugréa Hélèna, en nettoyant son caméscope, ça ne s’arrêtera donc jamais.

– Au moins, ça nous met à l’abri des autres fous, dit Max.

– Espérons que tu aies raison, souffla Jessica.

– On est en sécurité ici. Personne ne mettrait le nez au-dehors. Je pense qu’on sera tranquille ce soir. Cependant Max, Andrew et moi prendrons des tours de garde. On n’est jamais trop prudent même si je pense toujours que l’on s’inquiète pour rien.

– Vous pouvez vous reposer tranquillement les filles, enchaîna Andrew. Aux aurores, on partira sans avoir besoin de s’occuper des tentes ! C’est une bonne nouvelle non ?

– Ouais c’est vrai. Nettoyons un peu cet endroit crasseux, dit Jessica. Il est hors de question que je traine mon duvet sur ce sol plein de poussières.

Tous se regardèrent, interloqués. Les priorités des uns n’étaient pas celles des autres.

La nuit s’annonça en douceur. Les garçons allumèrent un feu de camp qui faisait danser les ombres des naufragés sur les parois de calcaires de leur antre. Max attaqua les produits lyophilisés.

– Désolé, mais je n’ai rien pour relever notre nourriture ce soir, dit Max d’un air maussade.

– Ne t’en fais pas, répondit Hélèna en lui caressant le bras avec affection, tu en fais déjà tellement. On s’en passera.

– Allez, bon appétit à tout le monde, clama sur un ton jovial Andrew. On ne va pas se laisser abattre non ?

– Non, dit Jessica. On est ensemble, on est une équipe, on ne craint rien.

– Amen, fit Matt en soulevant sa gourde pour trinquer.

Toute la bande l'imita.

Andrew prit le premier tour de garde. Il se cala confortablement contre un rocher à l’entrée de la grotte. La nuit était tombée, et les éclairs trouaient la pluie au rythme d'un métronome. L’adolescent s’amusait à compter les secondes entre chaque coup de tonnerre : dix, c’était invariable. On racontait que, plus les secondes s’égrenaient, plus l’orage s’éloignait. Pour l’instant, ce dernier avait décidé de camper au-dessus de leurs têtes. Andrew saisit un bâton sur le sol et s’amusa à y dessiner des formes sophistiquées. Son œuvre terminée, il l’effaçait et en recommençait une nouvelle. Il tuait le temps comme il le pouvait. Matt prendrait la relève dans trois heures. C’est lors d’une énième illumination du ciel qu’il entrevit l’être tapi entre deux rochers à environ une trentaine de mètres de lui en contrebas. Il était immobile et le fixait de son visage blanc tel un mort. Il avait une massue à la main. Son dos se voutait à l’extrême. Puis la nuit reprit ses droits. Le jeune homme bondit sur ses talons. 1.2.3… 10 éclairs : la présence avait disparu. Après plusieurs minutes, la forme n’était plus réapparue. Andrew décida de ne pas alarmer ses amis. Si la créature avait voulu l’attaquer, elle l’aurait déjà fait. Il attendit la relève de Matt pour lui en parler. Trois heures plus tard, de dernier le rejoignit. Andrew lui décrivit sa vision.

– Tu es sûr de toi ? bégaya Matt.

– Non, non, je te dis juste ça pour te faire peur… Il n’y a pas de doutes. Ils sont là. Ils savent où on est. Demain, ne traînons pas ici.

Matt reconsidéra leur position : ils étaient bien devenus des proies.

– OK. Va te reposer tu en as besoin. Je monte la garde.

– Je prends mon sac de couchage et je reste juste derrière toi au cas où.

– Ça marche. Garde ton couteau de survie avec toi. On ne sait jamais. On préviendraMax lors de son tour de garde.

Andrew ne dormit guère bien qu’aucune autre apparition ne se manifesta ce soir-là. Quand Matt réveilla Max, il lui raconta toute l’histoire. Puis, il se plaça à côté d’Andrew, qui avait finalement sombré dans un sommeil agité. Il se reposa à son tour quelques minutes. Il rêva de monstres blancs armés de tibias humains. Lorsque le jour pointa le bout de son nez, l’orage avait disparu.

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