Le froid devenait de plus en plus tenace, les herbes craquaient sous les pas des voyageurs. Wow, Ash et Raven marchaient à bonne allure, impatients d’arriver à Discordya qui n’était plus qu’à quelques lieues de l’endroit où ils se trouvaient. Ils avaient traversé les vallées, escaladé les collines, contourné les lacs profonds qui cachaient, disait-on, des calmars géants. Ils avaient fait des pauses autour de feux de camps agrémentées de la musique que Wow jouait avec la flûte en os que Ash lui avait donnée, le titre à la mode à cette époque “Empepor” faisait s’enjailler ses deux compagnons et grogner le dragon ; ils se nourrissaient de faisans chassés et de crêpes que Raven cuisait à la perfection avec trois fois rien…

Les voyageurs étaient maintenant aux abords du royaume, c’est à dire au bord des forêts de Touchpaassa. Le voyage avait été très long, éprouvant, surtout à cause de Banyshion qui devait se nourrir sans attirer l’attention. Le dragon devait se montrer discret et obéissait bien en cela à sa maîtresse. Mais parfois des paysans repéraient ses ailes immenses à travers quelques troncs, ou alors entendaient son souffle de feu la nuit quand il brûlait une de leur vache. Mais jusque là, ils n’avaient pas été inquiétés. Ash, à chaque pause, consignait tous les détails du voyage sur son carnet jauni, Raven lui se contentait de faire la gueule, et Wow déprimait, ses montagnes lui manquaient. Il avait hâte que tout cela se termine afin de retourner dans son châlet. Il se demandait encore pourquoi il s’était embarqué dans cette histoire quand Raven ouvrit enfin la bouche, inquiet.

— Vous pensez qu’on va arriver à temps pour le procès ?

— Mmh… normalement oui, répondit Wow, perplexe. Sauf si Girondin décide de faire ce qu’il veut, comme d’habitude.

— Saleté de bonhomme celui-là, grogna Raven le Ténébreux.

— En même temps pourquoi ton con de frère a été faire des siennes aussi ?

— Parce qu’il est con… fit Raven sur un haussement d’épaules.

— Hey, calmez-vous les gars ! s’exclama Ash, un peu déçue de l’ambiance alors qu’elle s’attendait à vivre une aventure trépidante, comme dans les livres qu’elle avait lus dans son enfance…

Alors que les garçons étaient à leur querelle stupide, elle plongea dans ses pensées, se remémorant ses études à l’Académie… Il s’y passait de drôles de choses sous le joug de la mère supérieure… Mais elle s’en était sortie et maintenant elle écrivait les mémoires du passé, et celles de l’avenir… Un sourire rêveur se dessina sur son visage. Ce que les garçons remarquèrent. Alors, se sentant cons, comme ils l’étaient de toute façon, ils reprirent du poil de la bête et marchèrent avec plus d’entrain, cessant toute dispute.

Pendant leur traversée de la forêt, Yoru la Magnifique se promenait autour du domaine impérial, accompagnée de loin par deux gardes. Ils étaient censés être discrets, mais elle savait très bien qu’ils étaient là. De son maintien droit, le buste bien en avant dans son corsage à froufrou rouge, ses cheveux roux coupés très courts pour mettre en valeur son cou fin et délicat, elle marchait à petits pas, les jambes cachées par une jupe assortie à ses cheveux, contemplant les alentours. Les odeurs des champs, des fleurs, celle moins agréable des vaches paissant dans le pré, tout cela la régalait. Elle avait insisté pour décaler son cours ce jour-là, ne supportant plus l’ambiance tendue qui régnait dans la cour du château. Entre la juge dépressive, l’anarchiste qui se pensait discrète, le professeur qui faisait n’importe quoi, les prisonniers, et surtout l’Empepeur qui devenait de plus en plus fou, elle ne savait plus quoi penser. Elle songeait à sa place, enviée de nombreuses femmes, mais en même temps, elle en avait ras la quéquette de vivre dans ce lieu morbide. Elle songea à aller voir l’apothicaire, Aka-Nightmare, celle qui évitait les songes maudits grâce à ses décoctions mystérieuses. Combien de fois Aka l’avait-elle sortie d’un mauvais pas, surtout quand des boutons apparaissaient sur sa peau magnifique.

Alors qu’elle en était là dans ses pensées tristes, elle aperçut au loin un groupe de personne sortant de la forêt. Trois personnes qu’elle ne connaissait pas ! Cela l’intrigua et elle marcha lentement, style de rien, vers eux, voulant les observer à sa guise. Elle adorait les nouvelles personnes devant qui elle pouvait s’exhiber à outrance. Mais en avançant doucement devant eux, elle eut la mauvaise surprise de voir ses deux gardes la devancer pour courir vers les inconnus. Non loin des voyageurs se trouvait aussi un paysan qui labourait les champs de l’Empepeur, ne faisant attention à rien de ce qui se passait autour de lui.

— Hep, vous là-bas ! hurla à bonne distance un des gardes aux arrivants. STOP !

Les inconnus stoppèrent net, étonnés et perplexes. Raven surtout se demandait ce qu’il se passait, normalement l’on pouvait entrer et sortir du royaume sans soucis…

— Plus un pas ! continua de crier le garde, arrêté lui aussi. Nom et motif de votre entrée au royaume de notre Empereur Girondin !

Wow s’avança un peu et se retrouva à presque quatre mètres des gardes. Il gonfla sa cage thoracique pour crier à son tour de sa voix grave et suave :

— Nous sommes venus assister au procès de Ted ElCucumber, monsieur !

— Personne n’assiste au procès d’ElCucumber ! Faites demi-tour ! répondit l’autre garde, montrant la garde de l’épée ceinturée à sa taille.

Le montagnard se retourna vers ses deux compagnons de voyage, leur demandant d’un regard ce qu’il convenait de faire. Raven avait l’air anéanti, comme s’il imaginait déjà son frère mort… Ash quand à elle sifflotait d’un air qu’elle voulait distrait. Pendant cette discussion presque silencieuse, une ombre arriva sur eux. Banyshion s’était montré au grand jour, ayant entendu la mélodie de sa maîtresse… Les gardes levèrent la tête, et la dernière chose qu’ils virent de leur vie était ce dragon, volant en faisant des cercles autour d’eux. Ils entendirent le bruissement des ailes, le son de gorge rauque, comme venu des cavernes, et enfin, les flammes jaillirent de la gueule grande ouverte de Banyshion. Ils n’eurent pas le temps de crier ni de se sauver… Ils furent cuits à points, laissant dans les airs cette délicieuse odeur de barbecue que Wow avait déjà sentie dans la forêt de Haouicétélà.