Le Professeur et la Vieille qui Sait - PARTIE 2

4 minutes de lecture

Les bruits de bottines des jeunes qui couraient sur les pavés agaçaient les commerçants mais ils ne pouvaient rien dire, leur survie était due aux achats de leurs parents. Tandis qu’ils couraient pour se rendre sur le belvédère près du puit de la place, non loin de l’estrade de Faittpakomlui, la juge arrivait à l’opposé, contrariée. Non pas par le bruit des morveux, mais par les procès qui s’enchaînaient à une vitesse folle, et par les punitions de plus en plus farfelues sorties de l’imagination tortueuse de l’Empepeur. La juge Punjabine se dirigeait justement vers le supplicié du jour, attaché sur le sol du belvédère depuis son arrestation deux jours avant. Ted ElCucumber était en effet exposé là, vêtu d’un sac de patates, attaché. Pour l’humilier encore plus, Girondin avait décidé de l’entourer de têtes de loutres sanglantes. Une dizaine de têtes l’encerclait… L’odeur qui émanait de ces choses était insupportables, mais les ados qui étaient enfin arrivés là, juste à côté du juge Punjabine, semblaient n’en n’avoir rien à faire.

— Regarde Thithi ! s’écria Mia, excitée et écoeurée, t’as vu ces têtes ?

— Je vois surtout la tienne ! se mit à rire le dénommé Thithi, dit Thierry.

— Ha ha ha… sourit la jeune fille, habituée à l’humour peu risible de son camarade.

— Je sais, je sais… je suis hilarant !

— Pas trop non…

— Hé ! Qu’est-ce que tu dirais si je mettais une de ces têtes sur lui ?! s’exclama t-il en joignant le geste à la parole. .

— Mdr, répondit la jeune Mia enchantée devant la bonne blague de son ami.

Ted était maintenant décoré d’une tête de loutre, qui tenait en équilibre sur ses cheveux désormais poisseux. Les autres élèves n’avaient pas envie de rire, Ziolet, Lenna et Aika repartirent, faisant voleter leurs robes vertes cachées sous une cape pourpre qui ne laissait dépasser que quelques mèches ondulées, d’or pour l’une et brunes pour les deux autres. Elles étaient prises de nausées. Punjabine quand à elle regarda les deux jeunes gens restés sur place, triste devant tant de cruauté.

— Le pauvre homme… chuchota Aika, les larmes aux yeux sur le chemin du retour. Qu’a t-il fait pour mériter ça ?

— Mère me disait qu’un certain pirate avait été arrêté, répondit Lenna, pour avoir insulté notre bon Empereur… Il l’aurait qualifié de “vieille loutre puante”.

— Et alors ? Ce ne sont que des mots ! s’emporta alors Ziolet, révoltée… J’ai grand hâte d’être au procès, qu’on montre à ce pauvre bougre qu’il y a une justice !

Ses deux amies la regardèrent, défaitistes.

— Justement… La justice ici… Tu vois ce que ça donne non ? Les séances de Faittpakomlui s’enchaînent… Parfois je voudrais être comme Blue l’Anarchiste…

— Tu es folle ? Tu serais arrêtée aussitôt ma pauvre Lenna ! s’écria Aika apeurée, regardant autour d’elle pour être sûre que personne n’ait entendu. Chut, arrêtons de blablater, on verra au procès !

Elles s’engloutirent dans le ventre du château, laissant leurs deux camarades profiter du spectacle. Le jeune homme aux cheveux noirs et à la redingote de velour pourpre et sa camarade Ziolet, en robe pourpre également et aux cheveux châtains tombant sur ses épaules ne parlaient plus, ils espéraient pouvoir parler avec le supplicié mais Ted faisait semblant de dormir, ne voulant pas regarder ces merdeux dans les yeux. Punjabine détourna le regard, elle n’en pouvait plus de ces immondices… Pendant un instant elle songea à rendre sa perruque, symbole de son pouvoir, pour devenir une simple femme de noble, avec des atours de princesse, des robes colorées et non plus noires, ses cheveux blonds libérés au vent… Mais elle se reprit aussitôt, qui ferait son travail aussi bien, sinon elle ? Elle soupira puis repartit vers l’intérieur du château.

Alors qu’elle était bientôt arrivée devant la grande arche de pierre, elle fut bousculée par quelqu’un qui avait la tête baissée, encapuchonnée.

— Hola ! Vous pourriez faire attention ! s’écria Punjabine, agacée.

La personne s’arrêta, montrant son visage tout ridée, plus qu’une pomme à la fin de sa vie. Elle eut un grand sourire édenté, et hocha la tête, comme pour faire une révérence d’excuse. La juge Punjabine eut un sursaut, elle venait de s'adresser à la Vieille qui Sait comme si elle avait juste grondé un gamin mal élevé… Elle fit une révérence et s’excusa aussitôt.

— Pardon Dame Gertrude… J’étais dans mes pensées sinistres… fit-elle doucement, effarée.

— Oh ! Ne t’en fais pas ma p’tite, je l’étais aussi ! répondit la vieille dame aux cheveux blancs serrés en chignon et tenant fermement sa cape autour de son buste. Le froid arrive, dans quelques jours nous aurons les premières gelées… Dans la vallée il est déjà fort !

— Oui, il arrive tôt cette année… fit Punjabine, lasse.

— Ce n’est pas de bonne augure… Savez-vous jeune fille que les Tenzactuels sont révolus ? J’ai vu… J’ai entendu… Le souffle chaud, les flammes, les cris… Terreur et sang… Ailes et fléau… Faites attention à vous ma fille… Faites attention à vous.

La juge Punjabine n’eut pas le temps de répondre à ces drôles de paroles prononcées sur un ton mystérieux empli de mystères inexpliqués, la vieille dame repartait déjà. Les gens avaient l’habitude de ses présences furtives, des ses “visions”... La plupart du temps, elle disait vrai, et pour son âge inconnu et ses paroles, tout le monde la vénérait. Elle était respectée. La fille de la Vieille qui Sait était aussi respectée, et elle restait au domicile de la doyenne pour s’occuper de sa vieille mère. La Rêveuse Clara sortirait quand sa mère mourrait. Et Gertrude savait qu’elle voyait sa dernière année. Les Tenzanciens l’avaient vu naître, les Tenzactuels la verraient mourir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Driller_Killer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0