L'Empepeur et le Voleur de Pain - PARTIE 1

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L’hiver s’annonçait rude, si on en croyait les nombreuses couches des oignons récoltés cette année là et aussi si on croyait les vieilles mégères au coin du feu, dans leurs chaumières misérables. Abris qu’elles devaient à leur bon maître et empereur : l’Empepeur Girondin, et non pas à leurs bons à rien de maris. Les pauvres gueux avaient beau s’échiner à la tâche jour et nuit, cela ne rapportait que dalle. Aucune paye n’était versée, le bon Girondin leur offrait déjà le toit, et le couvert - enfin, c’est vite dit, mais personne n’osait s’en plaindre. Les misérables vivaient de ce qu’ils chouravaient dans les champs qu’ils cultivaient pour le château et la cour impériale emplie de nobles fainéants. Parfois, ils glânaient quelques noix et noisettes dans la forêt Touchpaassa, mais avec la peur au ventre, car, tout comme le braconnage, le fait de récolter fruits, graines, ou légumes qui appartenaient à l’Empepeur était punissable de prison, de torture ou de mort, selon le bon vouloir et l’humeur de Sieur Girondin. Une fois par mois, les employés de cuisine de la cour livraient un cageot de denrées : farine, sel, viandes séchées et poissons fumés aux familles de royaume, et c’était tout. La peur, plus que la faim, régnait constamment. Les gens n’osaient rien dire, rien faire, surtout en présence des gardes impériaux, ou encore des dames de la cour et des marchands privilégiés.

Ainsi fonctionnait Discordya et le règne de l’Empepeur. Il devait son nom aux chuchotements des gueux qui en avaient grand peur. Et à raison. Comme pour leur prouver la légitimité de son nom, ce jour-là se déroulait une séance de Faittpakomlui sur la place publique, le seul moment où ces gueux pouvaient entrer dans le château d’ailleurs. Le supplicié était un jeune mendiant qui aurait réussi à chourrer une boule de pain sur un étal après avoir livré des patates. Le malheureux, baptisé Anthonoire, serait exposé devant tout le monde pour subir la torture avant de retourner dans sa geôle et d’y croupir jusqu’au bon vouloir de Girondin Le Bon.

Dès son arrestation, la soeur du supplicié qui portait le délicieux nom de Gérard, a pleuré. Pas pour Anthonoire, ça non, elle n’en n’avait cure, il l’avait bien cherché le maroufle, mais elle était dégoûtée de sa race parce qu’à cause de lui, son cageot mensuel qu’on lui apportait ce jour ne comportait rien d’autre que des mots gribouillés sur de vieilles feuilles de laitue, qui disaient “Bien fait pour ta gueule, et qu’on ne vous y reprenne plus”. Honte ultime pour elle… La brave Gérard avait donc pris son baluchon et était partie au soir, elle ne resterait pas une minute de plus ici, s’était-elle dit. Elle avait alors revêtu sa robe de coton dru marron, noué ses cheveux frisés et roux en chignon et enfilé sa cape. Profitant de la pénombre elle était passée par la forêt Touchpaassa pour rejoindre les montagnes des contrées de Cétéoudéjà. Là-bas, elle y ferait sa petite tranquille et mangerait des escargots, elle en raffolait et dans le royaume, c’était interdit de consommer des escargots.

Dans la cour du château, c’était l'effervescence, le malheureux Anthonoire était arrivé sur l’estrade de bois, attaché en croix, les poignets reliés à de grands poteaux avec de la corde rêche, et les pieds au bas des piquets. Il ne portait qu’un ridicule sarrau fait en toile avec le tissu d’un sac de pommes de terre ramassé derrière les cuisines du château. On lui avait rasé la tête, et les cicatrices de la séance de coiffage n'avaient pas encore disparu. “Miskine” entendait-on chuchoter dans la foule. Les marchands eux, avaient fermé boutique pour profiter pleinement du spectacle. Certains même, dans leur grande générosité, offraient des sucreries aux enfants. C’est qu’un jour pareil, ce n’était pas courant : une fois par semaine seulement. Derrière Anthonoire, sur le sol, gisait raide mort le pauvre palefrenier, Lukuku, pendu pour avoir volé un picotin d’avoine au cheval de l’Empepeur. On disait de lui qu’il était le Mort Éternel, car on le croisait partout, et partout il mourrait. Beaucoup de récits faisaient état de ses morts diverses, allant de la pendaison comme ce jour au supplice de la noyade, voire même à la stupide chute du haut d’une échelle ; selon les dires, il serait mort déjà plus de douze fois. Mais ce n’était probablement qu’une simple légende, due à son visage banal…

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