CHAP.17 : Rendez-vous en terre inconnue

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       Des claquements et autres bruits suspects dans les couloirs anticipèrent notre réveil. A la surprise générale, Vanessa avait complètement recouvert le corps de Fred pendant la nuit s'en servant comme d'un édredon calé entre les jambes. Elle sursauta et se redressa en position assise le visage empourpré. Fred se tourna aussitôt contre l'assise du canapé pour cacher une turgescence naturelle matinale.

— Ne me dis pas que c'était ton machin qui me transperçait le bide à l'instant ? S'écria Vanessa.

— Non, ce n'était pas ça, dis Fred d'une voie étouffée par les coussins du canapé.

Vanessa lui assena un coup de poing sur la fesse droite.

— Aïyeeuuuuu ! Voilà le retour du monstre ! Gémit Fred.

Vanessa se leva et se précipita vers moi toute tendue.

— Donne-moi de l'eau, j'ai soif. Cet imbécile m'a asséché.

— C'est le fait d'avoir trop papoté tous les deux hier soir ? La piquai-je.

— File moi cette gourde et tais-toi, ronchonna-t-elle.

Je dépliai la carte sur la table basse pour décrire notre parcours jusqu'au point de rendez-vous.

— C'est cool, dit Fab. C'est sur la bonne route.

Il tiqua à l'observation du plan et tira la feuille vers lui.

— L'Hexagone Balard ! S'exclama Fab.

— A ce truc, oui, ça me dit quelque chose mais je ne me rappelle plus quoi.

— Putain de merde !

— Quoi ?

— Ce truc comme tu dis, est surnommé le Pentagone français.

— Le Pentagone français ? Répéta Fred.

— Le complexe qui réunit tous les états major de l'armée française ; la marine, l'armée de l'air et de terre.

— Merde, mais c'est vrai ! Je me souviens maintenant, dis-je. C'est un bâtiment ultra secret. Il paraît que les architectes eux-mêmes n'ont pas eu le droit de connaître les installations centrales les plus secrètes.

— Oui, et ce n’est pas tout, reprit Fab. Ils n'ont pas voulu le dévoiler, mais l'Hexagone comporte sûrement un abris anti-atomique et un bunker de survie avec base générale de gestion de crise centralisée.

Je me redressai et m'affalai en arrière sur le dossier du canapé que j'occupais pour digérer ces informations.

— Donc c'est plutôt bon signe. Nous avons sûrement à faire à des gens sérieux et non à un guet-apens.

— Il se peut que l’on tombe réellement sur des soldats, concluait Vanessa qui doutait de cela quelques minutes avant.

Nous avions bien assimilé cette petite routine du matin ; enrouler nos duvets et les glisser dans nos sacs à doc respectif, ranger précautionneusement nos gourdes d’eau potable et nos maigres rations de nourriture, vérifier la présence de nos outils de survie. Je contrôlais doublement la position bien calée du smartphone et de sa station solaire chargeable. Une longue matinée de marche nous attendait, aussi nous redoublions d’attention au serrage de nos lacets de nos chaussures de marches. Neuves il y a quelques mois de ça, nos grolles semblaient bien entamées à cause de nos trails quasi quotidiens.

Fab aventura un bout de tête dans l’entrebâillement de la porte de la salle d’attente transformée en dortoir pour une nuit. Personne. Le couloir était désert. Il ouvrit en grand la porte et notre petit groupe arpenta les couloirs et les étages jusqu’à la sortie de secours à l’arrière de la mairie. Et nous entamâmes le parcours de la journée. Que dis-je, le parcours de la matinée. Nous avions rendez-vous à dix heure. Il était sept heure. Trois heures pour parcourir un peu plus de trois kilomètres, cela devrait nous laisser le temps d’y arriver.

Nous longeâmes en ligne droite tour à tour l’Avenue Edouard Vaillant, puis l’Avenue de Versailles. Nous tournâmes sur la droite sur le Boulevard Exelmans pour recouper le lacet de la Seine et quitter Boulogne-Billancourt pour enfin pénétrer dans la Capitale par le large boulevard des Maréchaux. Nous dépassâmes les bâtiments de France Télévision ratatinés comme un énorme mille-feuilles. Au centre du boulevard, une rame de tramway était restée miraculeusement sur ces railles. Transformée en copropriété, elles devaient abriter une cinquantaine de personnes. Peut-être que quelques stars de la télévision survivantes avaient trouvé refuge dans ce train. J’eus une pensée complètement idiote qui me fit rire en silence. Michel Druker devait sûrement s’y trouver. Michel ne mourra jamais.

Soudain ; notre parcours assez rectiligne, plat et calme se transforma en un chaos indescriptible. C’était comme si un jardinier avait retourné la terre de son potager avant les semences. Nous étions dans les temps à ce moment précis et plus qu’à une centaine de mètres de notre objectif du jour. Mais la zone dans laquelle nous pénétrions avait été littéralement labourée, creusée, déformée. Les longues barres d’immeubles de bureaux modernes avaient été pulvérisé formant sur le sol traumatisé des éclats d’acier, de bétons et de verres. C’était à cela que devait ressembler le champ de bataille de Verdun en 14-18, les monticules de gravas en moins. Nous avions une heure d’avance sur notre rendez-vous, mais ces derniers cent mètres ressemblaient à l’image que l’on pouvait se faire de l’enfer.

Quelle pouvait être cette arme qui pouvait désintégrer et cristalliser le sol en son épicentre, ravager entièrement certaines zones en sa proche périphérie et relativement épargner d’autres zones, et reproduire ses phénomènes de dévastation à plus de deux cents kilomètres à la ronde. Et quand je pensais deux cents kilomètres, c’était ce que j’imaginais. C’était peut-être beaucoup plus. A l’échelle humaine, elle n’existait pas. C’était impossible. Une rafale de puissance à destruction variable, voilà comment je finis par la décrire. Finalement, l’heure qu’il nous restait ne serait pas de trop pour rejoindre notre contact.

Nous avions le sentiment de traverser un océan immobile très agité, sauf que là l’eau était de la terre, du macadam et du béton concassés, les embruns étaient des projections de verre et de plastique, les rochers affleurants étaient des carcasses de véhicules informes, le creux des vagues ressemblait à des cratères, comme l’impact d’une balle de fusil dans la terre. J’en concluais soudain que cette zone avait peut-être subi une autre attaque, à un autre moment, par d’autres armes.

Quand nous étions au fond d’un cratère, tel un cirque sur la lune, le paysage était masqué à deux ou trois mètres seulement autour de nous. La vue était imprenable sur la désolation, arrivé au sommet sur la collerette de terre. Cependant, nous ne pouvions plus nous repérer, localiser l’Hexagone Balard. Nous devions être tout près mais nous n’avions aucune certitude sur l’emplacement exact. J’espérais que notre contact manifesterait sa présence et viendrait à notre rencontre.

« C’est quoi ce bordel, Mic ?

— J’en sais foutrement rien, Fred !

— C’est l’image que je me faisais de l’apocalypse.

— Bah qu’est-ce qu’on a les fillettes, juste au moment où ça devient excitant ! se moqua Vanessa en tendant le doigt, droit devant elle. Regardez, même si ce terrain est un sacré merdier, il y a quand même une certaine logique. On peut quand même deviner l’axe routier et à droite les grosses collines d’amas de gravas qui devait être les bâtiments de l’Hexagone.

— Mais c’est immense ! Ils ont dû s’étaler sur plusieurs centaines de mètres à cause de la déflagration.

— Pas si sûr. Quand on regarde la carte, ce complexe était réellement immense et s’étendait sur plus de cent mètres.

— Et comment allons-nous deviner où est l’entrée.

— Plus qu’à espérer qu’ils nous attendent et qu’ils se montrent.

Nous surfions encore quelques dizaines de mètres sur cette mer de désolation. Ce décors tourmenté m'oppressa soudainement. L'atmosphère était chargé d'électricité. Le champs sournois des volatiles charognards s'était tu. Les quelques rats qui arpentaient les ruines avaient disparus sous les interstices des gravats. Mon attention prudente m'avait fait prendre quelques mètres de retard sur mes amis. Vanessa menait la file avec à sa droite légèrement en retrait Fred, suivi de Fab. Elle passa le long d'un bout de mur d'une hauteur d'homme étonnamment encore en position verticale. Cisaillé net, des fers à béton surgissaient de sa section dansaient comme des serpents hypnotisés. Exposé dans un autre contexte tel un musée, ce truc aurait pu être considéré comme une œuvre d'art contemporaine ; « Le Mur Hydre ». J'étais vraiment bizarre de penser à ça dans un moment pareil.

Soudain, une nouvelle tête de l'Hydre apparut lentement se mouvant vers la tempe de Vanessa, mais ce n'était pas un fer à béton. C'était un fusil-mitrailleur.

— Ne bougez pas et surtout pas de gestes brusques, prévins une voix à couvert du mur.

Vanessa leva instinctivement les bras au contact du canon de l'arme. Le soldat sortit de sa cachette suivi de près par un autre qui nous mit en joue.

— Identifiez-vous !

— C'est nous ! On vous a contacté avec le téléphone d'urgence de la mairie de Boulogne-Billancourt , dis-je la voix tremblante.

— Numéro de code de la conversation ?

— Non mais c'est une blague ? On avait rendez-vous ici à dix heure. Nous n'avons pas retenu votre putain de code, s'énerva Vanessa.

— C'est bon, intervint le deuxième soldat. Ils ont l'air clean.

— Vous avez des armes sur vous ?

— Non, dit promptement Vanessa en ignorant volontairement le pistolet dans son sac à dos.

Je trouvais ces militaires extrêmement nerveux. Ils ne cessèrent de nous viser ou de balayer les alentours avec leur fusil. Ils ne prirent pas la peine de relâcher la prise de leur arme pour la mettre en bandoulière et nous fouiller.

— Suivez-nous et ne quittez pas la ligne de mes pas.

Nous progressions en file indienne dans les décombres avec un soldat en tête pour nous guider et l'autre pour couvrir nos arrières.

Mon regard averti se fixa sur de petits graviers posés aléatoirement sur une plaque de béton brisée. Subrepticement, ils commençaient à sautiller et à danser sur la surface. Sur mon autre côté, un petit éboulis de gravats se produisit. Le sol bougeait. Je sentis des vibrations sous les pieds. Alertés, les deux soldats mirent à genou à terre, nous commandant par un geste vif de la main de faire de même. Il balayèrent de leur canon en arc de 180° derrière nous.

- Et merde ! Vous avez été suivi les morveux, vociféra l'homme de tête.

- Non, répondit Fab en angoisse.

- Quelqu'un a-t-il pu surprendre votre conversation téléphonique d'hier.

- Je ne crois pas, lançais-je.

Les secousses régulières furent maintenant accompagnées d'un grondement montant crescendo. C'était le vrombissement grave d'un gros moteur.

- Les Ultra Défense ! Ils reviennent ces enfoirés.

- Les Ultras quoi ? Marmonnais-je.

- Des enfoirés d'intégristes nationalistes qui ont profité de cette merde pour prendre le pouvoir de l'ouest parisien. Des putains d'anarchistes !

Une silhouette fine apparut en sommet d'une crête. Elle portait quelque chose de la main droite comme un sac à main. J'essayais de faire le point avec ma vision.

- Ce... Ce ne serait pas la petite blonde blafarde croisée à la mairie, hier.

- Merde, je crois que tu as raison Mic, confirma Fab.

- Donc vous avez été suivi bande de cons, cria le soldat de tête.

La blonde tendit l'objet devant elle, dans notre direction. Elle se mit à faire tournoyer l'objet par ce qui semblait être une lanière, comme une fronde. Après quatre tours, elle le projeta vers nous. Le colis rebondit plusieurs fois dans la pente de débris et roula jusqu'à nos pieds. Ce n'était pas un engin explosif, ni un objet. C'était organique.

Je mis une main devant la bouche en réalisant que c'était une tête humaine tranchée.

- Putain, c'est quoi ce délire ? Hurla le militaire.

Il décocha une rafale de mitrailleuse. Les balles se perdirent sur la butte à quelques centimètres seulement de la jeune fille qui ne bougeait pas d'un pouce. C'était donc ça le bruit assourdissant d'une arme de guerre. Tous mes muscles s'étaient crispés et mes tympans bourdonnaient.

Fab s'était penché deux secondes sur la tête décapitée.

- C'est pas vrai ! Il n'a pas ses lunettes mais je le reconnais, c'est .

- Non mais ce sont des cinglés, pourquoi faire une choses si horrible.

- Si vous saviez, beaucoup sont devenus des animaux, dis le soldat de queue. Allez on bouge ! Faut qu'on atteigne l’abri au plus vite.

Le vrombissement était devenu tempête, les vibrations de véritables éboulements et coulées de terre. La crête de la montagne de gravats se déformait à mesure des déplacements de terrain.

Nous étions au pas course, encouragés et terrifiés par les hurlements de notre guide protecteur.

Soudain, le temps sembla s’arrêter un instant. Un immense châssis d'acier porté par de lourdes chenilles surgit de la crête se tassant instantanément dans une gerbe de débris. La tête du véhicule plongea dans la pente révélant sa vraie nature ; un tank ! Un char Leclerc … Monstre d'acier de plusieurs dizaines de tonnes se mouvant aussi facilement qu'une moto-cross. Quelques fous furieux chevauchaient la tourelle du tank et commençaient à décharger leurs fusils à pompe sur nous. L'engin était accompagné en deuxième ligne par une trentaine d'individus armés et hurlants.

La panique était totale chez nous. Nous nous courbions le plus possible pour réduire au maximum la cible. Nous passions de monticules en monticules pour être le plus à couvert. Je n'avais jamais ressenti ça, le sifflement d'une balle le long de ma joue, sentir la présence et le souffle du projectile, sentir la matière incandescente passer près de soi et exploser sur le béton. Les éclats de pierre me giflèrent et me coupèrent le visage. Des larmes incontrôlées baignèrent mes pommettes ensanglantées. Je sentis une ruade dans mon dos qui me projeta dans un recoin composé d'une large plaque de métal et d'une compression de béton. C'était notre protecteur arrière qui m'avait mis à couvert. Les poursuivants dévalaient la pente comme la représentation raciste d'une attaque d'indiens dans un vieux western hollywoodien. L’oppression des balles, des cris stridents, des éclats avait considérablement réduit mon champ de vision et d'attention. Je ne perçus plus mes amis, l'espace, le temps. Je sentis une forte humidité chaude entre mes cuisses. J'avais reçu de l'eau chaude sur moi, pourvu que ce ne soit pas une arme chimique. Non, rien de tout ça, je venais de me pisser dessus. Je n'avais rien contrôler. Je devais vivre la plus grande frayeurs de ma vie, mais celle-ci était interminable. Je vis le visage du soldat de queue surgir devant moi. Il me hurla quelque chose, déposant de volumineux postillons voire des trais de bave sur le front. Sûrement un : « Go, go, go, on bouge ! » . Instinctivement je repris ma course vers... Je ne savais pas... Je crois que je me contentais de suivre les pompes de Fab. Au fil du temps, je commençais à ignorer le sifflement des balles et les projections minérales mais appréhendant la piqûre froide de l'acier et de la mort. Quelle sensation cela faisait-il d'être fauché par une balle ?

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