CHAP.07 : La course à l’équipement.

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Vanessa menait bon train devant notre petit groupe. Nous progressions plus vite maintenant. En l’absence d’habitation sur les abords de la route à double sens de circulation, la départementale 110 était moins encombrée. Seules des épaves d’automobiles jonchaient çà et là le macadam. Cette axe desservait principalement des grandes-surfaces, des concessionnaires et des grandes enseignes d’habillements, de bricolage, de meubles, ou d’électroménager. Nous passâmes sous le pont supportant l’autoroute A13 ; une deux fois quatre voies. Autant dire que l’édifice était robuste et donc intact. Une nouvelle fois, nous traversâmes la ligne de chemins de fer par les rails pour aboutir sur la grande zone commerciale. Tous les grands magasins étaient construits de la même manière ; une dalle en béton, une structure en poutres métalliques habillées d’immenses plaques de bardage en acier et des parkings. La vision que nous avions instantanément, c’était un château de cartes effondré. On avait l’impression qu’un croupier géant était en train de mélanger un jeu de cartes avant de distribuer une mène de poker. Certain bardage s’était accroché coute que coute à leur UPN comme un drapeau sur son mât. Notre objectif était le Decathlon©, le magasin le plus susceptible de nous équiper. L’énorme enseigne bleue de la devanture gisait sur son parking concassant quelques véhicules. Nous n’étions pas les seules à avoir eu cette idée. Des petits groupes de trois ou quatre personnes valides arpentaient ces mille-feuilles métalliques. D’autres sur le parking avaient fabriqué des cabanes avec des bouts de bardage et créchaient dessous. Je devançai mes amis et me postai face à ce qui étaient les entrées de l’établissement. A cet endroit la charpente en acier avait été totalement dépouillée de ces plaques de couverture.

— Et bien nous y sommes !

— Ouais, ça à l’air assez accessible par ici, observa Fred.

— Gaffe en marchant sur le bardage, c’est glissant, instable et les bordures déchirées sont extrêmement coupantes, prévint Karl.

Nous entrâmes dans le squelette de métal. Tous les rayons étaient renversés parsemant le sol de milliers de produits. Les trois ou quatre rayons à l’extrémité droite du magasin étaient inaccessibles. Le toit plat était tombé dessus sans être emporté par le souffle. Les gouttières traversées de gaines électriques et d’éclairages halogènes tissaient une toile du sol au plafond dégarni. A peine une dizaine de mètres parcourus dans cette enchevêtrement, la chance nous sourit de suite. Nous étions tombés sur le coin randonnée, certes en désordre profond. Une trentaine de sacs à dos jonchait le rayon couché. Nous ramassâmes une douzaine de sacs en bonne état. Vanessa remarqua le bout d’un emballage de duvet prisonnier du mobilier à terre.

— Eh les gars ! aidez-moi à le soulever, il y a l’air d’y avoir des duvets là-dessous.

Tous les garçons prêtèrent main forte à Vanessa, mais soyons honnête, c’est Karl qui fit le plus gros du travail. Incroyable, une vingtaine de duvets emballés non-déchirés reposait au sol protégée par le meuble relevé.

Soudain une voix grave nous invectiva.

— Ne touchez pas à ça gamins ! C’est à nous.

Derrière nous un homme d’âge mur, dégarni et bourru accompagné d’un homme et d’une femme en retrait, nous menaçait avec un piolet d’escalade surement trouvé dans cette même partie du magasin.

— Laissez ça là et dégagez les mômes ! Je ne voudrais pas vous planter.

— Ola, on se calme monsieur, dis-je d’une voix tremblante, tendant les bras en avant, les paumes ouvertes vers l’individu en signe d’apaisement.

— Qu’est-ce que t’as le vieux ? Tu nous cherches ? Menaça Vanessa.

— Amène ta sale face connard ! je vais l’écrabouiller, cria Karl.

L’homme et Karl esquissèrent un pas en avant l’un vers l’autre. J’intervins une main dirigée vers chaque protagoniste.

— Non, non ! Mauvaise idée Karl… Vaness’ ne le provoque pas !

— Vaness’ non… hoqueta Syvanna.

— Ecoutez votre pote et déguerpissez !

— Monsieur, gardons notre calme je vous prie. Je pense qu’il y a eu beaucoup trop de morts et de blessés pour ne pas en rajouter, pas vrai ?

— Justement mon gars, nous sommes entrés dans un moment où le plus fort survivra… Et tu vois ce truc que je tiens à la main me place à la tête de la chaine alimentaire.

— Ecoutez, soyez raisonnable, il y a au moins cinquante duvets là. Il y en a largement assez pour tout le monde ici présent. Laissez-nous en prendre une douzaine et puis on se casse.

L’individu menaçant prit un instant de réflexion tapotant l’extrémité du piolet sur la pointe de son menton.

— Heuuuuu… Non !

— Je vous en prie ! restons civilisés !

— D’accord, je vous laisse partir sur le champ, et laissez les sacs à dos ici aussi. Et il ne vous arriva rien.

— Putain Mic, arrête de causer, nous avons besoin de ces duvets et puis de fringues aussi. Je vais lui défoncer la gueule, intervint Karl.

Le dégarnis se précipita vers nous l’outil d’escalade brandi au-dessus de sa tête. Fab, du bout du pied, souleva un bâton de marche posé au sol, le saisit de la main droite et le lança à Karl. Il avait maintenant l’avantage de l’allonge. Karl se rua sur l’assaillant et lui planta la pointe du bâton dans le torse. Les yeux exorbités par la surprise, fixèrent Karl et s’éteignirent. L’homme s’effondra sans un cri. Les personnes qui l’accompagnaient, beaucoup moins courageux déguerpirent aussitôt.

— Alors c’est qui le dominant maintenant, hein ? Eructa Karl. Tu fais moins le malin maintenant ! J’t’ai bouffé trou duc’ !

Des larmes glissèrent sur ses joues. Mon ami était au bord de la crise de nerf. Il venait de tuer un homme… Vanessa tapota le dos de Karl.

— Tu as fait ce qu’il fallait Karl. Tu nous as sauvé la vie, hein Mic ?

— Je… Je ne sais pas, bégayai-je en détachant mon regard du corps transpercé.

Fred s’accroupit près du corps et vérifia son pouls et sa respiration. Aucune des deux fonctions.

— Il est mort de chez mort.

Vanessa s’approcha, posa son pied sur l’épaule du défunt en contrepoids et arracha le bâton de randonnée du torse. Une auréole rouge se propagea sous le pull du mort.

— Ça, je crois que ça va m’être utile pour marcher et pour me défendre !

— Vanessa ! Comment peux-tu ?... Cette homme vient juste de… s’alarma Syvanna.

— Crevé ! Dead, mort, trépassé ! vas-y dis le Syv’ ! il l’a bien mérité.

— Moi, j’ai plutôt le mot « tué ».

— Et pourquoi pas « assassiné » pendant que tu es ? C’était de la légitime défense. Tu devrais plutôt réconforter Karl.

— Je vais le faire, mais ce n’est Karl qui m’inquiète. C’est toi ! tu es devenu si froide, c’est effrayant.

— C’est comme ça, il faudra t’y faire.

— Syvanna n’a pas tort, continua Fred. Mais je pense que quand tu seras posée ce soir, tu réaliseras mieux ce qu’il se passe et tu retrouveras un peu de sérénité dans ton esprit.

— Merci docteur Freud.

Vanessa se tourna vers moi, toujours obnubilé par ce corps.

— Bon chef, on se gratte les croûtes ou on s’y remet ?

Je sortis de ma léthargie. Moi aussi, la réaction de Vanessa m’inquiétait mais c’était sa façon mentale de se défendre. Je ne lui en tiendrais pas vigueur.

— Oui… Oui… Continuons. Mettez un duvet par sac à dos. Et maintenant on va essayer de trouver des fringues pas trop abimées.

Karl s’était mué dans le silence. Nos recherches se prolongèrent pendant plus d’une heure au moins. Il n’était pas évident de trouver des vêtements en bonne état car ils n’étaient pas emballés. A la base ils reposaient juste en piles sur des étagères ou enfilés sur des cintres. Au final, nous récupérions quatre pantalons de survêtement et six sweats. Ils étaient tâchés et mouillés mais cela pouvait s’arranger. Nous eûmes la chance de dénicher trois paires de chaussures de marche à peu près aux pointures de Syvanna, Cindy et Tania. Malheureusement, nous dégotâmes que deux parquas pour lutter contre la pluie. Nous en trouverons peut-être ailleurs, un autre jour. Nous sortîmes prudemment du magasin en contrôlant que personne ne nous attendait dehors pour des représailles. Ce n’était pas le cas. Seules quelques familles ou couples se tenaient autours de feux de camp brulants grâce à du bois de palettes pour la plupart et éclairant les tôles des cabanes improvisées.

Le soleil flirtait avec l’horizon. Même si nous nous en doutions fortement, il était à présent clair que nous ne pourrions pas rentrer à l’house club avant la nuit noire.

— Faut qu’on trouve un abri pour la nuit.

— Oui Mic et avant la nuit, nous n’avons pas de lumière, continua Fred.

— Mais quels blaireaux nous sommes ! nous n’avons même pas pris un des briquets pour faire du feu, s’exclama Vanessa.

— Il y avait peut-être des lampes torches dans le magasin ? S’interrogea Fab. Je peux y retourner.

— Non, trop de risques, il va faire trop sombre, dis-je.

— On pourrait demander à un de ces groupes de partager leur camp autours de leur feu, proposa Syvanna.

— Et ils voudront certains de nos duvets en échange, contesta Vanessa. En plus l’annonce de l’acte de Karl n’a pas dû se faire attendre. Ces gens étaient peut-être de son entourage et seraient peut-être en train à nous planter pendant notre sommeil.

C’était dur à entendre, mais elle n’avait pas tort.

— Je pense qu’il faut qu’on s’éloigne de cette zone pour ne prendre aucun risque de vengeance quelconque.

Nous nous éloignâmes et marchâmes environ un kilomètre vers le nord de la zone commerciale. Karl pointa du doigt sur notre droite un petit camion frigorifique couché sur le flan. La remorque blanche n’était ni déformée, ni trouée. Nous approchâmes du fourgon relativement intact. Karl saisit les poignées des portes de la remorque et tira fort sur le système d’ouverture. Après un effort exténuant, les poignées d’accès cédèrent. La porte la plus proche du sol pivota sur ses charnières et claqua à terre par pesanteur. Karl repoussa l’autre porte et la fit tourner jusqu’à ce qu’elle reposa sur le flan libre de la remorque. Aucune marchandise, le camion était vide et idéal pour y loger. De plus, la bonne fortune nous souriait à nouveau ce soir, des lampes s’était allumer automatiquement dans la cabine à l’ouverture. Le circuit de ses ampoules était encore branché à la batterie du véhicule malgré le renversement de celui-ci. L’éclairage doux durerait un petit moment. Après tout, cela ne faisait que trois jours que cette batterie n’avait pas fonctionnée. Nous nous abritâmes tous et l’espace était suffisant pour nous six. Nous n’avions plus d’eau et pas pris à manger. L’activité de cette soirée était donc très réduite, à part se regarder dans le blanc des yeux. La nuit était tombée, la lune encore bien pleine éclairait un peu l’environnement autour du camion. Fred et Fab était sortis se détendre les jambes.

Je brisai le silence pesant.

— Et si on essayait les duvets ?

— Oui pourquoi pas, encouragea Syvanna. Je vais aussi étendre les fringues qu’on a choppé pour les faire sécher. J’ai hâte de virer ma jupe pour un pantalon de survêt’.

— Tu devrais essayer une des paires de chaussures aussi.

Vanessa en débardeur avait attrapé un des sweats, tâté pour contrôler son humidité, jugé que c’était assez sec et enfilé. Elle remonta la capuche sur la tête et s’allongea sur un duvet qu’elle avait déroulé au préalable.

— Mic, vient voir, m’interpella Fab assis sur la remorque.

Je m’extirpai de la cabine et rejoignis mes deux potes contemplant le ciel étoilé.

— Qu’est qu’il y a ?

— Regarde ! demanda Fab en pointant du doigt le ciel.

Un point jaune très éclairé, à forte altitude traversait à vive allure la voie lactée.

— Un satellite ? Proposai-je.

— Non, tu rigoles ! tu as vu à la vitesse qu’il va, se moqua Fab.

— Une étoile filante ?

— Non, ce n’est pas un astre naturel et il n’y a pas ce long panache caractéristique derrière, informa Fab.

— Un avion, alors ?

— Vu l’altitude, ça parait aller trop vite pour un avion, dit Fred.

— Un chasseur de l’armée ?

— Peut-être, mais pourquoi il serait seul ? Normalement, il vole en escadrille.

— Oui, minimum deux.

— C’est peut-être le seul rescapé, concluais-je.

Karl intervint subitement dans notre conversation.

— Ou une soucoupe volante ? Un OVNI ?

Nous nous regardâmes circonspects sur le camion. J’étais prêt à éclater de rire sur le coup, mais voyant la mine réfléchit de mes amis, je ravalai ma moquerie.

— Ça a l’air con comme proposition au premiers abords, mais vu les circonstances exceptionnelles de ces derniers jours, pourquoi pas, dit Fred.

— Tu n’es pas vraiment sérieux quand tu dis ça ?

— Et se prendre la fin du monde sur la gueule, ce n’était pas sérieux ça, Mic ? adjura Karl.

— Oui, c’était hors norme. Ce qui a provoqué cette catastrophe était hors de notre compréhension. Alors oui, pourquoi pas, repris Fab.

Après un sourire sarcastique, je m’éjectai de mon assise sur la remorque pour retrouver la terre ferme.

— Vous débloquez les gars ! Je pense qu’on a tous besoin de se reposer et de dormir.

— Ok, comment on organise les gardes ? demanda Fred.

— Bah comme je crois que tu n’as pas fini d’étudier les extra-terrestres qui survole notre espace aérien, je te propose de prendre la première.

Je lui lançai la montre de Moïse.

— Très drôle !

— Dans deux heures Karl, puis moi pour finir. Je pense que six heures de repos seront suffisants. Nous pourrons rentrer plus tôt au club house.

Fred était resté à son poste de garde sur la remorque surplombant le secteur commercial. Vanessa s’était déjà assoupi sur son duvet. A côté d’elle, Syvanna s’était quant à elle enveloppée entièrement dans le duvet. Seule sa magnifique chevelure tressée … (Fallait que j’arrête d’être constamment baba face à elle) … dépassait. Je me faufilai insidieusement entre Syvanna et Fab avec quelques poussettes des fesses et m’installait dans mon sac de couchage. Karl resta assis un long moment au bord de la remorque. Avant de sombrer dans le sommeil, je perçus des sanglots étouffés de mon ami. Avoir ôté la vie l’avait plus bouleversé plus qu’il ne laissait paraitre.

En tout cas, quelqu’un, quelque chose nous avait survolé. La situation allait peut-être s’améliorer en fin de compte. Des extraterrestres ? Quels cons ! et puis quoi encore…

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