CHAP.08 : Une matinée d’enfer

10 minutes de lecture

Chapitre 08 : Une matinée d’enfer

Je terminais mon tour de garde assis en tailleur sur le flan libre du camion devant le magnifique spectacle de l’aube. Un phénomène troublant perturbait mon équilibre, c’était ce silence vertigineux. Sans s’en rendre compte, notre corps s’était soumis aux sons de notre société moderne. Notre cerveau s’était accoutumé aux bruits de moteur, de train, de téléphone, de télévision, de machine à laver, du grésillement imperceptible des lignes électriques, du réfrigérateur, de la climatisation, de l’ordinateur. Cette sérénité sourde affectait mon oreille interne. Et soudain le croassement d’un corbeau à une dizaine de mètres, l’aboiement d’un chien à cent mètres devenaient le centre de mon attention. J’entendais même le coassement de crapauds habitant un étang à plus d’un demi kilomètre de ma position. Je prenais conscience de la présence et du foisonnement de notre faune. Je reportai mon attention sur la montre. Six heures, c’était l’heure que j’avais fixé pour le réveil de l’équipe. C’était une nuit courte en sommeil, mais j’étais pressé et soucieux de retrouver nos camarades au club de tennis. Je descendis de la remorque et fus surpris de tomber sur Karl assis au bord contemplant le lever du soleil. Je ne l’avais pas entendu. Depuis combien de temps était-il debout ? Avais-t-il au moins dormi après sa garde ? La scène tragique d’hier devait tourner dans sa tête continuellement. J’espérais que le temps agirait vite sur ce traumatisme.

— Salut Karl, ça va ?

Surpris, Karl se tourna brusquement vers moi. Il ne m’avait pas entendu reprendre mes appuis sur la terre ferme.

— Pas plus mal qu’hier…

Toute la troupe se réveillait doucement, roulait et empaquetait leur duvet. Syvanna vérifia les vêtements étalés sur la remorque. Ils étaient bien sec. Certes ils étaient tâchés d’auréoles marron mais elle s’en moquait. Et là devant mes yeux ébahis, sans pudeur, la belle Syvanna dégrafa sa jupe découvrant une culotte bleue à pois jaune. Je sentis instantanément la température grimpée dans mon cerveau. Mon visage devait s’empourprer. Elle enfila un des pantalons de survêtement. Même dans ce vêtement crasseux et un peu trop large, elle gardait toute sa grâce (il fallait vraiment que je décroche de ma niaiserie). Syvanna s’assit pour mettre les chaussures de marche récupéré hier et me regarda d’un air inquiet.

— Ça ne va pas Micaël ? Tu ne te sens pas bien ?

— Euh non… Tout va parfaitement bien, marmottai-je en me grattant la tête.

La traversée de la ville d’est en ouest pour rejoindre l’île aux Dames d’une distance de six kilomètres environ nous pris la moitié de la matinée. J’avais l’estomac qui criait famine et la langue sèche. Arrivé sur le pont enjambant la seine, nous fîmes une halte au camion pourvoyeur de nourriture. La remorque était quasiment vide. Fred et Fab avait dû aller tout au fond pour récupérer une dizaine de boites de conserve de plats cuisinés. Demain les stocks seraient secs. Nous ne pourrions plus compter dessus pour nous réapprovisionner.

Dans l’allée du club, je n’aperçus personne sur la terrasse. Soudain, un cri de douleur déchira l’atmosphère pesante.

Inquiets, nous nous regardâmes surpris et précipitâmes au club house. Nous débarquâmes sur une scène d’effroi. Chris geignant gisait dans une mare de sang avec Moïse à ses côtés, compressant une plaie avec ses mains. Cindy et Edouard étaient prostrés derrière le bar l’un contre l’autre. Edouard avait le visage tuméfié. Tania se tenait debout amorphe à proximité de Moïse. Romain apportait des torchons à Moïse.

— Fais-le Romain, moi j’ai les mains prises. Sert le, autours de son bras !

Nos camarades en pleine crise n’avaient pas remarqué notre retour.

— Putain, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Criai-je.

Moïse tourna son visage en sueur vers moi.

— Des mecs nous ont attaqué quand on est allé au camion ce matin !

— Mais pourquoi ?

— Ils ne voulaient pas partager, balbutia Romain.

— C’est pas possible ! en trois jours, tous les hommes sont-ils devenus des animaux ? S’indigna Syvanna en prenant sa sœur dans ses bras.

Nous entourâmes Chris, Fab s’accroupit à son chevet. Il portait trois estafilades aux avant-bras et une entaille profonde à l’épaule droite.

— Je voulais juste… Partager à manger… Pleura Chris.

— Un des mecs avait un couteau et s’est jeté sur lui. Il s’est protégé avec ses bras d’où les coupures, mais l’enfoiré a réussi à pénétrer sa garde et à le planter dans l’épaule, raconta Moïse.

— Et ils sont repartis aussitôt après avoir collé une mandale à Edouard, continua Romain.

— Je ne voulais pas qu’ils touchent à Cindy, baragouina l’intéressé.

— C’est surtout cette plaie à l’épaule qui m’inquiète, ça à l’air profond, observa Fab.

— Et tout ce sang ! m’inquiétai-je.

— Oui c’est beaucoup, mais je ne pense pas qu’il ait d’hémorragie, dit Moïse.

— Et qu’est-ce qu’on fait ? Demandai-je.

— La seule solution est de refermer pour stopper l’écoulement de sang, renseigna Vanessa. Le mieux se serait de le recoudre.

Son père étant chirurgien, Vanessa connaissait certains trucs en médecine, à moins d’avoir été fan comme moi de la série Urgences.

— J’aime pas les aiguilles, désespéra Chris en pleurs.

— C’est surtout qu’on n’a rien pour faire ça !

Vanessa se dirigea vers le petit débarra derrière le bar, je l’accompagnais paniquer.

— Qu’est-ce que tu cherches ?… Je peux t’aider ?

— Ferme-là et calme toi !

La jeune fougueuse tira une lourde caisse à outil ranger au sol sous une étagère. Elle ouvrit et fouilla bruyamment les outils qu’elle contenait.

— Yes ! triompha Vanessa en brandissant comme une coupe, une minuscule pipette fermée.

— Qu’est-ce que c’est ?

— De la Loctite mon vieux !

— Mais encore ?

— De la colle extrêmement forte à séchage instantané. Bouge-toi de là, tu me fais perdre du temps.

Vanessa se pressa au près du blessé et déboucha le petit flacon.

— Tu ne vas tout de même pas coller sa plaie ? M’exaspérai-je.

— C’est exactement ce que je vais faire ! Moïse retire ce linge.

Mon ami s’exécuta aussitôt. Vanessa déchira la manche de la chemise de Chris pour dégager son épaule, s’empara d’une bouteille d’eau et arrosa le membre, arracha le bout du flacon avec ses dents, apposa son pouce et son index de part et d’autre de la fente et rapprocha les chairs. Chis grimaça de douleur. Elle appliqua un épais cordon de colle sur la blessure et maintint le pincement pendant plus d’une minute. Chris s’était évanoui. L’apprenti chirurgienne relâcha la pression. La loctite séchée fit son office et garda la plaie fermée. Le saignement avait cessé.

— Incroyable ! exultai-je impressionné.

— Merde Vanessa, t’es une meuf qui déchire ! complimenta Fred les bras dressés vers elle pour une accolade amicale.

— Les flatteries familières, c’est pas pour moi mon petit Fred, repoussa la jeune fille revêche.

Fred se retrouva les bras ballants. Décidément cette fille n’était pas facile, fermée à toute compassion, mais extrêmement débrouillarde.

— Fred, Fab, déplacez-le et allongez-le sur le matelas.

Vanessa déballa un duvet et en couvrit le blessé.

— Il faut le réchauffer, prescrit Vanessa. Sa température corporelle a dû baisser.

Chris se réveilla et émergea lentement. Vanessa nettoya les coupures sur les avants bras et y appliqua de fins cordons de loctite.

— C’est pas toxique ton truc ? S’inquiéta le malheureux.

— Non à part si tu en manges.

— Je vais garder cette colle toute ma vie ?

— Mais non, débile ! ta peau en se reconstituant finira par rejeter les croutes de colle.

Je posai délicatement ma main sur son épaule pour ne pas la faire sursauter.

— Merci pour tout Vanessa. Sans toi nous serions désemparés.

— De rien Mic, je ne laisserais personne de notre groupe crevé tant que je serais en vie.

Le sang de Chris tachait le centre de notre pièce à vivre et commençait à sécher. Je réunis Fred, Fab, Moïse, Karl, Romain, Vanessa et Syvanna sur la terrasse autour du feu. Je laissais Edouard, Cindy, Tania et bien sûr Chris se reposer.

— Bon, faisons un point sur la situation. Nous avons ramené un sac à dos et un duvet pour chacun d’entre nous, des pantalons pour les filles en robe et pour toi Fred, des sweats, des provisions et… Un bâton de marcheur.

— Fort utile, s’esclaffa Vanessa.

— Mouais… Karl, est ce que tu veux parler de ce qui s’est passé hier ?

— Pas trop non. Pour être bref, j’ai tué un mec en légitime défense.

— Quoi ? Dit Romain horrifié en couvrant sa bouche de ses mains.

— Il fallait qu’on se défende, protégea Vanessa. C’était lui ou nous.

Un bref silence parcourut le groupe. Ayant entendus l’exclamation de Romain, Tania et Edouard se joignirent à nous.

— Tu as très bien réagi Karl, confirma Edouard. Nous aurions bien eu besoin de toi ce matin.

— Oui, tu as tout notre soutien, conforta Tania.

— Ok, la suite, la visite des maisons s’est soldée par un échec.

— Regarde Tania, Mic a retrouvé l’alliance de maman.

— En fait c’est Karl qui est tombé dessus.

— Ça veut dire qu’elle est morte ! Maman ne quittait jamais sa bague.

— Justement, Karl l’aurait retrouvé sur un doigt si c’était le cas.

A la fin de sa phrase, Syvanna tilta. Un doute venait de s’insinuer dans son esprit. Elle me fusilla du regard.

— T’es sûr que tu ne m’as rien caché Micaël ?

Karl fixa ses chaussures.

— Non Syvanna, je ne n’aurais jamais pu mentir sur un sujet comme ça. Comme je te l’ai dit, c’est l’éclat au soleil qui a apporté l’attention de Karl.

— C’est bien ça Karl ?

— Oui, oui, tout comme il a dit… Tout pareil.

— Répète-moi ça en me regardant dans les yeux.

— …

Karl redressa la tête. Ces pupilles échappaient au regard soutenu de Syvanna.

— C’est pas vrai ! Tu nous as menti !!

Je ne vis pas partir sa main. Elle me gifla avec une force furieuse. Je faillis partir à la renverse.

— Comment as-tu pu oser ? Tu as vu le corps de ma mère. Tu ne m’as pas laissé la chance de me recueillir, de lui dire au revoir, de l’enterrer, putain !

— Elle était complètement ensevelie sous les gravats. Seule la main dépassait…

— Ta gueule, Karl !! C’est pas fait pour me réconforter !

— Nous te faisions confiance, sanglota Tania.

— Oui, je t’avais donné toute ma confiance. C’est fini, ne me parle plus jamais. Nous ne te suivons plus.

— Syvanna… s’il te plait, suppliai-je.

— Et puis pourquoi ce serait un mec notre chef ? A partir de maintenant c’est Vanessa. Elle est franche, vaillante et beaucoup plus compétente que tous les hommes ici.

— Tu pourrais me demander mon avis Syv ?

— Ecoutez, on va faire une pause, conseilla Fred. Tu es beaucoup trop énervée pour tenir des propos cohérents.

— Va te faire voir Micaël bis !

Main dans la main, les deux sœurs retournèrent à l’intérieur. La gifle m’avait engourdi le cerveau, ses mots m’avaient transpercé le cœur. J’étais vidé. J’eu le besoin de m’assoir.

— Tu es vraiment un très mauvais menteur Karl, se moqua Vanessa.

Karl ne répondit pas, descendit les marches de la terrasse et s’isola sur le premier terrain en terre battue face au bar.

— Bah quoi ? C’est vrai, non ?

— N’en rajoute pas Vanessa, dit Edouard avant de s’éclipser aussi, retrouver Cindy.

Sans un mot, Romain fit de même.

— Ok, j’en déduis que la réunion est terminée. C’était super Mic. Je vais voir mon petit Chris, vérifier qu’il n’y a pas d’infection. Tchao les minables.

Mon univers s'écroulait une seconde fois en l'espace de trois jours . J’étais anéanti, je pensais bien faire, mais avec du recul, ce que j’avais fait était terrible. Je ne m’étais pas mis à la place de Syvanna. Si je l’avais fait, j’aurais exigé de voir le corps de ma mère. Quelle imbécile ! Moi qui avais su tisser une relation de loyauté solide. Plus rien. Plus que du dépit. Mes meilleurs amis et moi, nous restâmes un long moment assis autour du feu.

Soudain, Syvanna surgit sur la terrasse, suivie de sa sœur, Vanessa, Edouard et Cindy.

— Vanessa, à toi de parler, ordonna Syvanna.

— Ecoute Syv’, si tu veux être la leadeur, fait le.

— Non, nous avons décidé que ce serait toi.

— A ta propre unanimité.

Je me relevai et me dressai devant Syvanna.

— Tu ne peux pas forcer quelqu’un à être chef, délégué ou élu. C’est d’abord une décision personnelle puis une approbation de tout le groupe.

Son regard m’assassina sur place et m’intima le silence derechef. Je me retournai comme pour me protéger d’une criblée de balles.

— Ok, en concertation avec Syv, nous avons décidé de mener une expédition avec elle, Tania, Cindy et Edouard.

— Non mais c’est impossible ! vous n’êtes pas en capacité de… s’écria Fred.

— Quoi ? C’est parce qu’on est quatre faibles filles ? C’est ça, s’énerva Syvanna.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mais Cindy est encore traumatisée, Edouard est encore affaibli par la bagarre de ce matin et Tania semble amoindri émotionnellement.

— On ne les force pas à venir, ils sont volontaires, confirma Vanessa. Et ils sont directement impliqués. Nous avons retracé le circuit des habitations à visiter.

— Et vous pensez avoir le temps d’explorer deux maisons aujourd’hui avant le coucher du soleil, demanda inquiet Fab.

— Pas deux, mais trois. Nous retournons chez nous, enterrer notre mère.

J’étais désappointé, remuait ma tête enfoui dans mes mains.

— C’est trop dangereux, marmonnai-je.

— On ne te demande pas ton avis Micaël. On y va, et maintenant.

— Laissez-moi venir avec vous, implora Karl.

— Dans tes rêves, coupa Syvanna.

— Ça n’aurait pas été de refus, marmonna Edouard.

— Ouaipe, confirma Vanessa. Ce mec est con, mais il est solide.

— Avec toi, on est capable de s’en sortir.

— Je ne suis pas Wonder Woman… Plutôt Harley Quinn.

Je n’arriverais pas à la résonner pour le moment. Je me retournai à nouveau vers le nouveau groupe d’expédition.

— Au moins, ne fait pas comme nous, préparez-vous bien. Prenez chacun un sac à dos, un duvet, un briquet, une ou deux conserves et surtout des bouteilles d’eau.

— Merci du conseil Mic, mais nous étions parfaitement conscientes de ça.

— D’accord, mais même si ce que j’ai fait est terrible et que tu ne me pardonneras pas de sitôt, sache que je tiens beaucoup à toi et que je suis très inquiet. Alors faites attention à vous et revenez-nous entier.

Elle ne me répondit pas. Le petit groupe s’équipa et quitta notre camp de base. Les voyant disparaitre au loin, une peur bleue s’imprégna dans mes viscères me tordant en deux. Moïse et Fred vinrent me soutenir et me donner une accolade avant de s'en retourner à l’intérieur du bar. Ma peine et mon angoisse étaient devenues douleur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Mikl Bd ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0