Chapitre 1 : Tristesse et souffrance

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Liaňna Eķildånn ! Les dieux t’ont damnée et funeste sera ton destin ! Tristesse et souffrance seront tes compagnons de route jusqu’à la fin de tes jours !

La voix rauque qui vociférait cette malédiction était accompagnée d’images cauchemardesques, rendant l’atmosphère encore plus pesante.

Les tiens mourront autour de toi et les flammes engloutiront ce qui est cher à tes yeux !

Cette fois, la voix tonnait tel un millier de tonnerres éclatant en même temps.

Liaňna s’éveilla en sursaut. Encore une fois, ce maudit rêve était venu la hanter.

S’étirant dans son lit de feuilles et de mousse automnale, elle sentit les premiers rayons du soleil lui caresser le visage et cela la rassura légèrement. Elle se leva, s’enveloppa dans sa cape en laine d’arliărk et se dirigea vers le ruisseau auprès duquel son groupe avait monté le camp deux jours plus tôt.

Les forces du Créateur et créatures de toutes sortes se faisant de plus en plus nombreuses dans la région, le chef de la tribu, craignant une invasion prochaine, les avait envoyés établir un poste de reconnaissance pour surveiller les alentours. Une fois arrivée au ruisseau, elle se dévêtit et plongea dans l’eau aussi claire que du cristal.

Le contact revigorant de l’eau fraîche sur son corps nu dissipa les derniers vestiges du cauchemar qui l’avait tirée de son sommeil et acheva de la réveiller totalement. Sortant la tête de l’eau, elle entendit la voix d’un de ses camarades qui l’appelait :

— Ho, la rouquine, bouge-toi ! s’exclama Erdån.

— J’arrive, Erd ! répondit la jeune femme avec un grand sourire espiègle.

Elle sortit de l’eau, se sécha rapidement, enfila prestement sa tenue de cuir, ajusta sa cape qu’elle venait de ramasser et se dirigea vers son lit où se trouvait le reste de ses affaires.

Son équipement était composé d’un arc long en bois d’irgån accompagné d’une vingtaine de flèches, d’une épée finement ouvragée à lame légèrement courbée en acier nørklif, de deux grands coutelas acérés et d’une dizaine de couteaux de lancer. Ce véritable arsenal n’était que l’attirail élémentaire des Altyriåns, les unités de reconnaissance d’élite du clan des Harchķaegs.

Rangeant son épée dans le fourreau qui se trouvait dans son dos ainsi que ses deux coutelas dans leurs étuis respectifs battant ses flancs, Liaňna s’empara de son arc et rejoignit les autres membres de son groupe qui se hâtaient dans le campement. Le capitaine du groupe était un homme de taille et de carrure moyennes qui avait déjà vécu de nombreux hivers. Ses cheveux courts tiraient désormais vers le gris et sa barbe bien fournie, de couleur identique à celle de ses cheveux, était parée de perles runiques. Son visage, creusé par les années, était traversé par une large cicatrice qui lui barrait l’œil gauche. Néanmoins, la perte de l'un de ses yeux n’avait rien changé à l’intensité de son regard, bien au contraire ; celui qui lui restait était constamment aux aguets et semblait transpercer l’âme de ceux sur lesquels il se posait.

Peut-être était-ce lié à la couleur rouge sang de sa pupille.

Ayant rassemblé ses hommes, il s’apprêtait à s’adresser à eux quand son regard fut attiré par une imposante colonne de fumée noire qui s’élevait à l’horizon. Elle venait de l’ouest, là où se trouvait leur village. Il n’eut même pas besoin de parler pour que ses soldats comprennent la situation : leur bourg était attaqué et ils devaient y retourner au plus vite afin de le défendre.

Les Altyriåns enfourchèrent comme un seul homme leurs montures et suivirent leur capitaine qui ouvrait la marche. Il leur fallut une trentaine de minutes pour arriver au hameau et ils furent accueillis par un spectacle macabre. Le sol était couvert de sang ainsi que de corps et les flammes dévoraient les bâtiments en bois. Au loin, on entendait les clameurs d’un combat qui faisait rage et les lames qui s’entrechoquaient.

Le groupe n’eut cependant pas le temps de s’attarder plus longtemps car une pluie de flèches s’abattit sur eux. L’homme qui se trouvait à la droite de Liaňna s’effondra lourdement au sol, deux flèches fichées dans son torse. Un autre Altyriån reçut une flèche dans la cuisse et la monture du capitaine fut tuée d’une flèche dans le cou.

Tombant au sol, le capitaine se releva et courut se mettre à couvert. Les survivants de son groupe, descendus de leurs chevaux, le rejoignirent rapidement.

Liaňna, qui avait aperçu un ennemi se diriger vers eux, encocha une flèche en une fraction de seconde et la décocha en direction de sa cible. Elle sut que son tir avait fait mouche quand elle entendit un râle guttural provenir de l’homme qui s’effondra au sol. La flèche lui avait transpercé la gorge et il s’étouffait désormais avec son sang.

— Erdån, Galør et Vrăklon, vous prenez le flanc droit ! Druķi, tu restes là avec Kleyă ainsi que Kildan et tu soignes ta blessure ! Liaňna, Zagđan, Dryg et Vålya, vous venez avec moi ; on va se charger du flanc gauche ! vociféra le capitaine.

— Tâche de pas mourir Erd, tu me dois encore une tournée ! lança Liaňna à son ami.

— Toi aussi fais attention ! lui répondit le jeune Altyriån.

S’assurant que ses deux compagnons le suivaient, il sortit de sa cachette et se précipita vers l’abri le plus proche. Remarquant un homme armé d’une lourde hache qui chargeait dans leur direction, il dégaina son épée et attendit l’ennemi.

Au moment où ce dernier allait lui asséner un grand coup circulaire avec son arme, Erdån plongea sur le côté, esquivant la hache, et enfonça sa lame dans le ventre de l’homme, le tuant sur le coup. Vrăklon, quant à lui, avait repéré un groupe de soldats à une vingtaine de mètres de leur position. Il décocha une première flèche qui vint se ficher dans la poitrine d’un des hommes. Il tira rapidement un deuxième trait en direction d’un nouvel ennemi et celui-ci atteignit cette fois sa cible en pleine tête. Pendant qu’il encochait une troisième flèche, Galør s’était également mis à leur tirer dessus, tuant un troisième soldat. Erdån, qui avait rangé son épée, lança un couteau en direction du dernier survivant. Il fut instantanément tué par le couteau qui s’était fiché entre ses deux yeux.

Pendant ce temps, le groupe du capitaine avançait silencieusement en utilisant la fumée des flammes pour masquer sa présence. Les cinq Altyriåns arrivèrent au centre du village, là où faisaient rage les combats quelques instants auparavant. Le tumulte des combats s’était transformé en cris stridents de douleur et en sanglots déchirants. Des centaines de cadavres jonchaient le sol et la terre était couverte de flaques de sang ; des femmes hurlaient à la mort devant le corps sans vie de leurs progénitures et de leurs époux pendant que des enfants pleuraient devant les dépouilles de leurs parents. Voilà le sinistre panorama qui s’offrait à la vue du groupe du capitaine.

Dévastés par tant de haine et de violence, les compagnons d’armes sentaient leurs larmes s’étrangler dans leur gorge. Ils eurent besoin de quelques instants pour reprendre leurs esprits et comprendre ce qu’il venait de se passer. Leur répit fut néanmoins de courte durée car une horde d’ennemis embusqués les chargea violemment. Les Altyriåns sortirent leurs épées et se préparèrent au choc ; ils taillèrent en pièce les premiers hommes de la horde qui était maintenant arrivée à leur hauteur.

Les lames des haches et des épées s’entrechoquaient dans un vacarme assourdissant et les boucliers brisés volaient en éclat. Débordé sur sa gauche, Dryg fut tué d’un coup d’estoc qui avait trouvé une ouverture dans sa défense ; Zagđan, quant à lui, parvint à repousser ses assaillants mais fut abattu d’une flèche dans la nuque. Le capitaine, Liaňna et Vålya désormais seuls, leurs chances de survie semblaient particulièrement minces. Toutefois, Erdån et ses deux compagnons arrivèrent juste-à-temps et, prenant leurs ennemis à revers, les massacrèrent sans pitié. Une fois les soldats de la tribu adverse morts, les trois hommes s’enquirent de l’état du capitaine et des deux jeunes femmes. Vålya, elle, était blessée à l’épaule et le capitaine avait une profonde entaille le long de son flanc droit. Liaňna, pour sa part, se portait bien.

Ne sachant que trop bien qu’ils ne pouvaient pas s’éterniser à découvert sur le champ de bataille, les six Altyriåns tirèrent sur le côté les dépouilles de leurs compagnons tombés au combat et avisèrent à la situation. Deux d’entre eux étaient sérieusement blessés et ne pouvaient plus se battre. Le capitaine convint qu’il valait mieux que Vrăklon et Galør les escortent lui et Vålya auprès de leurs compagnons restés en arrière et que Liaňna et Erdån restent ensemble pour éliminer les derniers ennemis. Une fois les ordres donnés, les deux groupes se séparèrent.

Liaňna et son ami, conformément à leurs ordres, progressèrent dans le hameau à la recherche d’ennemis survivants. Soudain, la jeune femme s’effondra au sol ; à ses pieds gisaient les corps sans vie de sa mère et de son père. Elle ne put retenir ses larmes et Erdån s’agenouilla à ses côtés, la prenant dans ses bras pour la réconforter. Le monde de la jeune Altyriån venait de s’écrouler en un instant et la compassion que lui témoignait son ami était la bienvenue.

Pendant plusieurs minutes, ils restèrent assis par terre, sans échanger un seul mot. Néanmoins, ils devaient avancer ; les lieux n’étaient toujours pas sécurisés et ils avaient des ordres à suivre. Le jeune homme se redressa et aida son amie à se relever.

— Je suis désolé Liaňna, je sais à quel point tu aimais tes parents. Ils avaient le cœur sur la main et ils ont toujours été gentils avec moi. Ils n’auraient pas dû périr mais on ne peut pas changer les choses ; tu dois te ressaisir ! Nos compagnons comptent sur nous pour mener à bien notre mission et tes parents n’auraient pas voulu que tu te lamentes sur leur mort. Ils auraient voulu que tu ailles de l’avant.

Reniflant et séchant ses yeux ainsi que ses joues encore ruisselantes de larmes, la jeune femme regarda son ami.

— Merci, Erd, pour tes gentils mots. Et tu as raison, il faut qu’on bouge d’ici au plus vite ; on doit encore terminer notre travail.

Reprenant ses esprits, elle avança dans les rues du village aux côtés de son compagnon, ses yeux désormais emplis de rage. Sur leur route, ils ne croisèrent que quelques ennemis dont ils vinrent facilement à bout. Une fois certains que l'endroit était sûr, ils retournèrent à l’entrée du bourg, là où se remettaient le capitaine et le reste de leurs compagnons. Toutefois, ils ne s’attendaient certainement pas à ce qu’ils virent en arrivant.

Le capitaine était allongé sur le ventre, face contre terre, baignant dans une large flaque de sang. Une lance était fichée dans ses côtes et le traversait de part en part. Galør et Vrăklon étaient cloués au mur par de nombreuses flèches et Druķi avait la gorge tranchée. Kleyă et Kildan, quant à eux, gisaient sur le dos, une épée plantée dans leurs entrailles. Enfin, la tête de Vålya se trouvait à quelques mètres du reste de son corps, visiblement détachée du tronc par un violent coup de hache.

Erdån et Liaňna se regardèrent avec effroi ; ils étaient les seuls de leur groupe encore en vie et ils étaient visiblement menacés par un prédateur particulièrement redoutable.

Tout à coup, Liaňna perçut du mouvement sur sa droite. Elle encocha une flèche et banda son arc pendant que son ami sortait son épée et se mettait en posture défensive. La jeune femme, l'arc tendu, repéra un ennemi dans les bois qui cernaient l’entrée du village et décocha sa flèche. Cette dernière vint se ficher dans l’œil de sa cible qui s’écroula au sol. Erdån, qui tâchait de sonder les alentours comme il l’avait appris durant son entraînement, réalisa que cinq hommes lourdement armés étaient sortis de leur cachette et s’approchaient de lui. Il tua le premier d’un lancer de couteau en pleine gorge et un deuxième fut fauché par une flèche provenant de l’arc de Liaňna.

Les trois survivants se ruèrent sur les deux compagnons et les coups se mirent à pleuvoir. Armés d’une grande hache de bataille, d’une épée longue et d’une lance, les trois soldats harcelaient la jeune fille et son ami, tentant désespérément de venir à bout de leur défense. L’homme à la hache projeta son arme vers les côtes d’Erdån. Celui-ci parvint à parer le coup et répliqua aussitôt par un coup d’estoc qui atteignit sa cible en plein ventre ; l’homme s’effondra aux pieds des deux amis.

Le soldat à l’épée longue enchaînant sans répit les coups les uns après les autres, Liaňna n’avait pas le temps de riposter et elle était en mauvaise posture. Erdån, faisant désormais face au soldat armé d’une lance, tentait par tous les moyens de se rapprocher de son ennemi afin de prendre l’avantage dans le combat. Au moment où il parvint à réduire la distance le séparant de son adversaire, il asséna un grand coup d’épée dans le flanc gauche de ce dernier. Toutefois, il ne s’attendait pas à ce que l’homme, malgré la violence du coup qu’il venait de recevoir, attrape son bras avec une force surhumaine et plonge dans son ventre sa longue lance acérée. Crachant du sang, Erdån tomba au sol et lâcha son épée.

Liaňna, voyant son ami s’effondrer, entra dans une telle fureur qu’elle parvint à briser l’enchaînement des coups de son adversaire et le décapita d’un coup d’épée. Elle plongea ensuite sur le soldat à la lance et multiplia les assauts contre lui. Malgré les coups qu’il prenait, celui-ci tenait bon. Il ne semblait pas ressentir la douleur et ses yeux brillaient de mille flammes. C’est à ce moment-là que la jeune femme comprit ; son ennemi était un Berserk. Insensibles à la douleur, ces hommes couvraient les champs de bataille de cadavres. Le seul moyen de les stopper était de transpercer leur cœur ou de séparer leur tête de leur corps.

Virevoltant avec sa lame tout en tailladant le Berserk, Liaňna cherchait désespérément une ouverture lui permettant de mettre un terme au combat. Au moment où cette ouverture se présenta, elle n’hésita pas une seule seconde et plongea sur l’ennemi, enfonçant sa lame dans le cœur du soldat à la lance. Elle regarda la vie quitter ses yeux et courut ensuite vers son ami gisant au sol.

— Erd, tiens bon ! T’as pas le droit de mourir, t’as pas le droit de me laisser toute seule ! J’ai plus que toi maintenant…

Elle tenait son ami dans ses bras et tentait de le soigner au mieux. Elle ne pouvait pas retirer la lance sinon il allait se vider de son sang. Erdån la regarda tristement, tendit un bras vers elle et passa sa main dans la longue chevelure rousse de sa compagne d’armes.

— Désolé… j’crois pas que… … j’pourrais t’payer… … la tournée que j’te dois, parvint-il à murmurer péniblement.

— Ne dis rien, Erd, faut que tu gardes tes forces !

— J’ai toujours aimé…

Avant qu’il ait pu finir sa phrase, il rendit son dernier soupir. Liaňna sentit son ami s’éteindre dans ses bras et les larmes qu’elle avait retenues jusqu’à maintenant coulèrent sans s’arrêter. Pendant plusieurs heures, elle resta assise par terre à pleurer en caressant le visage de son ami défunt.

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