Partie 1 : Entre Lumière et Ténèbres

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Une silhouette encapuchonnée sortit des brumes de la forêt. Vêtue d'un long manteau noir, Démétria s'arrêta quelques instants pour étudier le paysage. Des nuages sombres recouvraient toute la région et elle pouvait sentir l'odeur âcre de la mort. Une terre grise et désolée s'étendait dans son champ de vision. A l'ouest, des formes ressemblant à des habitations attirèrent son attention.

Elle prit sa masse à deux mains et la dirigea vers le village. Une faible lueur blanche vint illuminer le bout de l'arme. Cette région qui autrefois s'appelait les Champs Éternels, n'était plus que des terres ingrates où de petites communautés agricoles luttaient pour leur survie.

Plusieurs années auparavant, un culte avait réussi à ouvrir la Porte Noire et à éliminer ses gardiens, laissant déferler des créatures venues tout droit des abysses sur la contrée. Grâce à l'aide d'un groupe de guerriers d'élite, les cultistes furent tués et ils empêchèrent le pire d'arriver. Mais le mal avait été fait. De nombreuses personnes perdirent la vie et toute la zone fut ravagée avant que l'armée ne puisse intervenir.

La pancarte à l'entrée indiquait : Roncesang. L'endroit était abandonné. Les habitants avaient fui les lieux. Une puanteur fétide augmentait au fur et à mesure qu'elle s'approchait du centre du village. Un spectacle macabre se tenait devant elle à son arrivée. Des dizaines de corps sans vie étaient pendus aux branches d'un immense chêne calciné.

Démétria joignit ses mains et murmura une prière pour les morts, afin que la Lumière les guide vers l'au-delà.

Elle se sentit observée et s'arrêta.

A travers un grésillement à peine perceptible qui traversait l'air, un bruit venant d'une maison plus loin attira son attention. Elle s'en approcha et d'un puissant coup de pied, la porte tomba. A l'intérieur, une odeur de chair en décomposition vint agresser ses sens. Elle vacilla puis ravala la bile qui lui était montée dans la bouche.

Des cadavres avaient été entassés dans un coin de la pièce.

Son arme n'émettait aucune lueur. L'endroit n'était pas infesté de créatures impies, mais quelque chose était là.

Démétria visita le rez-de-chaussé de la maison en restant sur ses gardes. Tout avait été saccagé. Elle reconnut un emblème familier dessiné sur les murs du salon avec du sang. C'était un trident bercé par un demi-soleil. Seuls les paladins déposaient le symbole de la nation lors de leur investigation. Cela représentait une zone purifiée.

Elle passa délicatement son index sur la marque. Du sang frais. Cette « purification » était récente.

Des bruits sourds vinrent de l'étage. Quelqu'un se déplaçait furtivement. Avant de monter les escaliers, elle incanta dans le creux de sa main un sortilège faisant apparaître une petite boule de lumière blanche. Elle n'était pas forte, mais suffisante pour éclairer son chemin.

Les marches craquèrent sous ses pas. Arrivée dans le couloir, elle fit léviter l'orbe lumineux devant elle. Les ténèbres s'estompèrent dévoilant les chambres.

Elle pénétra dans la première pièce que la lumière éclaira. Il y avait un lit retourné et des draps teintés de rouge. Les armoires étaient renversées et vides. Aucun signe de vie ici. Seul le son du vent bourdonnait dans la chambre.

Elle se retourna, puis se dirigea vers la porte voisine. Elle était verrouillée. Un coup sec de sa masse fit céder la clinche. Dès qu'elle entra, une ombre se jeta sur elle en poussant un cri indescriptible. Démétria bloqua l'attaque avec son arme et repoussa d'un coup de pied l'ennemi, qui heurta le mur puis tomba.

C'était un homme chauve de corpulence mince avec une barbe de plusieurs jours. Ses vêtements étaient déchirés, dévoilant des égratignures. Alors qu'il se relevait avec difficulté, sa tête fut plaquée violemment au sol et il se trouva immobilisé.

— Qui es-tu ?

— Je... je m'appelle Jendrick. Je ne suis qu'un simple marchand, bégaya-t-il.

— Que fais-tu ici ?

Jendrick leva les yeux et contempla la femme aux yeux argentés. Comme ceux des paladins. La peur le submergea et l'empêcha de prononcer le moindre mot. Ces guerriers de la lumière faisaient rarement preuve de clémence, et il venait d'en attaquer un. Quelle erreur...

Une main se referma sur sa gorge et le serra violemment. Il se sentit soulevé et ses pieds pédalèrent à ras du plancher. L'inconnue plongea son regard dans le sien et le ton fut glacial.

— Je t'ai posé une question. Que fais-tu ici ? Et ne t'avise pas de me mentir.

Les paladins pouvaient détecter le mensonge. Il ne savait pas comment, mais ce n'était pas la question. Il tenait à la vie et ne prit pas le risque de la contrarier. Alors il lui expliqua.

Quelques semaines plus tôt, il avait réussi à obtenir une vieille carte à un bon prix. Après l'avoir décryptée, celle-ci lui avait révélé l'existence d'une pierre rare dans un temple abandonné depuis des années au beau milieu de la Forêt Rouge. Avec les événements récents qui avaient eu lieu dans cette région, les gardiens n'étaient plus là pour le protéger. C'était une occasion parfaite pour mettre la main dessus et se faire du profit. En la vendant au marché noir, il n'aurait plus à se soucier de son confort jusqu'à sa mort.

Pour mener cette expédition il avait eu besoin de protection. La zone n'était peut-être plus parsemée de monstres, mais elle restait dangereuse à cause des bandits et animaux sauvages. Il avait décidé d'engager un groupe de mercenaires qui l'aiderait, et en échange il les paya généreusement.

Les indications précises de la carte leurs permirent de trouver le temple facilement. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu : lorsqu'il mit la main sur le joyau tant convoité, les morts apparurent de nulle part et les attaquèrent. Jendrick fut terrifié, il ne voulait pas de cet endroit comme tombe. Alors il avait pris la fuite, abandonnant les mercenaires qui se battaient pour lui.

— ... Ensuite j'ai couru droit devant moi sans savoir où j'allais, j'ai vu ce village et je m'y suis réfugié. Quand je vous ai vue sur la place, je vous ai prise pour l'un des hommes que j'avais engagé, pensant qu'il était venu me tuer. S'il vous plaît... épargnez-moi... Je suis vraiment désolé, je n'aurais pas dû... je...

L'homme hoquetait et sanglotait.

— Montre-moi cette pierre, lui ordonna-t-elle.

Il s'empressa d'ouvrir sa sacoche et en sortit un gros joyau blanc ovale. La pierre était magnifique. Elle avait été taillée avec une grande précision et de fins faisceaux lumineux en émanaient.

Elle la lui arracha des mains et l'inspecta pendant un long moment sans un mot avant de briser le silence.

— As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ?

L'homme à moitié recroquevillé secoua la tête.

— En volant cette pierre tu as commis un sacrilège. Tu sais quel sort réserve la Matriarche aux profanateurs n'est-ce pas ?

La voix calme de la femme l'effraya. Il sentit de la sueur froide dégouliner le long du dos. La Matriarche se montrait inflexible avec les profanateurs, et il devrait prier pour une mort clémente.

— De plus, continua-t-elle en haussant le ton, ce joyau servait de sceau gardant prisonnier des âmes en peine maintenant en liberté. Par ta faute, des gens sont morts et d'autres mourront.

Elle tentait de garder une expression impassible, mais ses yeux étaient remplis de colère.

— Alors donne-moi une bonne raison de t'épargner, avant que je ne mette fin à ta misérable existence.

Jendrick s'agenouilla et l'implora d'une voix atone.

— Pitié... Je me repens. Je ne suis pas une mauvaise personne. J'ai fait une erreur, c'est vrai... S'il vous plaît, donnez-moi une chance de me racheter. Je ferais n'importe quoi... pitié...

Le silence du paladin semblait durer une éternité. Son cœur battait si vite qu'il pouvait l'entendre.

— La Matriarche m'a confiée une mission dans cette contrée, tu détiens une carte de la région et tu l'as déjà visitée. En me guidant, peut-être que je me montrerai miséricordieuse en t'accordant une absolution.

Le destin ne l'avait pas abandonné. Il se prosterna, enlaçant de ses mains tremblantes l'une des bottes noires de la femme.

— Merci... merci...

La guerrière retira son pied brusquement.

— Maintenant guide-moi jusqu'à l'église. Cet endroit doit être purgé.

Ils quittèrent le village et traversèrent l'immense plaine désertique. Jendrick avait l'estomac noué. Une envie de s'échapper lui effleura l'esprit. Retourner dans cet endroit maudit était suicidaire. Même si la magie de la lumière terrassait les morts-vivants, il n'était pas possible qu'une seule personne puisse combattre autant d'ennemis. Elle l'avait épargné, mais il n'avait pas promis de l'aider. Dès que la situation dégénérerait, il prendrait la fuite. Tout le monde savait que la vie était courte. Rare étaient ceux qui vivaient vieux et lui, il tenait à la vie. En quoi pouvait-il être utile désormais ? Elle avait la carte en sa possession maintenant.

Lorsqu'ils arrivèrent à l'orée de la Forêt Rouge, de grands arbres massifs cramoisis dépourvus de feuilles et aux branches menaçantes les accueillirent.

Il s'appuya contre un arbre.

— J'ai besoin d'un peu de temps...

Il avait traversé la moitié du pays et failli se faire tuer par les morts-vivants. Grâce à ses dernières forces, il avait pu rejoindre le village abandonné. Il avait été incapable de fermer l'œil de la nuit et tenait à peine debout.

— Tu n'en as pas.

Elle le bouscula.

— Avance !

Il détestait la manière dont elle lui parlait. Il avait besoin de repos, mais elle ne lui laissait aucun moment de répit.

Il entendit des râles. L'angoisse l'envahissait au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans la futaie. Peut-être qu'en discutant, ses craintes disparaîtraient. Du moins temporairement se disait-il. Alors il posa la première question qui lui traversa l'esprit.

— Puis-je vous demander votre nom ?

— Démétria.

— Vous voyagez souvent seule ?

— Oui.

Ses réponses étaient brèves et concises, mais ça le rassura de voir qu'elle n'était pas fermée au dialogue. Les paladins ne voyageaient jamais seuls. Peut-être avait-elle perdu ses compagnons et qu'elle continuait leur mission ? Sa curiosité le poussait à le lui demander, mais avant qu'il ne pût le faire, une main ensanglantée lui agrippa le bras quand il passa près d'un énorme arbre mort.

Il reconnut les yeux orange de l'ombre à travers le brouillard. Un mort-vivant !Jendrick poussa un cri de terreur et une force invisible le tira en arrière. Il tomba sur le dos et crut voir au même moment un marteau fendre l'air.

En un coup, Démétria vainquit son ennemi. La tête du mort-vivant avait été écrasée contre un rocher désormais coloré d'une énorme giclée de sang.

Il était trop loin pour comprendre ce que murmurait la femme, mais il vit clairement une fumée blanchâtre s'échapper du cadavre. Il se releva et eut la nausée en voyant la dépouille gisant à quelques pas.

— Le bruit les attire, ne restons pas ici. Le temple est-il encore loin ?

D'un air peu rassuré, Jendrick fit un signe négatif de la tête.

— Alors continuons d'avancer en silence.

Après plusieurs heures de marche, ils arrivèrent dans une grande clairière où des cadavres jonchaient le sol, dont l'herbe était teintée de sang. Au centre se trouvait une ancienne église en ruine construite en pierre taillée. Les énormes blocs s'emboitaient avec une précision remarquable, comme les pièces d'un puzzle. En son sommet, un étendard blanc avec l'emblème du royaume était bercé par la brise.

L'énorme porte en bois de l'entrée était entrouverte, et des bruits venaient de l'intérieur. Puis, soudainement, un silence inquiétant s'installa.

Jendrick adressa un regard alarmé à Démétria. Qu'allait-il se passer maintenant ?

Elle fixa l'entrée sans rien dire et prit son marteau en main, prête à éliminer toute menace.

Une silhouette courbée apparut dans l'ouverture des portes. Elle s'avança lentement. Petit à petit se dessina un homme vêtu d'une armure noire aux complexes motifs dorés. Il tenait dans ses mains un fléau et un bouclier tâché de rouge. L'un de ses yeux était orange et l'autre argenté.

— Les ténèbres... Elles m'appellent.

Démétria et Jendrick écarquillèrent les yeux. C'était un paladin.

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