CHAPITRE 2

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“Bréanne ! Que se passe-t-il ? Je t’ai entendue crier !” s’inquiéta la Reine, derrière la porte.

Le dragon courut se cacher sous le lit comme une araignée effarouchée. Bréanne ne savait quoi faire. Avouer l’existence de son nouvel ami, ou garder le secret ?

“Ca va, mon abricot ? “ insista la mère, qui appelait sa fille ainsi car elle avait la peau douce et sucrée.

Bréanne se mit à quatre pattes pour sonder son nouvel ami. Face à son regard implorant et ses petites pattes de devant jointes comme à la prière, elle céda.

“Oui, oui, tout va bien, mère !”, répondit-elle d’un ton enjoué, avant d’ajouter, car elle savait qu’un bon mensonge, pour être crédible, doit être enveloppé dans les habits de la vérité : “J’ai juste eu peur d’une petite souris qui s’est introduite dans mon lit, mais c’est bon, elle n’y est plus !”

“Ouf, je suis rassurée, répondit la mère en riant. Il faudra que je prenne des mesures draconiennes pour chasser ces sales bestioles, elles pullulent dans le château ! ”

Les pas de la Reine résonnèrent dans l’escalier et le dragon sortit de sa cachette en soufflant sur la poussière qui s’était collée à ses écailles.

“Sang-Peur ! le gronda gentiment Bréanne, tu mérites mal ton nom, tu es peureux comme un lièvre ! Pourquoi ne veux-tu pas que je te présente à mes parents ?”

“A cause des souris.”

“Pardon ?”

“Tu as entendu ta mère au sujet des souris qui pullulent dans le château ? Je n’ai pas envie qu’on me torde le cou ou qu’on me noie dans une bassine”

“Mais tu n’es pas une souris !”

“Je suis un dragon… c’est pire ! Les adultes n’aiment pas les dragons. Surtout les dragons qui se lient d’amitié avec les enfants. Ils me tueront s’ils apprennent que j’existe. Crois-moi. “

“Tu ne risques rien avec moi, je te défendrai !” bougonna Bréanne, en montrant les poings et en fronçant les sourcils.

“Les enfants ne font pas toujours ce qu’ils veulent. Non, il vaut mieux que je reste dans l’ombre, pour le moment.”

Bréanne acquiesça et lui tendit les bras pour lui faire un câlin. Sang-Peur s’avança et se blottit contre elle. Sa peau était brûlante, mais Bréanne ne le repoussa pas.

“Je me demande tout de même comment tu es arrivé ici… Un dragon ne vient pas pondre un oeuf dans un château sans qu’on le remarque !” songea tout haut la princesse.

“Tu n’as jamais entendu parler de spontéparité ?”

“De sponté-quoi ?”

“De spontéparité. C’est un mot savant pour parler d’un phénomène très commun dans la nature. Quand tu entasses des vêtements dans un coin, des souris apparaissent et font leur nid dedans. Quand tu abandonnes un morceau de pain sur une étagère, il se couvre de champignons verts, ou bleus. Quand tu laisses traîner un bout de viande, en quelques heures, les asticots apparaissent se mettent à grouiller. Les souris, les moisissures et les asticots arrivent de nulle part, c’est la spontéparité. Eh bien, les oeufs de dragons, c’est pareil. Ils ne sont pas pondus par une dragonne, contrairement à ce que tu penses. Ils apparaissent comme ça, plop, par magie, à l’endroit propice où ils savent qu’ils vont se sentir bien. Dans l’âtre d’une cheminée, chez un vieillard. Au fond du lavoir de la lavandière. Au milieu du champ que le paysan vient de labourer. Dans le coffre plein d’or du riche marchand. Ou bien encore dans la chambre d’une petite princesse. C’est ainsi, il n’y a pas de règle.”

“En fait, si, il y a une règle. Vous apparaissez où ça vous plait."

"Exact."

"Alors, il y a beaucoup de dragons qui naissent, partout dans le monde ?”

“Beaucoup plus qu’on ne le croit. Mais nous restons discrets, nous n’apprécions que la compagnie de nos humains, nous nous méfions des autres et nous sortons rarement”

Ce dragon, tout juste sorti de son oeuf, savait tant de choses ! Bréanne l’observait avec des yeux ronds, elle en oubliait de cligner les paupières.

La jeune fille émerveillée laissa son esprit s’égarer quelques instants. Elle s’imagina des dragons de toutes les tailles et tous les âges, cachés dans les granges et les maisons, sous le foin ou l’édredon. Voilà pourquoi elle n’en avait jamais vu avant ! Ce privilège n’était réservé qu’aux propriétaires de dragons ! Ah, elle avait de la chance qu’un oeuf ait bien voulu éclore chez elle !

“Je suis heureuse d’être ta propriétaire” ajouta Bréanne, des larmes d’excitation aux yeux

“Et moi d’être ton dragon... Nous allons faire une bonne équipe”, répliqua Sang-Peur.

Les jours et les semaines passèrent comme un enchantement. Sang Peur avait baptisé Bréanne "Mon trésor", car tout dragon qui se respecte doit veiller sur un trésor. Il se prêtait aux jeux de Bréanne, buvait le thé dans des tasses miniatures, se laissait câliner avec la patience d’une peluche ou maquiller comme une poupée.

Il lui racontait aussi toutes sortes d’histoires merveilleuses. Tous les dragons naissent avec une foule de légendes dans la tête ainsi qu’un grand talent de conteur, Sang-Peur n’échappait pas à la règle.

Dans le monde du nouveau compagnon de Bréanne, les dragons jouaient les premiers rôles, ils étaient inventifs, astucieux et drôles. Il y en avait de tous les couleurs, des petits, des joufflus, des à lunettes ou à paillettes,des tellement énormes que leurs grosses fesses débordaient par les fenêtres de leur maison. Des magiciens et des musiciens, des chanteurs et des jongleurs. Face à eux les chevaliers montraient pâle figure et détalaient la lance entre les jambes ! Bréanne riait beaucoup et ne se lassait pas de l’écouter, elle en oubliait même de dormir et de manger. Lorsque son estomac criait famine, elle descendait les escaliers en tapinois jusqu’au garde-manger. Là, elle enfournait en vitesse dans ses poches des fruits et des petits pains dorés et remontait les partager avec Sang-Peur. Son compagnon les dévorait goulûment et ne lui laissait que quelques miettes.

“Tu aurais pu m’en laisser un peu”, disait Bréanne, à chaque fois, tandis que le dragon s’excusait et promettait de ne plus recommencer, jusqu’à l’expédition suivante.

Ces nouvelles habitudes inquiétèrent le Roi et la Reine. Bréanne ne quittait sa chambre qu’en de rares occasions, et lorsqu’ils parvenaient à la croiser, elle leur filait entre les doigts comme une anguille, prétextant qu’elle avait des livres à étudier, ou qu’elle retournait se coucher car elle était fatiguée. Elle devenait irritable. Ses parents mirent ce comportement sur le compte de la fin proche de son enfance. Ils étaient à mille lieues d’imaginer qu’un dragon vivait sous leur toit et passait son temps avec leur fille.

Au bout de quelques mois, les sorties de la princesse s’espacèrent au point qu'elle finit par ne plus mettre le nez dehors.

Sang Peur avait grandi, sa tête touchait presque le plafond. Bréanne, en revanche, avait perdu beaucoup de poids. Elle manquait de sommeil, ses yeux étaient cernés. Elle passait son temps allongée dans son lit, tandis que le dragon, à son chevet, lui parlait doucement, avec sa voix sifflante.

“ Nous faisons une bonne équipe, tous les deux”, dit-il. “Tiens, est-ce que je t’ai raconté l’histoire du dragon qui n’avait qu’un aile ?”

“Non… mais… s’il te plaît… laisse-moi… me reposer… je ne me sens...pas...bien ” répondit faiblement Bréanne.

“Une bonne légende te requinquera, tu verras !”, rétorqua le dragon d’un ton joyeux.

“Merci… tu es gentil… mais je dois… voir… mes parents…”

“Tu n’as pas besoin d’eux, puisque tu m’as, moi !” s’indigna Sang-Peur.

“J’insiste… ”

“Bon, il était une fois un dragon doré qui n’avait qu’une aile…”

Bréanne, dans un sursaut, puisa dans ses forces et parvint à s’énerver.

“Tu ne comprends pas ? Je ne vais pas bien ! Et je veux voir mes parents !”

Les pupilles de Sang-Peur se rétrécirent, de la fumée sortit de ses naseaux et sa gorge rougeoya comme des braises.

“Non ! Je te l'interdis ! ”, gronda-t-il avec une voix rauque qu’elle n’avait jamais entendue jusqu’ici.

A ce moment, Bréanne se rendit compte à quel point son petit compagnon avait grandi. Et à quel point il était devenu terrifiant, avec sa gueule encombrée de dents pointues et son regard de serpent.

Son coeur se mit à cogner dans sa poitrine, elle eut juste le temps de hurler : “Au secours !” avant que la patte griffue du dragon ne s’abatte sur sa bouche.

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