Pourquoi les moulins nous font rêver

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Pourquoi les moulins nous font rêver

L’énergie comme moteur et fin de l’histoire humaine ?

Comment ne pas terminer ces inscriptions dans la durée par une brève histoire de l’énergie, libératrice pour l’Homme, mais qui sera sans doute la cause de bouleversements tragiques.

Rappelons que l’énergie mesure la capacité d’un système à produire un travail entrainant un mouvement ou de la chaleur. La puissance est la quantité d’énergie par unité de temps ; elle correspond donc à un débit d’énergie.

Pour parler d’énergie et de puissance et permettre les comparaisons, nous n’utiliserons que deux unités, le watt (symbole W) pour la puissance et le kilowattheure, kWh, pour l’énergie et le travail, en place de l’unité standard, le Joule (1 kWh = 3 600 000 joules).

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Un homme au repos, éveillé, consomme, dégage, une centaine de watts (70 watts dans son sommeil). Un cinquième de cette énergie est consommé par le cerveau, et même, chez l’enfant de 5-6 ans dont la tête a atteint sa taille adulte, mais pas encore son corps, ce taux monte à 70 % ! Avec ce gros cerveau qui nous permet tant de choses, l’homme est un gros consommateur d’énergie. Notons au passage que cette puissance dégagée n’explique pas forcément pourquoi tant de gens s’échauffent en réunion…

Quand il travaille, l’homme peut fournir une puissance de 100 watts sur une journée, voire plus en utilisant ses jambes ou une manivelle. Pendant un temps limité, il pourra monter jusqu’à 200 watts. Les sportifs qui dépassent les 300 watts, voire les 400 watts, ont recours à des moyens spéciaux pour mobiliser une telle puissance.

Un travail épuisant comme pelleter de la terre représente en fait peu d’énergie : un homme qui lève une pelle de 3 kilogrammes à 1 mètre de haut toutes les 5 secondes (soit 17 tonnes soulevées en 8 heures de travail !) aura développé 50 Wh (0,05 kWh). Si maintenant il monte une charge de 30 kilogrammes sur 2 000 mètres de dénivelé, avec son propre poids de 70 kg, il aura développé 0,5 kWh. Ces valeurs comparées à l’épuisement en fin de journée montrent notre difficulté musculaire à produire un effort.

Globalement, pour un travail uniquement physique, un homme aura fourni un travail de moins 1 kWh, pour une consommation de 2,7 kWh. D’un strict point de vue énergétique, utiliser un esclave uniquement pour sa force physique est donc un non-sens, même si on ne l’a pas élevé depuis la naissance et si on l’a tué à la tâche pour ne pas avoir à l’entretenir dans sa vieillesse.

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Utiliser un cheval n’est guère plus intéressant, toujours d’un strict point de vue énergétique. S’il peut fournir une puissance proche de 600 à 900 watts, c’est sur une durée de quelques heures. Sur une journée, il peut fournir un travail aux alentours de 3 à 7 kWh pour une consommation de 20 à 40 kWh, uniquement sur sa période utile. En revanche, l’homme qui conduit le cheval se fatigue beaucoup moins et dispose d’une force bien supérieure à la sienne.

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Un moulin, qu’il soit à eau ou à vent, développe une énergie de 2 500 à 3 000 watts et il remplace une trentaine d’hommes, sans fatigue et sur des périodes plus longues. En dehors de la beauté à voir tourner ces roues ou ses ailes, c’est donc un progrès indéniable pour les travaux de mouture, d’écrasement, mais également de martelage ou de scierie.

Les moulins, à eau ou à vent, auraient été inventés quelques siècles avant notre ère, mais ils ne se répandent vraiment qu’un peu avant notre 10e siècle.

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On comprend que jusqu’à l’utilisation de l’énergie fossile, l’énergie était un des paramètres des plus contraignants, même si cela n’a pas empêché l’homme de construire des monuments colossaux.

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La révolution énergétique est due à la machine mise au point par James Watt, dont le nom servira pour les unités de puissance dans le Système international. De 1769 à 1788, il apporta plusieurs améliorations remarquables à la machine à vapeur, telles que le volant à inertie qui adoucit et uniformise le mouvement, le balancier qui transforme un mouvement alternatif en mouvement rotatif, le condensateur externe et le tiroir de distribution qui améliorent le rendement. Enfin, le régulateur à boules (deux boules tournent plus ou moins vite selon la pression de la vapeur soulevant un clapet en cas de surpression) assure la constance de la puissance fournie par la machine à vapeur et permet une utilisation industrielle fiable et durable. Ces perfectionnements entraineront du reste une forte augmentation de la consommation de charbon avec la généralisation de ces nouvelles machines à vapeur performantes.

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Le moteur à explosion (1859) viendra compléter les machines à vapeur, avec toutes ses déclinaisons, dont le diesel, puis le moteur électrique (1873).

Ces machines et moteurs ont cependant un rendement très faible. Les anciennes machines à vapeur atteignaient à peine les 10 % et les locomotives à vapeur 5 à 6 %. Ces rendements dépassent aujourd’hui 80 % avec la cogénération qui permet de récupérer la chaleur sur la source froide du système.

Pour les moteurs à explosion, le rendement est d’environ 35 % pour un moteur à essence et 45 % pour un moteur diesel, desquels il faut déduire les pertes lors du raffinage. Pour les moteurs électriques, les rendements sont très supérieurs, 50 à 60 % pour un moteur électrique standard, 95 % pour un moteur en courant triphasé. La rigueur oblige de partir de l’énergie primaire nécessaire à la production d’électricité, diminuée des pertes en ligne, soit un facteur diviseur de 2,4…

Le remplacement de la peine de l’homme par la machine se fait avec une énorme consommation d’énergie dont la majeure partie en perte. Un tracteur agricole de taille moyenne (150 CV) développe une bonne centaine de kilowatts, soit l’équivalent d’un millier d’hommes Repensons alors à nos paysans du 19e siècle, et à leurs prédécesseurs, qui faisaient la majeure partie du travail à la main ! Nos appareils modernes sont de gros voraces, 200 watts pour un téléviseur plasma, 1 000 watts pour un fer à repasser ou un sèche-cheveux, 3 000 watts pour un four. Et l’envoi d’un simple mail consommerait 20 à 25 wattheures, l’équivalent d’un petit quart d’heure de pédalage sur une dynamo pour l’émetteur.

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L’histoire de l’homme et de l’énergie est très ancienne.

Il est intéressant de regarder, pour un animal, la quantité d’énergie prélevée dans l’environnement au cours de sa vie. On peut la comparer à la courbe de l’énergie utilisée. Pour toutes espèces animales, ces deux courbes, énergie utilisée et énergie prélevée, se chevauchent à peu près tout au long de la vie d’un individu, hormis une très brève période en début de vie, correspondant à l’allaitement jusqu’au sevrage. Ces courbes s’achèvent avec la vie, généralement intervenant à l’arrêt de l’activité sexuelle (seuls l’espèce humaine, les éléphants, les orques ont des grands-mères). Cela signifie que, en dehors de la période d’allaitement par la mère, l’individu prélève exactement l’énergie dont il a besoin dans son biotope. Il peut y avoir de la coopération et de l’entraide pour rechercher et accéder à ces aliments. Mais ensuite, chaque individu se nourrit selon ses besoins, pas plus, pas moins, en dehors de la préséance chez les animaux sociaux. Cela se constate jusqu’à nos cousins chimpanzés et bonobos.

Uniquement pour l’espèce humaine, ces deux courbes sont très différentes. Jusqu’à l’âge de quinze ans, le prélèvement externe d’énergie est très faible. Pendant cette période, la consommation énergétique progresse, jusqu’à l’atteinte de la taille adulte, largement au-dessus de la courbe de prélèvement. Autrement dit, le petit chez l’homme ne se nourrit pas par lui-même. La taille réduite pendant l’enfance permettrait une économie d’énergie tant que l’individu n’est pas en mesure de s’approvisionner par lui-même. Pendant la période entre quinze et soixante ans, le prélèvement d’énergie est considérablement plus important que la consommation propre de chaque individu. Ce qui signifie que l’adulte rapporte de la nourriture en surplus de ses propres besoins. Après soixante ans, nouvelle inversion des courbes avec une consommation légèrement déclinante alors que les prélèvements chutent fortement.

Cela veut dire qu’une des caractéristiques de l’espèce humaine est la redistribution permanente de l’énergie prélevée sur le milieu au sein de son groupe social, de la tribu, de la famille. Les individus les plus aptes vont chercher à l’extérieur l’énergie qui leur est nécessaire, mais également l’énergie nécessaire aux membres les plus faibles du groupe. Le partage social de la nourriture, de l’énergie, est donc un des fondements biologiques de l’espèce humaine. L’optimisation de la recherche d’énergie a été possible/a contribué au développement des facultés intellectuelles de l’homme.

Une première découverte humaine est l’externalisation de l’énergie de digestion, car les aliments cuits nécessitent beaucoup moins d’énergie lors de leur digestion. Une banane verte est digérée à 47 % quand elle est crue, à 99 % quand elle est cuite ; pour le blé, la digestibilité passe de 71 % à 96 %. Faire appel à une ressource non assimilable, le bois, est donc une amélioration importante de la gestion de la ressource énergétique, sans compter les autres avantages : éloignement des bêtes sauvages, allongement de la durée de la clarté, sociabilité autour du feu… L’agriculture est également un bon démultiplicateur de l’énergie prélevée sur le milieu externe. La recherche de l’énergie et son optimisation sont sans doute un atavisme profondément enraciné dans notre espèce.

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Dès lors que l’Homme a pu maitriser l’énergie fossile, colossale ressource, on comprend qu’il ne sente plus de limites. Revenir à une utilisation raisonnable d’une énergie renouvelable semble une contradiction insurmontable à ses pulsions d’espèce.

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