Pourquoi les lettres de l’alphabet sont classées dans cet ordre

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Il y a environ 4 000 ans

Pourquoi les lettres de l’alphabet sont classées dans cet ordre

Une part d’humanité partagée

Pour transcrire sa langue, l’Homme a trouvé trois grands types de solutions. L’écriture logographique, qui fait appel à des logogrammes. Ces derniers représentent un mot ou un de ses composants. Souvent, des composants phonétiques sont associés. Dans une langue, le nombre de logogrammes est très important. Dans l’écriture syllabique, chaque symbole représente une syllabe. Pour écrire une langue, on estime qu’il faut 80 à 120 signes syllabiques. Avec une écriture alphabétique, une trentaine de signes suffisent pour rendre compte de la langue.

Ainsi, le nombre de lettres dans notre alphabet est de 26, les écoliers le savent ! En fait, notre alphabet fondamental, l’alphabet latin, comprend effectivement 26 lettres, mais il convient d’y ajouter les 16 lettres propres à la langue française. Ces lettres sont celles avec diacritique (c’est-à-dire un signe complémentaire sur la lettre : quatre accents et la cédille) et les deux ligatures (lettres collées : œ et æ).

Si on compte 42 alphabets fondamentaux dans le monde, les variantes de chacun multiplient ce nombre, puisque les alphabets propres se déclinent par pays ou par région.

Plus d’un tiers de la population mondiale utilise l’alphabet latin, qui permet d’imprimer les trois quarts de la production mondiale. Cet alphabet hégémonique a cependant une origine et un classement de ces lettres.

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Les Babyloniens avaient mis au point une écriture cunéiforme, vers 3 400 ans av. J.‑C., sans doute pour tenir leurs inventaires, écrire leurs contrats. C’est un mélange d’idéogrammes et de phonogrammes. Cette écriture évoluera vers l’écriture cunéiforme ougaritique, basée sur un alphabet de consonnes.

Les Égyptiens anciens, vers 3200 ans avant J.-C., avaient créé les hiéroglyphes, mais avaient également une écriture cursive simplifiant les hiéroglyphes, l’écriture hiératique, qui passera par plusieurs formes.

Toutes ces premières écritures ont en commun de fonctionner comme des rébus : on utilise une image pour sa représentation aussi bien que pour le son qu’elle permet d’exprimer. Un complément au signe, le déterminant, permet de lever l’ambiguïté de ces deux utilisations. Le chinois est basé sur ce principe.

Environ 2 000 ans avant notre ère, près du temple de Sérabit el-Khadem, à l’ouest du Sinaï, des Cananéens travaillent avec les Égyptiens dans les mines de turquoise. Ils utilisent les symboles hiératiques pour représenter les sons de leur langue. Ils rapporteront dans leur pays ce système, l’écriture protosinaïtique, basée sur un alphabet linéaire, et est considérée comme l’écriture mère à partir de laquelle la grande majorité des alphabets actuels, y compris ceux d’Asie, seront déclinés. Il existe des preuves archéologiques que les phonogrammes de cette écriture ont évoluées pour donner les premiers caractères. On peut retracer ainsi la filiation entre le hiéroglyphe représentant un bœuf, aleph en sémitique, puis sa simplification et son évolution vers notre lettre A. Chacune de nos lettres, comme chacune de celles des autres alphabets porte son héritage égyptien. L’extraordinaire est l’unicité de cette invention.

La généalogie de notre alphabet a pu être ainsi déclinée : écritures protosémitiques, phénicien (11e siècle av. J.‑C. — 10e siècle av. J.‑C.) avec vingt-deux lettres, grec (9e siècle av. J.‑C.) avec ajout des voyelles et enfin latin (5e– 4e siècle av. J.‑C.), via l’étrusque. Cet alphabet s’enrichit petit à petit, dix-neuf lettres au 3e siècle av. J.‑C., ajout de X, Y et Z empruntés au grec au 1er siècle av. J.‑C.

L’ordre alphabétique des caractères de la première écriture n’est pas connu. On suppose que l’alphabet phénicien, qui en découle, suivait probablement un classement basé sur le sens des lettres (classement dit sémantique), dans un ordre qui facilitait l’apprentissage. Le A (premier son du mot aleph qui signifie bœuf) était suivi du B (premier son du mot beth qui signifie maison), car les bœufs étaient autour de la maison. De même, yodh (bras) était suivi de kaph (paume) et de lamed (bâton).

Le mot alphabet vient des lettres aleph et beth, qui deviendront alpha et bêta en grec.

Cette filiation commune à toutes les écritures alphabétiques est extraordinaire, quand on pense aux petits groupes d’hommes qui se sont succédé pour définir, utiliser, apprendre et diffuser leurs façons de représenter les mots.

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Sous Charlemagne, un besoin de cohésion nécessite de disposer d’une écriture aisée à écrire et à lire, ce qui n’était plus le cas avec l’écriture mérovingienne. La Carolingienne ou Caroline, avec l’introduction des minuscules, va s’étendre du 8e au 13e siècle. Cinq siècles pendant lesquels cette écriture va évoluer peu à peu vers une écriture brisée, qui sera appelée écriture gothique. Puis c’est la révolution de l’imprimerie (1450) qui va figer les caractères imprimés au 16e siècle, en ajoutant deux lettres supplémentaires, le v distinct du u et le j distinct de i. Le ç et les accents circonflexe et aigu sont également introduits. L’accent grave apparait un peu plus tard, mais ne deviendra commun qu’au 18e siècle. Notre alphabet est très vivant, car la dernière lettre introduite, le w, entre au dictionnaire de l’Académie en 1878.

Et gageons que l’arobase, @, qui nous est devenue si commune, pourrait bien faire l’objet d’un prochain ajout officiel. À moins qu’elle ne reste qu’un signe typographique, comme l’esperluette, &. Les signes typographiques, différents des lettres alphabétiques, ont aussi leur vie. Ainsi, le ſ, le s long, a disparu. La lecture d’un texte imprimé au 19e siècle par exemple est assez ardue, car ce signe, très semblable au F, était la typographie minuscule du s. La forme que nous connaissons était réservée au s en finale de mot.

Parallèlement, l’écriture manuscrite continuait d’évoluer selon les modes et le type de plume utilisée.

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La normalisation de l’orthographe, très tardive, viendra également faciliter la lecture. Avant que l’écriture SMS, les émoticônes et autres idéogrammes viennent bouleverser ce partage d’information.

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Les langues alphabétiques se modifient avec le temps. Le traçage des lettres et surtout les mots, représentants les concepts, évoluent : il nous est très difficile, sauf à être expert, de lire un texte vieux de seulement quelques siècles. En revanche, les idéogrammes présentent l’avantage de la pérennité : un Chinois actuel peut lire un texte vieux de mille ans. Un locuteur cantonnais peut lire un texte écrit par un mandarinophone, alors qu’ils ne se comprendraient pas oralement.

Les plus anciens caractères chinois que nous connaissons remontent à 2 000 ans avant notre ère. La légende dit que les caractères actuels ont été inventés il y a 5 000 ans, au temps de l’Empereur jaune.

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