Pourquoi on dit « Dieu vous bénisse »  quand on éternue

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Il y a 700 ans

Pourquoi on dit « Dieu vous bénisse » quand on éternue

La mémoire terrifiante des grandes épidémies


Lorsque quelqu’un éternue, il est coutume de lui dire alors « à tes souhaits ». Si nous sommes bien nombreux à prononcer ces mots, fortement déconseillés par le code de la politesse, l’origine de cette pratique est obscure. L’éternuement était souvent associé à la maladie et au mauvais sort. Certaines personnes croyaient que l’âme pouvait quitter le corps pendant l’éternuement. D’autres disaient que l’éternuement était provoqué par l’expulsion d’un démon hors du corps, ou encore que le diable pouvait entrer par la bouche (pour s’en protéger, les gens mettaient la main devant la bouche quand ils bâillaient ; cette coutume nous est restée).

Une autre phrase prononcée, qui demeure en Angleterre, est : « Que Dieu vous bénisse ! ». Si on trouve déjà dans les textes latins : « Que Jupiter vous bénisse ! », une autre explication, non prouvée, serait un souvenir de la peste. Dans sa forme pulmonaire, très contagieuse, les premiers symptômes étaient toux et éternuements, puis la maladie tuait en deux ou trois jours. On comprend l’appel à une protection divine dès le premier signe possible. Cette mémoire et cette peur des épidémies passées sont toujours très présentes dans nos sociétés surmédicalisées.

Les maladies se propagent plus ou moins vite. Les spécialistes utilisent une formule, le R0, qui indique le nombre de personnes contaminées par un malade. La rougeole et la coqueluche tiennent le haut du palmarès, avec entre 12 et 18 personnes contaminées, alors que la grippe est entre 2 et 3, Ebola entre 1,3 et 2. En dessous de 1, la présence de la maladie s’effacera petit à petit.

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Régulièrement, les médias deviennent catastrophistes et déclenchent de véritables paniques comme pour la fièvre hémorragique Ebola, la maladie de la vache folle ou encéphalite spongiforme bovine, le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère), la grippe aviaire, la grippe H5N1, la Covid 19, … La liste est longue. Les gouvernements suivent et déclenchent alors de grandes opérations, car cela résonne fortement dans les populations emportées facilement par des paniques.

D’autant plus que nous savons que si les épidémies voyageaient auparavant de port en port à la vitesse des navires marchands, aujourd’hui elles prennent l’avion ce qui démultiplie leur rapidité de propagation. Entre les années 1970 et 2010, le trafic aérien a crû de 1 200 % ! D’après des archives du Moyen Âge, on estime que la peste noire s’est propagée comme une onde, à une vitesse moyenne de 4 kilomètres par jour ; le virus H1N1, responsable d’une pandémie en 2009, progressait à une vitesse de 300 kilomètres par jour.

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Les maladies évoluent avec l’homme : si les tribus dispersées de nomades-cueilleurs sont plutôt sujettes à des affections chroniques, mais peu agressives, la concentration des populations, avec l’agriculture, puis les villes, a vu apparaitre des maladies virulentes avec une forte contagiosité.

Notre fréquentation rapprochée des animaux, notamment domestiques, a permis à leurs pathogènes, maladies et parasitoses, de passer de l’un à l’autre. Ces animaux servent toujours de pont avec la faune sauvage et ses agents infectieux qui ne demandent qu’à conquérir de nouveaux territoires. La destruction des écosystèmes, la baisse de la biodiversité, le choc sur les populations sauvages des dérèglements climatiques rapprochent cette faune de nos animaux domestiques. Mécaniquement, les pandémies ne pourront que s’accroitre dans le futur.

L’exemple le plus récent est le SARS-CoV2, troisième coronavirus responsable d’une épidémie en 2020, après le MERS-CoV en 2012 et le SRAS-CoV en 2003. Ces trois formes de coronavirus, généralement bénins et associés à des rhumes, ont trouvé des vecteurs animaux pour se transformer en fléaux. Le SRAS-CoV est passé par la civette, le MERS-CoV par le dromadaire et le pangolin est soupçonné pour le SARS-CoV2.

Le covid est déroutant, à l'instar du SIDA. Dans ces deux cas, la contagiosité est forte, mais la mortalité est faible (SARS-COV2) ou fortement décalée (HIV). La maitrise de la propagation devient alors un vraie casse-tête.

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Le pire fléau qui ait frappé l’Europe est la peste noire, la grande pestilence, la grande mortalité, la maladie des bosses, la maladie des aines.

Au début du 14e siècle, un changement climatique en Chine poussa les rongeurs vers les villes. Ils étaient porteurs de puces, vecteur du bacille de la peste. Cette dernière progressa le long des routes de la soie et elle fut rapportée en Europe par les Génois en 1346, suite au siège de Caffa, sur la mer Noire. Cette peste noire a tué entre 30 % et 50 % de la population européenne entre 1347 et 1352. Pratiquement, cela veut dire que des régions, des villes, des villages ont vu disparaitre la quasi-totalité de leur population en quelques années ou en quelques mois : en cinq ans, Hambourg a perdu la moitié de sa population, Brême les trois quarts. Il est difficile d’imaginer l’énorme choc affectif, économique, culturel que cela représente, l’effondrement des sociétés et des communautés. Elle arrive sur une société moyenâgeuse en limite de production et de fonctionnement. Ses impacts bouleverseront cette société, ouvrant la porte à une Renaissance.

Cette épidémie faisait partie de la seconde pandémie de peste, la première, la peste de Justinien, avait décimé entre 25 et 100 millions de personnes en 541-542, notamment autour du bassin méditerranéen et dans l’Empire byzantin. Si cette épidémie est incontestable, des doutes existent sur le germe responsable, qui ne serait pas forcément le bacille de la peste, Yercina pestis. La peste noire durera durant tout le 15e siècle, se calmera, réapparaitra régulièrement avec, en Angleterre une épidémie en 1665 et les derniers épisodes à Marseille en 1720, Londres en 1764 et Moscou en 1771.

La peste noire reste très présente dans nos esprits, même si nous ne l’avons plus vue depuis des générations, mises à part deux petites poussées, l’une à Marseille en 1902 (3 morts) et l’autre à Ajaccio en 1945 (10 morts). Des prélèvements dans le métro de New York en 2015 ont montré que ce bacille était toujours présent auprès de nous, même si c’était sous une forme atténuée. 50 000 cas ont été déclarés à l’Organisation mondiale de la santé entre 1990 et 2015. La peste est toujours là, même s’il elle semble atténuée !

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Il est d’autres maladies aussi ravageuses, comme la caquesangue (dysenterie), la malaria (paludisme) ou encore la petite vérole (variole).

La variole est une maladie uniquement interhumaine, même si des virus proches affectent des animaux. La variole touchait encore 95 % de la population au 18e siècle, dont 10 % en mourraient, alors que l’usage de la vaccine commençait à se répandre. Les dernières épidémies de variole se développent en 1823-1830 et 1870-1871. L’absence d’autres porteurs de ce virus a permis à l’Organisation mondiale de la santé de déclarer cette maladie comme éradiquée en 1980, après constatation de l’absence de cas.

Mais c’est en Amérique qu’elle fut une catastrophe. Apportée par les Conquistadors, elle a foudroyé une grande partie de la population amérindienne qui, séparée du reste de la population mondiale depuis plus de 12 000 ans, n’avait pas eu l’occasion de bâtir des défenses immunitaires contre la variole. Les zones de population denses ont été particulièrement touchées, comme les Caraïbes et le Mexique, éliminant près de 90 % de la population. En 1540, la population amérindienne est estimée à 50 millions d’individus. Cent ans plus tard, après ce choc biologique, elle est estimée à 10 millions. Ce n’est pas la syphilis rapportée en Europe qui contrebalancera ce génocide involontaire.

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Autre fléau connu depuis l’antiquité, mais qui se développa avec les échanges du 19e siècle, le choléra. Concentré au niveau du delta du Gange, le choléra s’est répandu dans toute l’Inde au 19e siècle porté par les voyageurs qui parcouraient le pays. Par ce vecteur, la maladie a fini par atteindre la Russie en 1852, où elle a fait plus d’un million de morts, puis le reste de l’Europe.

Originaire de Chine, la grippe espagnole de 1918 aurait tué 30 millions de personnes selon l’Institut Pasteur, peut-être jusqu’à 100 millions selon certaines réévaluations récentes. Elle doit son nom au fait que le roi d’Espagne, Alphonse XIII, en a été l’une des victimes des plus célèbres.

Plus insidieuse, la tuberculose, même si elle n’a pas inspiré la même terreur à nos ancêtres, est plus redoutable. On estime qu’un individu sur sept en est mort, ceci sur une très longue durée.

Au-delà des épidémies, d’autres causes ont provoqué des dégâts aussi considérables. La mortalité infantile a été un fléau jusque dans les années 1950. Au 17e siècle, un enfant sur quatre mourait avant l’âge d’un an et un autre avant l’âge adulte. Aujourd’hui, en France, le taux de mortalité infantile est inférieur à 2 pour mille. À cette hécatombe, il faut ajouter les mères, emportées par les fièvres puerpérales.

La misère et la malnutrition ont été longtemps les mauvaises compagnes de la majorité de la population.

Une dernière calamité ignorée : l’intoxication alimentaire, due le plus souvent aux mauvaises conditions de conservation des aliments. Si en France, en 2017, on estime le nombre de morts par intoxication à 400, pour 15 000 cas déclarés, ce nombre était encore de 15 000 morts en 1950, avant la généralisation des réfrigérateurs. Au niveau mondial, l’OMS estime qu’une personne sur dix est touchée annuellement par une intoxication alimentaire (y compris l’eau non potable), avec 420 000 morts. Ce qui est peu par rapport au 6 millions de morts par le tabagisme.

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Avant-dernière grande épidémie infectieuse, c’est le 5 juin 1981 que commence officiellement celle du SIDA, lorsque les médecins notent une recrudescence de cas de pneumocystose chez cinq hommes homosexuels à Los Angeles. Dans les mois qui suivent, plusieurs cas d’immunodépression sont constatés à travers les États-Unis. Sur les origines de l’épidémie, la majorité du corps médical s’accorde sur l’hypothèse d’une transmission du singe à l’humain au début du 20e siècle. Depuis 1981, le SIDA a tué plus de 25 millions de personnes à travers le monde.

Cette épidémie de SIDA nous montre, malheureusement, que nous pouvons avoir des réactions très violentes quand nous nous sentons dépassés. C’est ainsi que les homosexuels ont été durement stigmatisés, accusés de répandre l’épidémie à ses débuts, en résonance avec les pogroms de 1348 à Toulon, Barcelone ou Bruxelles, contre les juifs accusés de répandre la peste. Avec la covid 19, certains soignants ont été pris à partie. La peur et l’irrationalité sont des dommages collatéraux des épidémies.

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Si les charniers de la Grande Peste sont des vestiges évidents, les épidémies peuvent également laisser des traces inattendues. Le quartier de Broad Street à Londres conserve des loyers et des prix immobiliers bien inférieurs à ceux des quartiers voisins. Cette particularité date de 1854 quand les habitants ont fui ce quartier dont un puits était responsable de l’épidémie de choléra. Malgré le comblement du puits et la perte de cet événement dans la mémoire humaine, l’impact reste encore gravé dans ce lieu.

Une autre marque du choléra se trouve à Paris. Catherine Labouré ayant eu une vision mariale en 1830, une médaille fut frappée en commémoration. Sa confrérie diffusa cette médaille en même temps qu’elle portait secours aux malades du choléra en 1832. Des guérisons inexpliquées ayant eu lieu, la médaille devint la Médaille miraculeuse, encore objet d’un culte à Paris : elle attire plus de deux millions de visiteurs par an, se plaçant dans le top 10 des lieux les plus visités à Paris.

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Les principales causes actuelles de mortalité ne sont plus infectieuses, mais ressortent de notre mode de vie occidental. Ainsi, le diabète, les insuffisances cardiaques et respiratoires, l’obésité, le cancer, les allergies, les affections mentales sont responsables de 86 % des décès selon l’Organisation mondiale de la santé. L’OMS liste cependant huit maladies en 2018, qui représentent un danger pour l’humanité à l’échelle mondiale : le virus Zika, la fièvre de Lassa, le SRAS, le virus Ebola, la fièvre hémorragique Crimée-Congo, la fièvre de la vallée du Rift, le virus Nipah. Le huitième risque, qu’elle nomme X, pourrait provenir d’une infestation animale ou d’une manipulation génétique terroriste ou accidentelle.

La réapparition de la maladie du charbon (l’anthrax, en anglais) dans les régions polaires arctiques, libéré sans doute du pergélisol dégelé, fait craindre la résurgence ou la découverte de souches pathogènes auxquelles nos organismes ne seraient pas préparés.

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