Pourquoi il y a plus de châteaux dans certaines régions

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Il y a 650 ans

Pourquoi il y a plus de châteaux dans certaines régions

Douce France, cher pays de mon enfance…

La beauté de notre pays est en grande partie due à sa grande variété géologique qui nous fait changer complètement de paysages, d’ambiance, de reliefs, sur quelques dizaines de kilomètres. Un autre attrait est dû à l’occupation très ancienne de ce territoire et des traces ainsi laissées. Ces vestiges historiques, religieux ou civils suivent les différents styles qui se sont succédé dans le temps. Ils s’inscrivent également dans leur terroir par la pierre utilisée, locale ou d’extraction très proche, ce qui donne son unicité et sa typicité à chaque pays.

Les églises, basiliques, cathédrales et autres abbayes nous racontent la vieille implantation chrétienne. Mais que nous disent ces nombres, étonnement très élevés : plus de 16 000 châteaux, 1 200 châteaux forts, 3 500 manoirs ou logis recensés sur notre territoire ? Ces nombreuses constructions que notre regard croise fréquemment quand nous circulons nous racontent bien sûr chacune sa propre histoire. Mais plus généralement, ces châteaux nous racontent aussi autre chose.

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Contrairement au palais urbain, le château a la particularité, très tôt, de désigner une résidence seigneuriale ou princière. À l’origine, cette construction médiévale était destinée à protéger le seigneur et à symboliser son autorité au sein de son fief. À partir de la Renaissance, ils sont construits ou aménagés non plus pour la défense, mais pour l’agrément et le confort, à l’imitation du Roi de France.

Au-delà de l’architecture, ces châteaux imposants nous posent la question de l’effort de construction qu’ils ont nécessité, et incidemment de la répartition et de la captation de la richesse autour de cet effort. On peut constater notamment que les régions les plus riches en châteaux sont les régions où le métayage était le plus fréquent, comme la Dordogne, l’Allier, le Lot-et-Garonne. A contrario, une région de très fort métayage comme les Landes est peu porteuse de châteaux, mais ses conditions géologiques et donc agricoles sont très particulières. Ce qui amène à l’histoire de la propriété de la terre.

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Dans l’Empire romain, pour l’exploitation de la terre, c’est l’esclavage qui domine dans les grands domaines, les villæ. Dans l’Antiquité tardive, l’esclavage évoluera vers le colonat. Dans ce système, le colon loue une terre à un propriétaire en lui donnant en nature un quart de sa récolte une fois celle-ci terminée. Des petits paysans, propriétaires libres, côtoyaient ces structures.

Avec les invasions et les troubles sociaux de la fin de l’Empire romain, les grands propriétaires réorganisent leurs domaines et notamment sa défense. Des esclaves en fuite et des familles de paysans viennent trouver refuge sur ces domaines. Au besoin, on fait appel au recrutement en offrant des avantages. Le propriétaire alloue à chaque famille un lot de terre qu’elle peut cultiver pour son compte, en échange d’une part de la récolte et de temps de travail (la corvée) sur les terres du propriétaire. Les enfants des paysans héritent à leur tour du statut de dépendance de leurs parents. Progressivement, ce système évolue vers le servage. Même si le mot dérive du latin servus, esclave, la contrainte passe de l’homme à la terre. Le serf est reconnu comme homme et non plus comme un objet. Dans les régions fertiles, ce statut n’empêchera pas certains serfs d’acquérir une certaine richesse.

La propriété du sol se divisait alors en propriété directe, celle du seigneur et propriété utile, celle du serf. La propriété allodiale (libre de droits seigneuriaux) était également partagée, appartenant au paysan entre les semailles et la récolte, elle devenait communautaire avec la vaine pâture de l’assolement triennal. Et libre ou seigneurial, le droit de chasse ou le revenu de certains produits (première herbe, bois d’œuvre, arbres fruitiers…) pouvaient appartenir à un tiers.

À côté de cela, au début du deuxième millénaire, le défrichage des forêts pour leur mise en culture s’étend et la propriété est à celui qui défriche. À la fin du Moyen Âge, des difficultés financières (fin de la guerre de Cent Ans, peste noire…) vont pousser des nobles ruinés et une partie de la population rurale propriétaire à vendre leurs terres. Les deux propriétés, directe ou utile, pouvaient se vendre séparément.

Se met alors en place le métayage. Dans ce système, le train de culture est fourni par le propriétaire lors de l’entrée du preneur. Le coût des semences est partagé entre propriétaire et métayer, ainsi que les charges et les impôts. Le restant de la récolte est ensuite partagé moitié pour moitié, d’où le nom de métayage (dans certaines régions, la répartition était de deux tiers pour le propriétaire, un tiers pour le métayer). Le locataire n’avait qu’un faible profit et s’endettait souvent auprès de son propriétaire.

Ce système s’est mis en place à une époque où il était quasiment impossible de fixer une rente fixe au propriétaire, dont la principale motivation était de disposer de revenus. Il convenait bien aux régions où les revenus céréaliers étaient aléatoires et où il a perduré le plus longtemps.

Dans le fermage, le propriétaire foncier reçoit une somme fixe, quelle que soit la récolte. Le fermier recevant tout le bénéfice de ses efforts au-delà de cette somme, il est incité à produire. Le métayage correspond, comme nous l’avons vu, à un partage de la récolte entre le propriétaire et le preneur. Ce dernier ne recevant qu’une partie du bénéfice de ses efforts, il est moins incité à fournir un effort qui maximise la récolte. De plus, le métayage nécessite une surveillance. Le propriétaire rarement sur place va s’appuyer sur un homme pour s’occuper de son domaine, c’est le marchand fermier ou fermier général. Ce dernier va gérer les métayers et faire appliquer les contrats signés entre les deux parties.

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Rare au Moyen Âge, le métayage connait en France un essor considérable à partir de la deuxième moitié du 15e siècle, pour devenir le mode majoritaire de contrat d’exploitation agricole, ce jusqu’à la Révolution.

Au 18e siècle, selon Turgot, le métayage concernait encore quatre septièmes des sols agricoles. Les droits à la propriété utile et à la propriété directe restaient multiples, très différents d’une province à l’autre, mais aussi d’un domaine à un autre. À la diversité des droits locaux s’ajoutait une grande liberté laissée aux parties dans la négociation des partages de droit sur le sol. Il arrivait que des paysans paient la tenure à un seigneur, le cens à un autre et la dîme à un troisième.

À noter que dans certaines régions de grandes cultures céréalières, comme l’Aisne, les exploitants avaient réussi à imposer la généralisation du fermage aux propriétaires fonciers. Organisés, ils arrivaient à maintenir un fermage peu élevé. Au besoin, ils recouraient à la force contre ceux qui négociaient des contrats moins avantageux, allant jusqu’à l’incendie de l’exploitation. Le fermage étant fixe chaque année, les surplus pouvaient profiter à l’exploitant.

La Révolution française allait voir l’apparition de la propriété unique, faisant en fait disparaitre la propriété directe. L’article 16 de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 dispose que « le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie ». L’article 19 précise : « Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Il s’agissait alors de protéger le citoyen contre les propriétaires fonciers nobles. Incluse dans le code napoléonien, cette notion allait se répandre dans l’Europe, sauf en Grande-Bretagne où le free hold et le lease hold (pleine propriété et droit d’usage).

Si le propriétaire foncier est un personnage typique du 19e siècle, la propriété n’allait pas tarder à retrouver ses pluriels.

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Après la Seconde Guerre mondiale, sous la pression des syndicats agricoles, beaucoup de contrats de métayage furent transformés en contrats de fermage, qui assuraient un partage plus équitable du revenu de l’agriculture. Surtout, le statut du fermage de 1945 et ses compléments rendent le fermier propriétaire de son bail. Et même si cela est illégal, la vente des pas de porte est courante, avec des subventions possibles et leurs prises en compte dans les statistiques de vente.

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De nos jours, il est complexe de dire ce que nous possédons quand on acquiert un bien foncier, un pré dans le Massif central, un bois dans les Vosges ou une parcelle dans un lotissement. La propriété foncière s’étend sur la surface, mais également la profondeur, jusqu’au centre de la Terre et jusqu’au ciel. Cependant, les ressources minières de notre sol appartiennent à l’État (aux États-Unis, le tréfonds appartient au propriétaire du sol, ce qui a permis l’enrichissement de ceux-ci avec le gaz de schiste). Nous avons le droit de chasse, mais pas forcément l’usage de ce droit qui revient à l’association communale de chasse, sauf en Alsace-Moselle. En bord de mer ou de rivière, nous devons laisser un droit de passage. Nous pouvons construire, mais en demandant une autorisation et en respectant un règlement. Si nous vendons, la commune, ou l’État, ou la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural, pour les terres agricoles) peuvent préempter mon bien. Sans parler des droits à produire, des droits à polluer ou des droits à l’image.

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Mais il nous reste les châteaux, même si ceux-ci ont changé de mains et appartiennent maintenant à des membres de la classe aisée, plus qu’aux descendants des familles ancestrales.

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