Pourquoi nous roulons à droite

4 minutes de lecture

Il y a 210 ans

Pourquoi nous roulons à droite

On peut toujours raconter une histoire

Quand on reprend sa voiture après avoir traversé le tunnel sous la Manche, il faut être vigilant sur sa conduite. On se rappelle, en effet, qu’il y a une conduite à droite de la chaussée et une conduite à gauche selon le pays où l’on est. Si un tiers de l’humanité roule à gauche sur les routes, les deux autres tiers roulent à droite. Les changements de sens dans un pays sont très rares et les derniers à l’avoir fait sont la Suède en 1967, l’Islande en 1968, la Birmanie en 1970, le Ghana en 1974, pour passer de gauche à droite.

***

Les raisons de rouler à gauche sont similaires sur toutes les sources, mais non étayées réellement. Ce qui semble historiquement avéré ressort des traces de roulement dans des carrières datant de l’époque romaine : les véhicules les plus lourdement chargés, donc qui sortaient de la carrière, roulaient sur la partie gauche de la voie. Les chars romains circulaient donc à gauche.

Ce sens de circulation devait cependant être une question importante, car dès le 13e siècle le pape Boniface VIII préconisa aux pèlerins de cheminer sur le côté gauche des voies de communication. La tradition semblait donc avoir traversé un millénaire.

Ce que l’on peut lire partout, c’est que ce sont les soldats puis les chevaliers qui sont à l’origine de cette coutume. La majorité des humains étant droitiers, à 84 %, l’épée se porte au côté gauche. Afin de ne pas se heurter avec les fourreaux et de pouvoir dégainer plus rapidement en cas de besoin, ces hommes armés marchaient du côté gauche du chemin. La preuve en est que les Japonais roulent à gauche, alors que c’est un des rares pays ayant ce sens de circulation à n’avoir pas été sous la domination des Britanniques. Parce que les samouraïs portaient leur sabre, le katana, sur le côté gauche, comme les chevaliers occidentaux, dont acte.

Un petit recul permet de se poser des questions. Si la proportion de gauchers s’établit de nos jours à environ 16 %, sans que l’on sache encore par quels mécanismes biologiques se produit cette différence entre humains, nous n’avons aucune information sur cette proportion dans les temps passés, ni surtout sur celle des gauchers contrariés. De plus, le côté du port d’arme a évolué : les Gaulois et les Romains portaient leur courte épée à droite, plus facile ainsi à dégainer quand le bras gauche portait un lourd bouclier. Avec le temps, l’épée s’est allongée et a changé de côté. Enfin, les hommes armés se déplaçant seuls devaient être rarissimes dans le passé et on imagine mal cette très faible population imposant ses usages à la majorité de la population. Le déplacement d’hommes armés en groupes suivait d’autres contraintes. Le port de l’arme ne semble donc pas un critère explicatif suffisant.

Que l’on transpose cette histoire de droitiers-gauchers aux conducteurs de charriots et charrettes avec le fouet dans la main droite, rend plus crédible la circulation à gauche comme « naturelle », même si cette hypothèse est moins brillante.

***

Pour introduire un peu d’exotisme, plusieurs sources continuent en expliquant que c’est l’invention du charriot américain des pionniers, le Conestoga, (c’est le charriot que l’on voit dans les westerns) qui est à l’origine de la circulation à droite. Comme ce charriot n’avait pas de banc (contrairement à ce que l’on voit dans les westerns !) et était tiré par plusieurs couples de chevaux, le conducteur se mettait sur la croupe du dernier cheval de gauche, avec le fouet dans la main droite. Il était plus facile alors de se croiser par la gauche et donc de rouler à droite. Ceci est peut-être vrai pour les États-Unis, mais certainement pas pour l’Europe où ce charriot ne fit jamais fureur.

La construction de la légende continue avec Napoléon. Car si celui-ci ordonna effectivement en 1804 de circuler sur la partie droite de la chaussée, les raisons avancées sont curieuses, mais non prouvées. La première est que Napoléon ayant trouvé que l’attaque de l’ennemi sur son flanc droit avait un effet de surprise avantageux, il aurait imposé la circulation à droite. Le rapport entre les routes et les champs de bataille n’est pas évident. La seconde motivation, possible, est que, « les Anglais circulant à gauche, moi, Napoléon, je vais faire circuler à droite ! ». Ce qui est constaté, c’est que les pays européens qui virent l’administration de Napoléon (Allemagne, Pays-Bas) circulent à droite depuis cette époque, comme ceux qui ne la virent pas… L’Autriche-Hongrie, en contre-exemple, roulait à gauche et les pays nés de son démembrement en 1919 basculèrent à droite les uns après les autres, parfois région par région, comme l’Autriche.

La vraie raison de la circulation à droite reste à trouver.

***

En revanche, quand la première ligne ferroviaire est créée en France en 1827, dans la région minière de Saint-Étienne, les ingénieurs, s’inspirant du modèle anglais, n’ont pas jugé utile de modifier la circulation à gauche des trains. Donc les trains circulent à gauche en France, à l’exception de l’Alsace-Moselle, car cette région a conservé les normes allemandes de circulation à droite, appliquées de 1870 à 1918.

Avec le premier métropolitain parisien, le sens de circulation choisi par son bâtisseur, Fulgence Bienvenüe, fut la droite pour « se démarquer des grandes compagnies qui tiennent le haut du pavé ». Et les métros roulent à droite, sauf à Lyon, car une connexion avec les trains était prévue. Le RER étant un train, il roule à gauche.

Le sens de circulation sur voie ferrée est donc un peu plus complexe que sur les voies goudronnées, mais comme on se laisse transporter…

***

Restent les piétons. Quand des piétons se croisent sur un trottoir, en France, ils se croisent par la gauche, généralement, et sans avoir échangé le moindre de mots. La corrélation avec le sens de circulation des automobiles est évidente. Sauf que cette corrélation n’est pas constatée dans de nombreux pays (l’Angleterre par exemple). Il semblerait qu’un apprentissage social soit prépondérant pour le côté implicite du croisement des marcheurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0